Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Résistances: LIBERATION ET RECONSTRUCTION. 65: LES PREMIÈRES HEURES DE LA LIBÉRATION.
LES PREMIÈRES HEURES DE LA LIBÉRATION: EUPHORIE ET DÉSIR DE VENGEANCE.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°65.
LES PREMIÈRES HEURES DE LA LIBÉRATION: EUPHORIE ET DÉSIR DE VENGEANCE.
Entraînant liesse et euphorie, puis haines et vengeances, le vent de liberté qui souffle fin août 1944 sur les Basses-Pyrénées déchaîne les passions et ravive les rancœurs.
Pourtant, si cette période de fin de lutte et de victoire pour la résistance est propice à l’apaisement, la libération ne signifie pas pour les anciens combattants de l’ombre la fin de l’engagement et le retour à la vie civile. En effet, après avoir chassé l’ennemi de la région, il leur reste encore à « reconstruire » et à ressouder une société locale toujours meurtrie.
On affirme souvent que la guerre et la lutte contre l’occupant prennent fin pour les résistants basques ou béarnais, avec le départ de ce dernier et la libération du département Pourtant, pour la majorité de ces volontaires, l’engagement dans les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) se poursuit au-delà du 26 août (date officielle de libération complète de la région) sur les fronts orientaux du territoire national et autour des poches de résistance allemandes sur le littoral atlantique. Toutefois, entre ces deux phases (libération et nouvelle mobilisation), une nouvelle mission, à laquelle ces volontaires ne sont pas préparés, accapare pendant quelques semaines les « soldats de libération ».
Sous les ordres des nouvelles autorités civiles, les résistants sortis de l’ombre reçoivent comme consignes, dès les premières heures d’indépendance, d’assurer le maintien de l’ordre et les fonctions de police contre les manifestations de joies «trop marquées» ou trop précoces après le départ des Allemands, mais surtout contre les exactions et autres débordements liés à la soif de vengeance d’une population meurtrie par quatre années d’occupation et de collaboration. Toutefois, cette période est surtout caractérisée par des explosions de joies et de bonheur. Les premières actions des anciens soldats sont donc surtout « honorifiques » et symboliques.
Après que les cloches de tout le département aient sonné au moins une fois « l’hymne de la victoire » (en Soule par exemple, elles raisonnent de toutes les églises le 24 août à 12 h), d’immenses rassemblements spontanés et festifs se forment dans la rue. L’enthousiasme populaire explose alors après plusieurs années d’humiliation et de souffrances, en d’extraordinaires manifestations et animations dans lesquelles les héros de la résistance sont triomphalement acclamés. Pourtant, si ces forces de la France libre sont à ce moment-là dans la rue, ce n’est pas seulement pour «recevoir des lauriers», mais aussi pour modérer la fougue des populations qui demeurent inconscientes, quelques jours après la fin de l’occupation, du danger que représente le possible retour des nazis comme ce fut le cas à Mauléon au début du mois d’août, laissent éclater leur légitime soulagement. Face à cette liesse et à un tel engouement, les différents appels au calme et à la modération restent inefficaces. Les menaces, les avertissements par haut-parleurs et les déclarations des autorités ne peuvent en rien réprimer l’enthousiasme. Ce dernier est malgré tout refroidi par la force à Anglet le 22 août à 14 h, lorsqu’une patrouille allemande, isolée et composée d’une voiture et de deux motos, traverse la ville en ouvrant le feu sur les résistants et les civils. Tragique et brutal, cet incident ne perturbe en rien les cérémonies publiques qui se déroulent par la suite dans cette ville.
Ces manifestations officielles ont surtout pour cadre les bâtiments symboles du pouvoir comme les mairies, que les différentes commissions nouvellement nommées investissent. Les représentants des mouvements de résistance et surtout les nouveaux «responsables» des autorités municipales y sont acclamés par la foule enthousiaste et reconnaissante. Ces derniers sont souvent des bannis du régime de Vichy (Ferdinand Hirigoyen à Biarritz) ou des opposants de la première heure comme Jean Labourdique à Bayonne, auteur dès 1933 d’une protestation officielle auprès du Reich contre les persécutions antisémites. Parfois, les cérémonies revêtent un caractère plus solennel. Les hommages rendus à Bayonne par exemple au monument aux morts et à la garde municipale par son président Jean Labourdique ainsi que par le capitaine Morachini, chef des F.F.I. à Bayonne et le médecin capitaine Vanhems, illustrent parfaitement le respect et la dignité des officiels liés à la foule. Cependant, le plus grand et le plus important rassemblement patriotique de ce type se tient quelques jours après, le 3 septembre, dans la capitale béarnaise.
Réunissant des milliers de Palois et de Béarnais sur la place de Verdun, là où quelques mois auparavant (le 20 avril 1941) une partie de cette même foule a acclamé le maréchal Pétain en visite dans la région, cette cérémonie rend un vibrant hommage « aux héroïques soldats de la résistance et à leurs chefs. »1 Très protocolaire, cette fête est principalement marquée par les défilés, dans la ville et sur l’esplanade, de tous les groupes de résistants locaux, fanfare en tête et sous les ovations. Une fois rangés en bon ordre, ces vainqueurs sont passés en revue et salués par les différentes personnalités officielles qui montent une à une sur l’estrade pour faire un discours. C’est le président du C.D.L. (Comité départemental de libération), Ambroise Bordelongue qui prend la parole le premier. Il s’attache dans son allocution à rendre hommage aux « glorieux F.F.I. »2 et à condamner Vichy, avant de faire acclamer par l’auditoire les héros martyrs tombés pendant le conflit. Le préfet Baylot tient lui des propos plus politiques et patriotiques en appelant les Français et les forces de la résistance à l’union face aux difficultés à venir. Le représentant de la République conclut en affirmant que de « longs mois de lutte »3 sont encore à venir et qu’il faut « se retrouver unis, coude à coude et cœur à cœur. »4
D’autres cérémonies de ce genre se déroulent par la suite dans tout le département. L’une des plus marquantes reste celle que connaît le petit village Buziet, le 1er octobre, en présence de nombreuses personnalités et d’une grande foule, en mémoire des guérilleros tombés en juillet 1944.
