Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.21: UN EXEMPLE DE TRAHISON.
UN EXEMPLE DE TRAHISON: L’AFFAIRE DEL ESTAÏ.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°21.
UN EXEMPLE DE TRAHISON: L’AFFAIRE DEL ESTAÏ.
Depuis plus de cinquante ans, le monde des passeurs souffre d’une légende noire qui insinue que durant la seconde guerre, nombre d’entre eux ont profité de la situation pour s’enrichir ou pour abuser de la faiblesse des évadés en trahissant, abandonnant ou livrant à l’ennemi les personnes qui les ont sollicités pour se faire guider jusqu’à la frontière.
S’il est impossible de nier l’existence de mauvais agents ou de traîtres, il faut cependant relativiser leur nombre et souligner le caractère marginal de ces cas. Les différents travaux du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale n’en répertorient en effet que sept, réellement qualifiés de « mauvais » et « dangereux ». Parmi ces exceptions, un exemple, bien connu et bien étudié, illustre parfaitement ce que peut être un passeur malhonnête : le cas Del Estaï.
L’échec d’une tentative de passage peut être lié à plusieurs facteurs : conditions difficiles de traversée, erreurs des évadés, dénonciations, embuscades ennemies… L’un d’entre eux semble cependant particulièrement marquer les esprits et retenir l’attention des personnes qui travaillent sur ce sujet : les cas de trahison et d’abandon de fugitifs par des passeurs malhonnêtes.
Présents dans de nombreux récits d’anciens évadés ou déportés, ces exemples restent malgré tout marginaux et ne concernent que quelques cas par département. Dans les Basses-Pyrénées, sept sont recensés par Louis Poullenot et les archives du C.D.L. (Comité Départemental de Libération) comme étant malhonnêtes. Si nous pouvons supposer d’après les enquêtes que les chiffres officiels sont inférieurs à la réalité, ils ne restent en aucun cas comparables à ceux des bons et vrais passeurs.
Selon un rapport de René Chassagne, trois fautes principales justifient et expliquent une telle qualification : la méconnaissance des itinéraires, l’abandon de groupes avec de mauvaises indications et la vente de ravitaillement ou d’une course à prix démesuré1. Sur la base de ces critères, il devient alors facile de trouver dans chaque département de la chaîne des Pyrénées, au moins un exemple de traître ou de profiteur. La littérature spécialisée et les nombreux témoignages écrits ou oraux de l’époque regorgent en outre de telles illustrations.
Ainsi, dans les Basses-Pyrénées, le cas de la famille juive Konkier qui se retrouve (après avoir payé au prix fort son passage le 21 décembre 1943) sans guide au moment de partir ou celui de Jacques Meyer sont assez significatifs. Parti de Pau en direction d’Oloron puis Tardets d’où s’élance sa caravane le 29 avril 1943, ce dernier est abandonné de nuit, en pleine forêt d’Iraty, par les passeurs (épuisé, il ne peut suivre le reste du groupe) qui lui promettent de revenir le prendre au retour pour la descente vers le village. Au lieu de ça, ce fugitif se trouve à son réveil seul, dépouillé et perdu, et ne doit son salut qu’à un autre convoi qui passe par ce chemin et le prend en charge jusqu’à sa destination. Il en est de même pour trois étudiants lillois abandonnés en pleine montagne ou pour ce réfractaire du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire), M. Vignau-Loustau, de Nay, qui est conduit par un passeur de Sarrance vers Sainte-Engrâce (au lieu d’Isaba en Espagne) où attend un guet-apens allemand qui fait trois morts.
Cependant, ces «mauvais» passeurs n’agissent pas seulement contre les évadés. Certains d’entre eux se déshonorent également en faisant du trafic avec les Allemands (contrebande, passage… surtout au Pays basque), ou pire encore en livrant contre récompense les évadés à la Gestapo et aux douaniers.
Le cas le plus connu et le plus marquant reste celui du travailleur espagnol Del Estaï. Engagé comme beaucoup de ses compatriotes des chantiers d’altitude comme passeur par les filières aspoises Maurice, il entre selon certains témoins dès avril 1943 au service de la Gestapo. Trahissant pour de l’argent, il essaye ainsi à plusieurs reprises de vendre des évadés isolés.
