Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.13: La Base Espagne.

 

LA BASE ESPAGNE, RÉSEAU D’ÉVASION MODELE.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°13.

 

 

 

LA BASE ESPAGNE, RÉSEAU D’ÉVASION MODELE.

             Né de l’initiative de deux Béarnais, Jean et François Mazou, mais dirigé durant une grande partie de la guerre depuis Madrid par René Vuillet, le réseau de renseignement et d’évasion Base Espagne représente sûrement l’un des plus importants mouvements de résistance français de toute la Seconde guerre mondiale.

            Spécialisé dans l’évacuation de personnalités, d’aviateurs et d’agents secrets, ce réseau, également appelé Base E, regroupe et centralise dès 1942 plusieurs organisations clandestines sur deux grands pôles qui font offices de plaques tournantes pour leurs activités : Pau et Madrid. Evoquer l’histoire et l’action des réseaux d’évasion pendant la Seconde guerre mondiale se révèle souvent être une tâche particulièrement délicate : leur nombre, leurs spécificités et les multiples interférences entre mouvements rendent en effet cette recherche presque illusoire. Toutefois, en recentrant notre travail sur le département des Basses-Pyrénées et en concentrant nos efforts sur les plus importantes structures, nous pouvons envisager une analyse relativement complète et précise de ces organes centraux et indispensables à la vie de l’armée de l’ombre.

            Référence dans les milieux de l’évasion, modèle pour le renseignement, le réseau Base Espagne représente au Pays basque et en Béarn une institution majeure et incontournable de la lutte contre l’occupant.

                Première organisation française en terme de filières, la Base E rassemble sous l’égide du B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d’Action) en exil à Londres, une multitude de mouvements dirigés par Pierre Vuillet depuis Madrid. Pourtant, si les centres nerveux de cet organe semblent se situer dans la péninsule ibérique et au Royaume Unis, c’est en Béarn (en 1942), sur l’initiative de deux Palois, Jean et François Mazou, que ces fusions trouvent leur origine.

                Ces réunions opérées, le mouvement décide de s’implanter durablement dans le département en faisant de son antenne paloise un «pôle centralisateur» de premier ordre, mais surtout en installant son principal centre de transit (baptisé Générale 418), également appelé Boite aux lettres (BAL), dans la préfecture. Région stratégique par sa localisation au pied des Pyrénées, près d’un pays neutre et de la ligne de démarcation, le Béarn et sa capitale se transforment donc rapidement (suite à ce choix) en une véritable plaque tournante géographique, tactique et militaire de l’évasion et de l’espionnage De très nombreux réseaux de la Base E convergent alors sur cette zone pour évacuer leurs protégés ou pour transmettre des informations.

                Cependant, si le rassemblement de ces organes autour de la Générale 418 s’amorce dès la fin du mois de novembre 1942, il faut attendre le printemps 1943 pour voir le mouvement prendre de l’envergure et s’affirmer comme une organisation de référence dans l’armée de l’ombre. Ainsi, avec plus d’une trentaine de réseaux et dix-huit filières de passage sous sa responsabilité, la Base Espagne s’engage puis s’impose dans la clandestinité et l’action avec cinq principaux objectifs :

            1 – Il s’efforce tout d’abord de faciliter l’évasion de tous les volontaires voulant  rejoindre le général de Gaulle en Angleterre ou les Forces Française Libres (F.F.L.) en Afrique du Nord. Il utilise pour cela l’Espagne et les Basses-Pyrénées comme une plate-forme de transit.

             2 – Les pilotes abattus au-dessus des territoires occupés restent très importants pour les alliés. Une attention et des moyens particuliers sont donc consacrés au sauvetage de ces aviateurs. La Base E devient alors pour ces fugitifs l’une des « portes de sortie » les plus sûres d’Europe.

            3- Autre objectif prioritaire nécessitant d’importants investissements en hommes et en matériel, l’évacuation de «personnalités», commandée par de Gaulle en personne ou par son état-major, qu’il s’agisse d’hommes politiques comme Edmond Herriot ou Gaston Monnerville (tous deux se sont toutefois fait arrêter avant d’arriver à Pau), d’officiers de renom (général Chambre), de hauts personnages de la résistance comme René Cerf-Ferrières, chef national des MUR (Mouvements Unis de Résistance), ou Michel Caillau (neveu de de Gaulle et responsable dans la résistance des prisonniers de guerre), constituent l’une des missions de la Base Espagne.

            Si ce réseau s’oriente avant tout vers l’évasion, la présence dans ses rangs de nombreuses organisations spécialisées dans le renseignement l’amène nécessairement à se donner des objectifs dans ce domaine, on tente ainsi d’en développer plusieurs du côté espagnol ou français (en zone libre ou occupée). Certaines de ces structures se consacrent notamment à la collecte d’informations sur les forces ennemies le long de la frontière et sur les dangers qui guettent les filières d’évasion (organes travaillant essentiellement pour la sécurité des autres organisations).

           4- Dernières missions fixées par la Base E, la transmission du courrier et le passage des messages constitue souvent les sollicitations les plus importantes et les plus vitales pour ce mouvement.

