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LAULHE Benoit. Résistance au Pays Basque.27: RENÉ CASSIN ET MARCEL SUARES, DEUX BAYONNAIS EMBLÉMATIQUES.
RENÉ CASSIN ET MARCEL SUARES, DEUX BAYONNAIS EMBLÉMATIQUES DE LA RÉSISTANCE BASQUE.
Benoit LAULHE – La Résistance au Pays Basque – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°27.
RENÉ CASSIN ET MARCEL SUARES, DEUX BAYONNAIS EMBLÉMATIQUES DE LA RÉSISTANCE BASQUE.
René Cassin et Marcel Suarez : un même combat, des méthodes différentes.
Résistants peu connus et peu honorés au Pays basque, les volontaires qui ont choisi de rejoindre les armées alliées et les Forces françaises libres pour reprendre le combat, méritent tout autant de respect et d’hommages que ceux qui ont lutté sur le sol national contre l’occupant.
Parmi ces destins de « combattants libres », ceux de deux bayonnais, Marcel Suares et René Cassin, que tout oppose à la base mais qui se rejoignent dans la lutte, reflètent l’histoire de tous ces soldats basques qui, à leur manière, défendent leur liberté et leur patrie.
Lorsque l’on évoque l’histoire des grandes figures de la résistance au Pays basque, on mentionne, en général, les noms des grands responsables des réseaux d’évasion comme Kattalin Aguirre, le docteur Speraber ou les grands chefs de mouvements armés de guérilla tels André Bouillar ou le commandant Passicot… Cependant, dans ce «panthéon» des héros basques de la Seconde guerre mondiale, on oublie presque toujours les volontaires qui choisissent de ne pas combattre l’occupant sur la terre d’Euzkadi, mais aux côtés des armées alliées en Grande Bretagne ou sur les différents théâtres d’opération, en Europe et en Afrique.
Combattants de la première heure, leurs histoires ne sont qu’une succession d’aventures qui commencent et se terminent presque toujours au Pays basque et mènent leurs acteurs sur tous les fronts où les nazis sont combattus jusqu’à la victoire finale. Parmi ces nombreux rebelles qui optent pour une «résistance libre», nous pouvons évoquer les fabuleux destins de deux basques qui, avec des méthodes opposées, choisissent un même camp et un même combat dans les rangs des armées de de Gaulle : René Cassin et Marcel Suares.
Si Marcel Suares est moins connu que René Cassin, il n’en est pas pour autant moins méritant. Son engagement durant le conflit contre l’Allemagne nazie est en effet aussi héroïque que désintéressé. Surnommé Fléau en 1943 en raison de son efficacité contre l’occupant, ce bayonnais d’origine n’a lors de la mobilisation de 1939 aucune idée du changement que cette guerre produit dans sa vie.
Servant de blindé au début du conflit dans le quatrième bataillon de chars légers, il combat dès mai 1940 en première ligne à Sedan où il est grièvement blessé. Rapatrié dans un hôpital bordelais, il part en convalescence à Saint-Médard-en-Jalles où il apprend en juin la fin des combats et l’armistice. Ne supportant pas cette situation, il retourne alors au début de l’été dans sa ville natale où il se fait démobiliser par la gendarmerie locale. Malgré la présence de l’occupant, il tente toutefois de reprendre une vie normale en travaillant (sous l’identité d’un camarade mauléonais (Idondo) mort à ses côtés au combat, à cause de ses origines juives), dans les chantiers de l’Adour où on le charge de désamorcer les grenades sous-marines placées dans le fleuve.
En 1942, après une violente altercation avec un ingénieur et avec la quasi-certitude d’être arrêté et déporté, il décide de fuir et de gagner Londres et les Forces Françaises Libres (F.F.L.). Commence alors pour lui un long périple qui le conduit d’abord à Perpignan puis en Espagne après avoir franchi clandestinement la frontière. Après plusieurs semaines d’un épuisant voyage nocturne et pédestre à travers la péninsule ibérique, où il bénéficie de l’aide et de la solidarité d’Espagnols anti -franquistes, cet Evadé de France parvient à Grenade puis Séville d’où il s’embarque pour l’Angleterre afin de rejoindre les forces qui se regroupent autour de de Gaulle.
Recruté par les services spéciaux, il reçoit une formation de commando spécialisée dans le sabotage et les destructions, avant d’être envoyé sur le terrain en France. Il est ainsi parachuté en 1943 dans la région de Chatillon-sur-Chalaronne, près de Bourg-en-Bresse (dans l’Ain), où, en tant qu’instructeur – saboteur, il participe à de nombreuses actions et coups de mains, formant en même temps des artificiers et des sections de destruction. Sévissant également dans la région lyonnaise, dans l’Aube, la Nièvre et l’Yonne, il honore son pseudo de Fléau en harcelant la Wehrmacht dans toutes ces régions sans jamais être pris ni véritablement inquiété. A l’approche de la libération, il se concentre toutefois sur les cibles de la région parisienne où il exerce avec beaucoup de talent en attendant l’arrivée des alliés.
