Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

BEDORA Roger. Vivre en zone occupée à Sault-de-Navailles.

 

 

Témoignage de Roger BEDORA, recueilli par Bernard PEDEBOSCQ en mai 2012.

Extrait de « Histoire et Mémoire de Sault-de-Navailles », n°4, en vente à la mairie.

 

Vivre en zone occupée à Sault-de-Navailles.

 

 

 

 

J’avais 16 ans quand les Allemands sont arrivés à Sault(1). J’habitais en zone occupée sur la place du Bourg Neuf (maison Pémousse) avec mes parents, mes deux jeunes frères, ma dernière sœur et ma sœur aînée mariée qui attendait pour septembre son deuxième garçon.

La vie quotidienne

 Tout de suite j’ai été impressionné par la discipline qui régnait dans cette armée. Je me souviens de soldats bien alignés, marchant au pas, venant de Castaignos, se dirigeant vers le Luy de Béarn pour se baigner. Ils chantaient à tue-tête « Heidi, Heido, Heida. » Pendant toute cette période de l’occupation, je n’ai pratiquement pas quitté mon quartier car on appréhendait de se faire arrêter. Mon laisser passer (ausweis) me permettait de traverser la ligne pour aller en zone libre mais je ne l’utilisais que pour mener les vaches aux champs de l’autre côté. Une fois, un des Allemands qui surveillait et qui me connaissait de vue, m’a fait très peur en m’interpellant. La maison voisine, Mangane chez Dupuy, avait été réquisitionnée pour servir d’infirmerie. Nous connaissions bien le gentil infirmier qui nous donnait des friandises. Parfois il prenait la soupe ou le café à la maison, mais un jour il est parti. Chez Crabos, pour héberger des chevaux les Allemands avaient réquisitionné la grange et le foin. On a souvent vu une trentaine de cavaliers descendre de la côte de Marpaps vers le bourg à vive allure.

Les douaniers

 Deux postes de douaniers français avec barrière mobile non surveillée régulièrement étaient installés dans notre secteur; l’une en haut de la côte de Bicat, au carrefour avec la route de Bassercles – je la soulevais pour faire passer les vaches – et l’autre en bas de Bicat, sur le chemin de  Beyries au  niveau du  chemin qui  descendait de chez Plaisance.  On craignait presqu’autant les douaniers français qui faisaient en zone libre également des contrôles. Lorsque avec sa carriole à cheval Nini Dupuy – la grand-mère de Michel et de Jean-Louis devait transporter quelques passagers clandestins de l’autre côté, elle attendait que je lui fasse signe que la voie était libre depuis le chemin de Beyries pour s’avancer vers chez Bareillat où elle les déposait. Je savais en effet où les Allemands se postaient fréquemment sur le bord du chemin en faisant leurs patrouilles. Ils avaient installé un banc pour surveiller, dans une haie très épaisse. Dans le quartier, à l’approche des soldats, nous étions alertés par un signal sonore qui nous prévenait. Le chien de chez Rose ne pouvait pas supporter les uniformes et aboyait dès que la ronde passait à proximité. Il les sentait même lorsqu’ils passaient le long de la rivière de Beyries à une cinquantaine de mètres. Un jour, un officier a sorti son revolver pour l’abattre. Il a fallu isoler le chien et l’attacher derrière chez Lasserrre où il était malheureux.

La peur de mon beau frère

 Joseph Pédeboscq, le mari de Lucette ma sœur aînée, effectuait en zone libre sa période militaire dans les Chantiers de Jeunesse à Laruns, Ossun puis à St Pée-de-Bigorre dans le Groupement n° 30(2) . Fin septembre 1940, il obtient une permission de trois jours pour venir voir son deuxième fils qui vient de naître chez nous. Venant d’Hagetaubin à pied par les chemins, il décide de passer la frontière de nuit par la côte de Bicat, A mi-côte, il entend des bruits de bottes de personnes qui montent. Sans hésiter, il se jette dans le fossé et s’allonge face contre terre. A son niveau, les personnes s’arrêtent un moment puis repartent. Il est arrivé à la maison avec des escargots qui se déplaçaient sur son manteau.

Le facteur est arrêté

 Un jour Georges Junqua dit Pomadin, avant qu’il ne se fasse passer pour «définitivement muet (3) » aux yeux de tous, arrive précipitamment à la maison pour nous informer que mon père qui faisait sa tournée de facteur avait été arrêté par les allemands au poste de Berdouilles. Je me suis déplacé jusqu’à la Poste le plus discrètement possible pour avoir des renseignements sans obtenir de précision. Il a été libéré dans la soirée. Je pense que les Allemands ont voulu contrôler les courriers qu’il transportait et savoir s’il n’infiltrait pas des lettres en zone libre. D’ailleurs son ancienne tournée sur Sault avait été partagée en deux. Il n’était habilité qu’à desservir la zone occupée, la rue principale et les habitations côté ouest. La tournée de la partie de Sault de la zone libre était assurée par un facteur venant d’Hagetaubin jusqu’à l’extension de l’occupation sur la zone libre.