         Agissant dans les deux sens (France-Espagne, Espagne-France), le réseau se voit confier de très importantes missions. L’une d’entre elles consiste par exemple à acheminer le courrier du C.N.R. (Conseil National de la Résistance). Si cette institution, par mesure de sécurité, double ses transmissions et utilise également ses propres filières par le Béarn et le Languedoc, elle fait en général confiance à la Base Espagne et à sa grande rigueur pour faire passer ses plus importants documents. C’est ainsi qu’en juillet 1944, le général de Gaulle sollicite le mouvement pour acheminer le plus rapidement possible et avec les meilleures garanties, les premiers exemplaires du programme du C.N.R. en France occupée. Cette mission est accomplie en moins de 48 heures sans le moindre incident, les frères Mazou ainsi que le passeur Florentino Goïkoetxea se chargeant de sa réalisation, le tout supervisé par le colonel Pouey-Sanchou .

              L’organisation du réseau en elle-même est relativement complexe. Ce dernier installe son centre nerveux et son poste de commandement à Madrid dans les locaux de la Croix-Rouge française (rue San Bernardo). Le colonel Malaise, attaché militaire de l’ambassade de France à Madrid et premier responsable du mouvement, y rassemble ses principaux services avant d’être remplacé à la tête de la Base E (pour des raisons politiques) par le colonel Bezy, puis par René Vuiller qui reste à ce poste durant une grande partie du conflit. Travaillant dans le plus grand secret, ce responsable réussit grâce à de nombreuses précautions à éviter toute infiltration du réseau par l’ennemi (il limite ainsi les pertes liées à ce genre de piège), tout en développant considérablement ce dernier et en l’imposant auprès des plus hautes instances de la résistance.

                Au niveau inférieur, l’organisation de la Base Espagne repose sur un système pyramidal basé sur une série d’intermédiaires qui se retrouvent dans un centre de réception (ou de tri) à Pau. A la tête de ce poste se trouve un agent qui, avec d’écrasantes responsabilités (identification, filtrage, conservation et dispersion des courriers, recherche et embauche de passeurs, hébergement provisoire d’évadés…) contrôle un important «trafic» entre les territoires libres (Afrique du Nord, Royaume Unis), et ceux occupés tout en maintenant cette activité dans la plus grande des confidentialités.

                Malgré les nombreux efforts dans ce domaine, ce centre de tri (ou BAL) change à trois reprises de localisation durant l’occupation. Une sérieuse alerte force les premiers responsables (René et Geneviève Poollot) à cesser leurs activités clandestines à cause des menaces qui planent sur eux. La deuxième boite aux lettres est confiée en 1942 à Gaston et Denise Berdance. Comme leurs prédécesseurs, ils assurent depuis leur domicile palois l’organisation des passages, la collecte des informations et la direction locale du réseau. Ce couple est durant cette année souvent assisté de Sauveur Bouchet et de Pascual Azcano à Licq-Ayherey, mais aussi d’une équipe de pré-filtrage (dont la mission est d’éviter tout risque pour cette BAL), composée de Georges Claverie, d’Eloi Duboscq (chef de bureau à la préfecture) et d’André Lazotthe. Malgré ces précautions, le 22 janvier 1944, M. Berdance est dénoncé par un résistant basque torturé. Interpellé, brutalisé, il tente de se suicider pour ne pas parler. Cependant, soigné, il est à nouveaux violemment interrogé mais résiste sans livrer la moindre information. Son calvaire s’achève finalement en Allemagne où il est déporté. Après ce coup dur, une troisième boite aux lettres se monte chez Georges Beigpregonne à Pau où elle parvient à se maintenir jusqu’à la libération.

                Entre les deux principaux pôles que sont Pau et Madrid (même si plusieurs filières évitent la capitale béarnaise volontairement), les réseaux incorporés dans la Base E entrent véritablement en action et assurent l’essentiel du travail de terrain et des missions. Il s’agit par exemple de l’organisation Démocratie qui s’occupe en 1943, sous la houlette du Palois Longeron, du trajet Pau-Madrid (la partie française est assurée par le commandant Mazou de Monein, celle espagnole par l’abbé oloronais Jacques Lopez  ou de Mécano et de Nana, tous deux crées aussi en 1943 par des responsables palois : Mazou, Laporte, Récaborde, Lacabane, Souda et la comtesse de Lidekerke. Fonctionnant ensemble, ces deux réseaux acheminent hommes et courriers, par la montagne pour Mécano qui est une organisation de la « première génération»1 montée par Gaston Berdance, et par la mer pour Nana qui se spécialise dans le passage de personnalités, souvent incapables d’affronter les longues et pénibles ascensions dans les Pyrénées.

                Nous pouvons également évoquer l’activité de réseaux de l’ORA , intégrés à la Base Espagne (Bretagne et Gascogne) et commandés à Pau par le colonel Revers. Plusieurs structures sont par ailleurs proches de ce dernier : Martial, Gallia , Guynemer, Cazimir, Nordet,  Ber et Armand ou Gisèle

                Au total, ce réseau rassemble plus de dix- huit noms de mouvements. Quatre- vingt personnes, rien qu’en Béarn, sont ainsi prêtes à le servir à tout instant en espionnant, mais aussi en guidant  ou assistant  les volontaires qui fuient les territoires occupés pour combattre les nazis et rejoindre les F.F.L.

               Modèle d’organisation et d’efficacité, le réseau Base Espagne reste une référence dans le monde de l’évasion et du renseignement.

            Né de l’action de volontaires dévoués à leur cause et d’une farouche motivation commune à tous les résistants et les passeurs de la «France combattante», cette BE 418 œuvre donc toute la guerre pour redonner au pays son statut de grande puissance et un espoir de victoire qui n’a jamais abandonné ses membres.

 

¹ Eychenne E. Les fougères de la liberté, Toulouse, éditions Milan, 1987, 339 p.

 

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