Cependant, si pour une partie des Basques et des Béarnais, cet immédiat après-guerre est synonyme de paix retrouvée et de fête, pour d’autres le moment est venu de punir les traites, les profiteurs et les collaborateurs. Dans l’euphorie de la Libération, de nombreux règlements de comptes et exactions sont, en effet, commis. Visant des cibles matérielles ou humaines, cette «épuration sauvage» reste malgré tout, et en comparaison avec d’autres départements français, relativement limitée (notamment par le travail des « comités de répression »5 et grâce à la vigilance des véritables forces de l’ombre). Pourtant, dès les premières heures de liberté, de nombreuses violences sont à relever : dans certains cas, il ne s’agit que d’attaques contre des magasins ou des biens matériels. En Béarn presque tous les sièges d’organisations collaborationnistes sont ainsi mis à sac quand ils ne sont pas plastiqués. Cette méthode de vengeance est également employée contre plusieurs commerces de traîtres ou d’auteurs d’abus pendant l’occupation. Un café rue Nougué saute par exemple à Pau, alors qu’une librairie accusée de propagande nazie et de collaboration est saccagée à Bayonne.
Si ces représailles en étaient restées à ces actes de vandalisme ou à la destruction des derniers vestiges de l’ordre germanique (archives, plaques de rues rebaptisées, panneaux indicateurs…), l’épuration aurait pu en effet être qualifiée de « minime » ou d’ « d’inexistante ». Toutefois, c’est loin d’être le cas. Le sang, dans notre département comme dans beaucoup d’autres régions, coule en effet sans que justice soit faite. De nombreux faits divers, plus ou moins connus, attestent de ces débordements. Ainsi, sur la côte, de nombreux articles de journaux font état de l’augmentation inexplicable à cette période du nombre de «noyés». En Béarn, ce sont les découvertes dans les bois autour de Monein de plusieurs corps d’entrepreneurs, originaires de Puyoo et suspectés de collaboration, associés aux importantes disparitions ou suicides qui inquiètent les autorités.
Cependant, au-delà de ces crimes, quelques « pseudo-résistants » de la dernière heure, liés à la foule (rarement innocente dans ces débordements), pratiquent d’autres types de vengeances tout aussi cruelles, mais visant là les plus faibles à savoir les femmes. Raflées comme l’ont fait quelques mois plus tôt les Allemands, ces « victimes », accusées d’avoir des rapports avec l’occupant, sont tondues en pleine rue, sous les insultes et les violences de la population. Leur humiliation s’achève par la suite avec des défilés forcés dans les principales rues des villes ou des villages. Toutefois, parmi ces femmes punies, nombreuses sont les innocentes (si tant est qu’il y ait des coupables) qui peuvent, par des examens médicaux, prouver l’abus des «justiciers», la prétendue punition n’étant due qu’à la rumeur ou à la malveillance. C’est notamment le cas à Salies-de-Béarn pour l’épouse et la fille d’un adjudant de gendarmerie dont deux anciens subordonnés, passés au maquis, se vengent pour des motifs personnels en s’attaquant lâchement à ses proches.
Contre ces persécutions et les prises de pouvoir ou de responsabilités spontanées de certains «résistants» de la dernière heure, plus souvent proches du marché noir et des trafics que de l’armée de l’ombre, des personnalités réussissent à s’imposer et à refuser ces abus. C’est ainsi qu’à Cambo, le prêtre du village fait courir volontairement le bruit que les Allemands reviennent afin d’éviter à plusieurs jeunes filles et aux prisonniers allemands, des violences gratuites, mais aussi pour chasser de la mairie un communiste, ancien prisonnier de guerre de 1914 qui s’est autoproclamé premier magistrat. Exemplaire et résistant à sa manière, le ministre du culte réussit également, en attendant l’arrivée de nouvelles forces de l’ordre, à conserver à l’abri les dépôts d’armes et de munitions abandonnés par les nazis, mais réclamés par la foule. Ce stratagème est également employé par Mgr Bellevue, de Saint-de-Luz, qui voit les tontes place Louis XIV et fait fuir les moins courageux qui jettent alors leurs tout récents brassards F.F.I. dans les caniveaux en entendant cette rumeur.
Triste paradoxe de la Libération, le mois d’août 1944 reste donc marqué dans les Basses-Pyrénées comme dans l’ensemble du pays, successivement par des larmes de joie, provenant du bonheur d’une population en liesse après le départ de l’occupant, mais aussi, malheureusement, par des larmes de douleur, causées par de « noires vengeances partisanes qui ont obscurci le beau ciel de la libération française. »6.
1 Messager A. Reportage et illustration sur la libération des Pyrénées et du Sud-Ouest, Tarbes, Edition la Nouvelle république, 1945, 27 p.
2 Idem
3 Idem
4 Idem
5Ader C. et Naprous B. Le Comité Départemental de Libération des Basses-Pyrénées, 1944-1945, Pau, UPPA, TER, 1974-1975, 212 p.
6 Fabas P. Aspects de la vie religieuse dans le diocèse de Bayonne, 1905-1965, Bordeaux, Thèse de l’université de Bordeaux III, 1989, 538 p. discours d’entrée dans la cathédrale, prononcé par Mgr Terrier le 21 décembre 1944
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