Réquisitionné pour l’opération Todt

 Plus tard, avec une vingtaine de jeunes saultois (Jean Gardères Chin, Louis Testemale Samaré, Marcel Vaissière, Robert Lafosse, Albert Broustau, Fernand Simon…), j’ai été réquisitionné par les Allemands pour participer à l’opération Todt(4) . Dirigé sur Saint-Jean-de-Luz j’ai été embauché au travail obligatoire pour construire les « blockhaus » du mur de l’Atlantique, sur la côte de Saint-Jean-de-Luz à Biarritz. J’ai eu la chance d’être affecté au ferraillage, secteur plus tranquille que la fabrication du béton. Nous faisions des treillis avec des barres de fer qui, transportées sur place, armaient le béton pour la construction des « blockhaus ». Louis Testemale a pu rapidement revenir chez lui comme soutien de famille.

Au bout de trois mois, un médecin m’a déclaré malade et donné une permission de 8 jours pour revenir un temps à Sault. Je n’ai jamais voulu rejoindre mon poste et j’ai aménagé dans notre grenier une cache dans le foin en cas d’alerte. Devenu clandestin, je me suis dissimulé et dès qu’apparaissaient quelques soldats je me dirigeais vers la grange de chez Saint Laurent en haut de la côte de Castaignos pour me cacher. Un jour avec Chin nous nous serions faits prendre si Marguerite Larrère ne nous avait pas prévenus à temps que des Allemands occupaient justement la grange. Par la suite, toujours avec Jean Gardères, nous avons organisé une filière de fuite par notre jardin, Marpaps, Nassiet pour se réfugier dans le bas de Brassempouy dans la ferme isolée d’un de mes oncles Nous avons souvent effectué la navette avant la fin de la guerre. Un jour, le Luy de France étant en crue, nous devions faire 50 mètres dans l’eau et Jean a failli tomber et s’est bien  mouillé.

Camouflés dans le «bros»

 Mon beau frère, libéré le 31 janvier 1941 du Chantier de Jeunesse n° 30 de St Pée de Bigorre, devait rejoindre son poste d’instituteur avec sa femme, au hameau de Bugnein près de Navarrenx en zone libre. Illégalement en zone occupée et ne possédant pas d’ausweis, il fallait trouver le moyen de leur faire passer la ligne. Mon père a alors équipé une charrette avec un plancher supplémentaire incliné de l’avant à l’arrière préservant un espace suffisant pour que, de dos à la route, nos deux passagers puissent se dissimuler en restant assis. Du foin puis du fumier ont complété le chargement. J’ai alors comme d’habitude, guidé l’attelage de vaches avec le plus de sérénité possible. Grâce à mon laisser passer, nous avons traversé la ligne sans difficulté. Je les ai déposé en haut de chez Mascles, bien au delà du poste frontière du chemin de Bassercles par la côte de Bicat pour qu’ils rejoignent leur destination, à pied et à l’aide sans doute d’un vélo déposé chez des amis. Mon retour s’est fait sans encombre. Plus tard quand les Allemands ont occupé tout le territoire, ils passaient plus normalement à Orthez par la barrière du  poste de Magret avec leurs deux petits enfants. Avec une seule bicyclette, ils se relayaient en la déposant à tour de rôle dans le fossé pour continuer à pied et la récupérer chacun son tour un peu plus loin. Et ainsi de suite, jusqu’à Bastanès…

Le charnier du Pont Long

 A la Libération, inscrit aux Forces Françaises de l’Intérieur (les F.F.I)(6), j’ai été affecté à Pau, au Lycée Louis Barthou d’abord puis à la Caserne Bernadotte pour monter la garde et surveiller les prisonniers allemands que l’on enfermait dans des cellules, que l’on faisait travailler dans des tâches de voirie ou de terrassement. Le souvenir le plus éprouvant, c’est lorsque l’on a découvert le charnier des martyrs de Portet (7). En bordure de la route de Bordeaux, près du centre de tir, au niveau de l’ETAP, l’armée allemande avait fusillé et enterré 43 résistants surpris le 3 juillet 1944 à la meurtrière attaque du maquis actif de Portet près de Garlin. Sous notre surveillance, le fusil chargé, prêt à tirer, pendant plusieurs jours, des prisonniers allemands et des miliciens (8) ont dû déterrer des cadavres pour les identifier et leur donner une vraie sépulture. Ils ne faisaient pas les fanfarons.

Début 1945, je me suis retrouvé avec Robert Lafosse, ensuite, à 75 km au Sud de Bordeaux, à la base aérienne de Cazaux bombardée et ruinée pour garder les avions, puis à Mont de Marsan où je distribuais l’essence. J’aurais sans doute continué dans l’armée si ma mère en pleurs, dans la situation difficile du moment, n’avait pas insisté pour que je revienne donner un coup de main à la maison.

