Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Résistance spirituelle 49. Population civile et persécutions antisémites.
LA POPULATION CIVILE FACE AUX PERSÉCUTIONS ANTISÉMITES.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°49.
L’évocation de l’attitude des populations et des autorités face aux persécutions religieuses entraîne en général des débats passionnés et des divisions qui rappellent celles qui touchent la société française durant le conflit.
Malgré les traîtres et les collaborateurs, de nombreux habitants des Basses-Pyrénées ont soutenu, caché ou ravitaillé des membres de la communauté juive. Qu’ils soient élus, fonctionnaires, artisans, agriculteurs ou simples citoyens, tous ces volontaires ont donc à leur manière réalisé des actes de résistance et contribué à la victoire finale de la vie et la liberté.
Pour une majorité de Basques et de Béarnais, l’histoire de la Seconde guerre mondiale dans les Basses-Pyrénées se résume à quelques anecdotes sur la collaboration, à une énumération de faits de résistance et à quelques souvenirs de l’occupation. Pourtant, si cette période a surtout été synonyme pour ces personnes d’événements militaires et d’engagements politiques ou patriotiques, elle est également caractérisée par des questions plus spirituelles et religieuses. En effet, toute une partie de la population connaît durant ces cinq années des discriminations, puis des persécutions liées à leurs croyances.
Victimes de l’ordre nazi puis collaborationniste, les juifs ont été dans notre département et dans le reste du pays les pratiquants d’une religion les plus touchés, passant d’un statut de bouc émissaire à celui de cible de la folie meurtrière de l’occupant. Cependant, malgré les moyens mis en place pour réaliser le génocide de ce peuple, une forte proportion de ces croyants juifs réussit à survivre au conflit et à cette politique de destruction massive. A présent, dans un contexte général hostile et face à des opinions habilement embrigadées, il faut être conscient que les Israélites n’auraient pu échapper aux persécutions sans le soutien et l’aide d’une partie de la population et de certaines autorités civiles.
Choisissant le camp de la liberté, quand la majorité opte pour celui de l’intolérance, bravant les instructions officielles du pouvoir, se rendant ainsi hors la loi et encourant des peines très importantes, ces réfractaires à l’ordre imposé ont donc, par leurs actions (isolées ou organisées, symboliques (fiche 28) ou d’envergure) et à leur manière, réalisé des actes de résistance en faveur d’opprimés et contre des politiques qu’ils jugent inhumaines.
A l’échelle de notre département, la minorité juive aurait été « relativement épargnée » par rapport à d’autres régions. Nous pouvons cependant répertorier un certain nombre d’actions, courageuses et désintéressées, réalisées par des élus, des fonctionnaires ou de simples anonymes en faveur de ces opprimés.
Parmi les Justes parmi les Nations (titre honorifique attribué par Yad Vashem et l’Etat d’Israël à toute personne ayant sauvé des juifs pendant la Seconde guerre mondiale), nous devons tout d’abord mettre en avant l’action des élus locaux, influents par leurs fonctions et leur titre, qui ont publiquement dénoncé et lutté contre ces discriminations. Les exemples les plus connus et les plus représentatifs en Béarn sont ceux des maires de Jurançon et de Sévignacq-Meyraq qui, avec deux méthodes différentes, ont œuvré à leur manière pour défendre la cause des Israélites.
L’action du maire de Jurançon relève d’un fait de résistance authentique. Elle a consisté à laisser seul dans une pièce, contenant tout le matériel administratif destiné à la conception de cartes d’identité et de laissez-passer, un individu ayant déclaré avoir perdu ses papiers mais connu dans la région comme étant de confession juive. Fermant volontairement les yeux et oubliant sciemment cette personne dans la pièce, l’élu jurançonnais permet à ce dernier de réaliser plusieurs « vraies fausses cartes d’identité » qui lui assurent des conditions d’existence moins risquées. Rééditant à de nombreuses reprises cette « inattention », le maire sauve ainsi plusieurs familles juives béarnaises.
L’action du maire de Sévignacq-Meyrac est moins efficace, mais plus symbolique. Elle fait suite, en janvier 1942, à la décision des autorités vichystes d’expulser tous les juifs résidant dans la vallée d’Ossau. Une forte communauté s’étant en effet installée dans cette zone depuis plusieurs mois, l’élu exprime publiquement et officiellement son refus d’appliquer cette mesure et son soutien aux populations déplacées. Il est par la suite imité dans son mouvement de protestation par deux autres notables du village, à savoir l’instituteur et le chef de la légion des combattants.
Dans d’autres cas, les soutiens sont encore plus décisifs. Aux moments des rafles ou des arrestations, des élus ou des fonctionnaires sont par exemple souvent allés prévenir les responsables de la communauté pour les prévenir du danger. C’est notamment le cas le 2 septembre 1942 lorsque des employés de la préfecture des Basses-Pyrénées annoncèrent à l’UG.I.F. (fiche 48) (Union Générale des Israélites de France) que tous les enfants juifs (fiche 50) étrangers seraient déportés lors d’une prochaine rafle.
Toutefois, au-delà des actions des maires ou des conseillers, il faut à présent mentionner celles des fonctionnaires qui, dans le cadre de leurs emplois, profitent de leurs postes et de leurs responsabilités pour limiter les conséquences des opérations antisémites. Les cas les plus fréquents se retrouvent dans les forces de police, de gendarmerie ou de douane.
