Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Résistances: LIBERATION ET RECONSTRUCTION. 68: BILAN DE L’ÉPURATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES.
BILAN DE L’ÉPURATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°68.
BILAN DE L’ÉPURATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES.
Dans cette période troublée et tendue de la libération, les nouvelles autorités issues de la résistance se donnent pour principale mission de rétablir au sein d’une population divisée par quatre années de collaboration, une cohésion et une union qui a tant fait défaut dans ces années noires.
Priorité absolue de cette après-guerre, l’épuration de la vie publique et privée des anciens collaborateurs représente une délicate mission que le C.D.L. (Comité Départemental de Libération) accomplit malgré quelques erreurs avec des moyens humains, financiers et juridiques limités.
Légale et juste, cette phase de réorganisation a donc permis de satisfaire la soif de vengeance de la population mais aussi le désir de justice et d’ordre des autorités qui sont parvenues à s’imposer tout en canalisant les passions nées de la libération.
Si la libération du département en août 1944 donne naissance à beaucoup d’espoirs et de projets d’élaboration d’une société meilleure, la réalité de cette après-guerre reste souvent différente de celle idéalisée par les résistants. En effet, si la lutte armée prend fin glorieusement, celle qui attend durant ces derniers mois de 1944 et l’année 1945 les anciennes forces de l’ombre, s’annonce plus ingrate et dure.
Cette ultime mission, dans le cadre de la réorganisation des sociétés basques et béarnaises, consiste, dans un premier temps, à traquer puis punir en fonction de leurs actions, les personnes qui ont aidé et collaboré avec les Allemands ou lutté contre la résistance en dénonçant, trahissant ou combattant ces réfractaires. Indispensable, bien que passionnelle et douloureuse, cette «épuration» répond aux désirs de vengeance et de justice des populations mais aussi des autorités qui peuvent ainsi imposer un mode de traitement spécifique à chaque type d’affaire. Toute action repose ainsi avant tout sur la légalité des procédures et sur le respect théorique des présomptions d’innocence et des droits de défense. Dans la pratique, cette épuration s’articule principalement autour des détections de suspects et des rédactions de listes. Les arrestations et les internements débouchent ensuite sur des mises en accusations. Les jugements entraînent si nécessaire, en dernier lieu, des punitions.
La charge de cette délicate mission est, dès la libération, confiée aux C.D.L. qui assurent « l’intérim » du pouvoir à l’échelle du département en attendant la mise en place de nouvelles autorités légales. Ils créent, pour cela, des commissions spéciales d’épuration sur lesquelles ils se reposent. L’assistance des nombreux C.L.L. (Comités Locaux de Libération), des services de police et de justice, mais aussi du NAP (Noyautage des Administrations Publiques) issu de la résistance, facilitent et accélèrent les différentes opérations. Concrètement, leurs actions débutent le 28 août, aux premières heures de la libération, par la rédaction de listes de membres de la milice et des groupes collaborationnistes à arrêter rapidement afin qu’ils ne puissent échapper à la justice en s’enfuyant en Espagne, en se repliant avec l’occupant ou en se cachant dans la région. Pourtant, bien avant le départ des Allemands, des actes d’épuration officieux inquiètent déjà un certain nombre de « traîtres ».
Répondant à un besoin vital de sécurité des soldats de l’ombre, ces actions, généralement contrôlées par la hiérarchie militaire, visent les délateurs qui vendent les résistants et les miliciens et menacent les maquis ou les groupes isolés de réfractaires. Entre mars et août 1944, onze exécutions dont une de femme sont ainsi réalisées (quatre avant juin, trois en juillet et quatre en août). Un milicien qui a échappé à cette « répression extra judiciaire » est par ailleurs tué à la libération à la sortie de son procès par des « inconnus ».
Toutefois, malgré ces quelques exemples de dérapages et la forte pression de l’opinion qui exige des résultats, même au moyen de calomnies et de règlements de comptes, le C.D.L. parvient à maintenir ces vagues de répression dans un cadre judiciaire et légal. Pour cela, le comité sollicite les forces de police qui, au préalable épurées et fortes de leurs expériences ou de leurs méthodes, facilitent les recherches tout en évitant les fuites et les jugements populaires. Cependant, la majeure partie de cette tâche étant assurée par la commission d’épuration, le problème du manque de capacités et de maîtrise juridique de cet organe se pose rapidement Face à cette lacune, les nouvelles autorités départementales décident d’accroître les sollicitations des tribunaux, mais surtout de transformer la commission en cour d’épuration et de justice exceptionnelle à durée de vie limitée (six mois). Elle a pour principale mission de créer et de superviser des juridictions d’exception. Cette démarche débouche dans un premier temps sur la constitution de cours de justice militaire, civile et de chambres civiques. Leur légalité dans ce système juridique est basée sur la présence dans les prétoires de magistrats professionnels associés à d’anciens résistants et à des commissaires du gouvernement.