Pourtant, il faut attendre le mois de juillet 1943 pour que les responsables du réseau commencent sérieusement à s’inquiéter et à se méfier. M Cabanot est l’un des premiers à proposer le remplacement de Del Estaï par un nouveau passeur moins dangereux. Malgré ces mises en gardes et ces soupçons, les drames se jouent sans que les responsables ne puissent intervenir. La première grande trahison (qu’il camoufle en accident) entraîne l’arrestation d’un convoi à Sarrance au cours duquel il feint une évasion pour justifier son sort par rapport aux autres prisonniers. Informé de ces arrestations massives, l’agent intermédiaire d’hébergement d’Oloron (M Larracq) prévient immédiatement le commissaire de police de la sous- préfecture qui réalise rapidement l’origine de cette tragédie. Toutefois, ce dernier ne pouvant intervenir et neutraliser le traître de peur de dévoiler ses liens avec la résistance, il reste impuissant face à la perte du second groupe.
Intercepté à Eysus, au sud d’Oloron, ce convoi est facilement encerclé par la Wehrmacht sans que les fugitifs ne puissent se défendre (les indications de Del Estaï ne leur laissent aucune chance). Cependant, en plus de livrer ces prisonniers à la Gestapo, l’ouvrier espagnol fourni également à cette occasion aux agents allemands (contre une «prime») une liste de contacts, plus ou moins importants et actifs dans l’armée de l’ombre, en postes dans le département ou dans le Sud-Ouest. Parmi ces derniers, plusieurs périssent par la suite dans les camps de la mort ou dans les geôles de la police secrète :
– MM. Larrasc et Aretche, responsables du trajet Pau-Oloron
– A Costa, son collègue passeur des chantiers d’altitudes
– Bastries : chef du réseau à Toulouse.
De même, au-delà du réseau Maurice, deux filières béarnaises sont également stoppées par cette trahison. Leur responsable, le très actif marchand de chevaux Gimenez de Monein, est arrêté avec la famille Tellagory (ce dernier est pourtant à la tête d’un groupe de quarante hommes armés).
Recherché et condamné par tous les résistants des Basses-Pyrénées après la dénonciation à l’hôpital d’Yves Montel (blessé lors de son arrestation), le «faux» passeur est alors obligé de réduire ses activités et de s’enfuir avec sa famille en Allemagne pour échapper aux attentats vengeurs lancés par ses anciens camarades de lutte. Sa trace est toutefois perdue au moment des combats de libération du Reich contre lesquels, selon plusieurs témoins, il lutte.
Nous avons donc à travers l’exemple de Del Estaï une illustration type de passeur malhonnête et avide. Pauvre, exilé, mal payé, il travaille en effet comme beaucoup de guides pour le seul attrait de la rémunération. C’est donc pour cet intérêt financier qu’il trahit le réseau, la Gestapo offrant aux agents de la résistance retournés, en plus des affaires des évadés et de leur argent, une somme de dix mille francs par homme. Cet attrait explique entre autres près de Tardets la vente de trois convois par A.M., passeur du réseau Françoise peu de temps après.
Si ces quelques exemples de passeurs qui trahissent, abandonnent ou volent des évadés peuvent donner de cette fonction une image négative, il reste toutefois une très large majorité de cas où des guides se sacrifient ou se font prendre. Beaucoup d’entre eux laissent ainsi leur vie sur ces sentiers de montagne pour de symboliques gratifications.
Présentes dans les Basses-Pyrénées, la malhonnêteté et l’avidité de certains passeurs peuvent donc expliquer quelques cas d’échecs. Reconnus, mais en aucun cas représentatifs de l’ensemble de ces résistants, ces exemples de traîtres constituent les fondements et l’origine de la lourde et durable légende noire des passeurs des Pyrénées.
1 Poullenot L. Basses-Pyrénées, occupation, libération, 1940-1945, Biarritz, J et D éditions, 1995, 361 p.
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