Dans notre département, sur les 30 000 arrestations exigées en 1942 par le gouvernement de Vichy, seulement 6 594 sont effectivement réalisées. L’origine d’un tel écart ne peut être expliquée que par la seule vigilance des juifs (fiche 48) et par l’aide des populations. Ainsi pour comprendre ce véritable échec, il faut admettre et prendre en compte, les mises en garde des personnes informées de la menace, c’est-à-dire principalement les forces de l’ordre et les élus. Les douaniers en montagne (fiches 6 et 7) ont également joué à ce niveau un rôle important en appréhendant les évadés juifs souhaitant traverser les Pyrénées. Souvent mal équipés et facilement repérables, ces naufragés sont en général arrêtés puis déroutés par les militaires qui leur évitent ainsi les problèmes posés par les rencontres avec les postes ou les patrouilles ennemies situées sur le chemin.
Dans l’étude de ces « fonctionnaires résistants », une grande place doit être consacrée à l’action des facteurs en faveur de l’armée de l’ombre. Combattants méconnus, ces employés de l’Etat ont sauvé, par leurs actions isolées et volontaires, des centaines de vies en outrepassant leurs règlements et leurs droits. Nous connaissons, par exemple, l’histoire étonnante et l’engagement du préposé Jean Pommés.
En poste depuis 1938, ce Béarnais d’Assat met pendant toute la guerre son affectation particulière à disposition de la résistance. Triant les courriers à destination du siège palois de la Gestapo (avenue Trespoey), ce discret fonctionnaire s’arrange pour deviner le contenu des enveloppes et pour intercepter, puis détourner vers Ambroise Bordelongue (responsable résistant, lui aussi employé des P.T.T.), les lettres anonymes dénonçant les résistants ou les juifs qui sont par la suite prévenus du danger. Imité par des dizaines d’autres collègues, Pommés réalise ainsi des centaines « d’évaporations » et de sauvetages. Cependant l’infiltration d’un traître dans son service par les nazis méfiants entraîne la fin de son activité clandestine et son départ pour le maquis en 1943. Cependant, ces prises de risques ne sont pas forcément spécifiques aux fonctions publiques.
Ainsi, dans tous les corps de métiers ayant des rapports avec les populations persécutées, se trouvent des «résistants» qui, consciemment ou inconsciemment, sauvent des vies. Les cas de docteurs réalisant de faux certificats médicaux pour empêcher l’internement au camp de Gurs de juifs, ou permettant leurs sorties de ce sinistre centre pour rejoindre les hôpitaux de la région sont particulièrement significatifs. De même, de nombreux paysans béarnais ou basques emploient pendant la guerre des fugitifs en connaissant bien les risques auxquels ils s’exposaient. Cependant, l’une des aides les plus surprenantes dans le cadre professionnel reste sans doute celle du monteur en chauffage Gaston Esteben.
Régulièrement appelé au siège de la Gestapo pour réparer ou entretenir des appareils, ce résistant a souvent la possibilité d’observer et de ramener des informations importantes aux réseaux de renseignement locaux. L’un de ses exploits les plus connus reste celui qu’il a réalisé à la préfecture en mai 1944. Assisté de deux amis sûrs, il déménage du cœur du bâtiment, en catimini, les archives que les renseignements généraux ont accumulées sur les étrangers et les juifs résidant dans le département. Evacuant les sacs par une ouverture donnant sur une impasse, avec l’aide du concierge (qui efface derrière eux les traces et les indices du vol), les trois résistants brûlent par la suite les documents près de l’église St Julien, à la sortie de la ville, évitant ainsi d’ultimes rafles et arrestations à la fin de la guerre.
Reste enfin à évoquer toute cette foule d’anonymes qui, par leur soutien, leurs conseils, leur hospitalité et leur courage, a participé à ces sauvetages de juifs. Ils sont souvent paysans, nourrissant et cachant les fuyards, bergers ou hôteliers (fiche 6), guidant à travers la montagne et sur les « sentiers de l’espoir » ces naufragés des Pyrénées jusqu’à la frontière, honnêtes citoyens ne dénonçant pas ou aidant les familles à se cacher en ville, patrons employant ces démunis ou simples anonymes manifestant leur émotion et leur opposition aux rafles et aux internements, comme ce ressortissant britannique protestant qui rédige une lettre de contestation, après les premières arrestations, aux autorités vichystes ou ce chef de bataillon (Peyrelongue) qui crée une « section de soutien des étrangers ».
Cependant, tous ces exemples de bravoure et d’engagement ne peuvent masquer les choix d’une large majorité des habitants des Basses-Pyrénées qui, à l’image d’un grand nombre de Français, voient d’un mauvais œil ces juifs étrangers ou critiquent, quand ils ne la dénoncent pas, cette communauté (française ou étrangère) qu’on accuse de tous les maux.
Divisée et blessée, la société française a donc montré, à travers son attitude face au drame humain de la Shoah, toute la fragilité de sa cohésion et l’influence des différentes propagandes. Entre volontaires résistants, collaborateurs et simples observateurs, attentistes devant la tragédie qui se joue sous leurs yeux, un véritable fossé s’est creusé, la douleur de la trahison empêchant les esprits et les cœurs de pardonner et d’oublier durant de nombreuses années.
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