Notes  (Bernard Pédeboscq)

 (1) Arrivée des allemands dans l’après-midi du 23 juin. Occupation d’Orthez du 28 juin 1940 au 22 août 1944. A Sault-de-Navailles 300 soldats ont stationné et installé la ligne le 25 juin. Ils avaient sur place 200 chevaux. Les allemands envahissent la zone libre le 11 novembre 1942.

 (2) Vichy supprime le service militaire et le remplace dès 30 juillet 1940, par une organisation paramilitaire inspirée du scoutisme, les chantiers de jeunesse pour encadrer les jeunes de 20 ans et les endoctriner à l’idéologie de Vichy. Des officiers démobilisés après la défaite les encadrent dans des camps près de la nature pour des travaux d’intérêt général. Sur une durée de 6 puis de 8 mois, ils ont existé de 1940 à 1944.

 (3) Pour éviter de partir au S.T.O., Georges Junca (Pomadin) imagine de devenir subitement muet. On l’appelait « lo Mut ». Les allemands n’ont jamais découvert sa supercherie. Sa fiancée connaissait le secret, le facteur Joseph Bédora à qui il parlait, également.

 (4) L’opération Todt du nom d’un ingénieur du Reich a consisté dès 1938 à mettre en place les moyens de construire les infrastructures nécessaires à l’expansion de l’Allemagne. Cette opération a piloté la construction du mur de l’Atlantique du Danemark à Arnéguy : batteries de tirs, bunker, blockhaus, casemates… Sauf erreur, sont réquisitionnés à Sault, Roger Bédora, Jo Haurie, Jean Gardères, Robert Théodore, Louis Testemale, Vaissière (Lamouynette) et quelques autres…

 (5) Le Service du Travail Obligatoire, initié par Vichy en février 1943, pour plaire aux Allemands devait envoyer dans des usines allemandes qui manquaient de main d’œuvre des jeunes hommes – et quelques jeunes filles – pour travailler. On les nommait les « requis ». Par ailleurs, certains s’engageaient volontairement convaincus par l’idéologie nazie. D’autres refusant le S.T.O. sont entrés dans la clandestinité et la Résistance. 2090 départs sont enregistrés pour le département, soit 1 jeune sur 3 pour les tranches d’âge réquisitionnés.

 (6) Les F.F.I c’est la fusion le 1er février 1944 des principaux groupements militaires de Résistants : Armée Secrète (A.S.), Francs Tireurs Partisans (F.T.P.), Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.), Gaullistes, Communistes… Le Commandant André Pommiès, (né à Bordeaux 1904, mort à Arbus en 1972) chef O.R.A. du Corps Franc Pommiès ne donnera son accord aux F.F.I. que le 14 juillet 1944. Venant de Toulouse, il libère Tarbes puis Pau les 20 et 21 août 1944, opère dans le Sud-Ouest et, fondu dans le 49e RI, ira jusqu’en Allemagne.

 (7) Après l’attaque meurtrière du 3 juillet 1944, 120 résistants maquisards cantonnés sur le village de Portet près de Garlin ont été pris au piège par 1200 soldats allemands venus de Pau. Une vingtaine de résistants (16 identifiés) ont péri, 5 civils dans l’incendie de leur maison, 20 fermes incendiées, des maisons saccagées et pillées. Les 45 prisonniers F.F.I. conduits à Pau, interrogés et torturés furent assassinés et jetés pêle-mêle dans 4 fosses communes à l’aube du 6 juillet en bordure de la route de Bordeaux (devenue avenue des Martyrs du Pont Long) dans un petit bosquet près du stand de tir. Le charnier découvert par Gaston Esteben, ouvert les 25 et 26 août, comprenait également 4 victimes de Monein. L’exhumation dura plusieurs jours. 20 prisonniers allemands et 20 miliciens surveillés par un groupe de F.F.I., en furent chargés. Ils ont dû se mettre à genoux devant les cercueils avant l’inhumation au cimetière de Pau. Sur les 39 identifiés : 10 étaient du Gers, 8 des Landes, 4 des Basses Pyrénées… Voir « Portet, 3 juillet 1944 » de Virginie Picaut Ed. MonHélios 2009 – « Orage de feu et de sang sur Portet » de Maxime Malompré et Carole Nicolas Ed. Marrimpouey 2003

 (8) La milice française créée le 30 janvier 1943 est une organisation paramilitaire pro-allemande commandée par le collaborateur français Joseph Darnand qui rallie l’extrême droite de l’époque pour prendre part à côté des nazis à la lutte contre la Résistance.

 

 Carte détaillée de la ligne de démarcation en amont et en aval de Sault-de-Navailles.

Carte établie par Bernard Pédeboscq.

Désolé, les commentaires sont fermés pour cet article.