Grâce à la coordination de tous ces moyens, le C.D.L. parvient ainsi à traiter entre août 1944 et juin 1946 près de deux mille sept cents dossiers, soit l’équivalent de 0.65% de la population totale des Basses-Pyrénées. Deux milles d’entre eux débouchent entre septembre et décembre 1944 sur des arrestations qui amènent les autorités à interner les accusés dans les anciens camps vichystes d‘Idron (409 dont 92 femmes), du Polo-de-Beyris, sur la côte basque (412 dont 127 femmes) et de Gurs (819 dont 232 femmes). Les différentes cours de justice en place du 30 septembre 1944 au mois de juillet 1947 réalisent à elles seules plus de deux cent cinquante audiences, près de trois cents prévenus étant mis en examen puis condamnés. Toutefois, s’il est entendu que cet organe se charge particulièrement des cas les plus graves et les plus importants, les peines prononcées ne sont pas pour autant particulièrement sévères. Elles prennent en effet en compte le type et la gravité de l’engagement au côté de l’ennemi, mais aussi les circonstances atténuantes.
Nous pouvons ainsi constater qu’une véritable graduation des peines est mise en place. La plus lourde, la peine de mort, est prononcée trente-neuf fois, dont quatre fois pour des femmes. Toutefois, parmi ces condamnations, seulement trois débouchent sur une exécution capitale (le 23 décembre 1944, le 12 février 1946 et le 15 octobre 1947), les différents recours ayant été vains, et six sont commuées en peines de travaux forcés à perpétuité. Les trente derniers cas sont des peines prononcées par contumace, après la fuite des accusés en Espagne (onze d’entre elles, après reddition, seront commuées en travaux forcés).
Au-delà de ces condamnations à mort, une grande partie des sentences concerne, pour 93 hommes et douze femmes, des peines de travaux forcés. Ces dernières sont prononcées à réclusion à six reprises et à perpétuité à trente (dont deux femmes). La majorité des condamnations (57) porte sur des incarcérations d’une durée de cinq (vingt cas) à plus de vingt ans (neuf cas). Vingt-six fautifs payent pendant plus de dix ans leurs erreurs.
La prison reste toutefois la sentence la plus appliquée, puisque 109 accusés, dont 39 femmes, sont incarcérés pour une durée qui s’échelonne entre trois mois et cinq ans. Malgré les remises de peines et les différentes lois d’amnistie, le temps moyen passé en pénitenciers est concrètement de deux ans.
A présent, les cours étant trop sollicitées, les chambres civiques sont également mises à profit afin de traiter les cas de délits moins importants. Des peines plus symboliques comme l’indignité ou la dégradation nationale, sont ainsi très souvent prononcées. En exercice du 22 novembre 1944 au 9 juin 1948, cet organe de justice au total se réunit 72 fois pour juger 567 cas, (73 originaires des Landes ou des Hautes-Pyrénées). Contrairement à la juridiction supérieure, cette chambre se montre dans l’ensemble assez sévère, ses jurés condamnant, malgré les différentes «excuses» et remises de peines, les prévenus à des périodes d’indignité allant de cinq à dix ans pour 174 (principalement des membres de mouvements collaborationnistes (62% des cas). Les actions les plus graves comme celles allant à l’encontre de la sécurité de l’Etat ou comme l’engagement de volontaires dans l’armée allemande sont punis par des peines comprises entre dix ans et la perpétuité.
Pourtant, malgré cette relative lourdeur des sentences, les magistrats parviennent à innocenter de nombreux accusés. 126 acquittements, cinq relaxes et 63 réhabilitations d’indignité nationale pour faits de guerre sont ainsi également prononcées.
Justes et échelonnées selon les responsabilités, ces sanctions permettent donc aux sociétés pyrénéennes, dans des conditions apaisées et de droit respecté, de refermer les nombreuses plaies héritées de quatre années d’occupation et de collaboration.
Devancée puis complétée par une épuration administrative et économique, cette période de réorganisation et de renaissance du département est donc vue comme une étape indispensable de l’immédiate après-guerre, son caractère à la fois autoritaire et indulgent satisfaisant la population revancharde comme les pouvoirs civils. Ainsi, loin de la comparaison avec la terreur révolutionnaire qui est souvent faite, cette épuration, critiquée et démesurée dans d’autres départements, reste donc dans les Basses-Pyrénées, une référence de gestion des tensions et des divisions de la libération, l’une des grandes satisfactions du C.D.L.,étant donné que « le sang n’a pas coulé. » 1
1 Ader C. et Naprous B. Le Comité Départemental de Libération des Basses-Pyrénées (1944-1945). Pau, UPPA, TER, 1974-1975, 212 p.
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