Fait compagnon de la libération le 31 octobre 1945, il revient après-guerre dans son Pays basque natal où il s’engage dans diverses activités politiques et publiques.
Moins active les armes à la main, mais tout aussi exceptionnelle au niveau de l’engagement et du sacrifice, l’action de René Cassin pendant la Seconde guerre mondiale est celle d’un résistant et d’un gaulliste de la première heure.
S’il n’est pas nécessaire d’être en France métropolitaine pour résister et refuser l’occupant, il n’est également pas indispensable de savoir manier le fusil ou de risquer sa vie pour combattre les nazis. L’histoire de la lutte de René Cassin reste à ce niveau- là exemplaire.
Bayonnais d’origine né en 1887 dans une famille juive, il réalise de brillantes études en droit à la faculté d’Aix-en-Provence et de Paris avant d’être mobilisé en 1914. Revenu de ce conflit grièvement blessé et en partie invalide, il reprend en 1916 sa carrière de juriste en tant qu’enseignant à Aix, Lille puis Paris. Il s’implique par la suite dans divers organismes français ou internationaux, tels la S.D.N. (Société des Nations) dont il devient un ardent défenseur ou l’Union fédérale des anciens combattants. Cependant, son plus important choix public et politique reste sans aucun doute en 1940, celui qu’il fait pour le camp de la liberté et du refus.
En chaire à Paris au moment de l’invasion, il n’admet pas la défaite ni l’armistice et décide, saisi de honte et de colère, de gagner le sud de la France afin de pouvoir rejoindre l’Angleterre et le général de Gaulle dont il a entendu parler et avec lequel il partage les idées de lutte et de résistance. Revenu dans son Pays basque natal, il retourne à Bayonne faire ses adieux à sa mère avant de s’embarquer à Saint-Jean-de-Luz, le 23 juin sur le cargo britannique l’Ettrick avec de nombreuses autres personnalités et des soldats polonais. Cependant, si ces derniers rejoignent la Grande Bretagne pour y reprendre le combat et chasser les nazis les armes à la main, René Cassin lui, à cinquante-trois ans, ne peut que mettre à profit ses compétences juridiques et diplomatiques. Elles sont pourtant vite détectées et appréciées par le chef de la France libre qui fait de cet universitaire, l’un de ses adjoints et son conseiller juridique et diplomatique.
Cassin joue alors un grand rôle dans les signatures des accords entre de Gaulle et Churchill, mais aussi dans les opérations de Dakar et dans le ralliement de plusieurs pays et peuples dont les Basques anti- franquistes du président Aguirre. Toutefois, ses plus importantes missions concernent la rédaction de textes de loi officiels comme les statuts des Forces françaises libres, du Comité national français ou ceux du Conseil de défense de l’Empire dont il devient par la suite secrétaire général.
Ces multiples tâches le positionnent en peu de temps comme un personnage incontournable de la France libre. Ses prérogatives l’amènent en effet à s’occuper, entre autres, des problèmes posés par l’existence d’une armée française en territoire étranger, du ralliement des territoires d’outre-mer et de la nécessité pour la France de continuer à tenir sa place dans le monde. Il occupe, par ailleurs, une place importante à Alger dans le Comité juridique et dans l’assemblée consultative provisoire.
Lors de son retour en France en septembre 1944 il est nommé vice – président du conseil d’état, fonction qu’il assure jusqu’à sa mise en retraite en 1960 et jusqu’à son entrée au Conseil Constitutionnel. Le reste de sa carrière est, par la suite, entièrement dédié à la sauvegarde de la paix dans le monde et au respect des droits de l’homme. Ses combats sont concrétisés par sa participation à la création de la Cour Européenne de Justice, de l’UNESCO et de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. En 1968, l’attribution du prix Nobel de la paix couronne l’ensemble de son œuvre « tournée vers le respect de la personne humaine, de la préservation des libertés et des droits légitimes quelles que soient la nationalité, la race ou de la religion. »1
Combattant acharné, compagnon de la libération, défenseur inépuisable de la liberté, René Cassin est donc à sa manière, sans armes et au grand jour, un très grand résistant, ses compétences étant autant utiles pour la victoire que celles d’un artificier-saboteur ou d’un agent de passage.
En France ou à l’étrange, militairement ou diplomatiquement, la résistance comporte donc autant de formes d’actions qu’il y a de volontaires. Les deux histoires évoquées, malgré leurs importantes différences, prouvent que l’engagement de ces « résistants libres » est à la mesure de ceux restés sur le sol national. Ces choix de lutte, très difficiles à prendre, introduisent donc naturellement leurs auteurs dans le Panthéon des résistants basques et dans la mémoire des personnes qui, aujourd’hui encore, bénéficient de leur œuvre.
1 Cassin René, Les hommes partis de rien, Alençon, éditions Plon, 1987, 490 p.
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