Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

CABANE Jean Albert

CABANE

Mr Jean Albert CABANE

Rue de la Hourquette, Eslourenties  64420.

Témoignage recueilli le 29 septembre 2011.

 

Extrait du courrier adressé par M. Cabané à l’association pour proposer son témoignage. L’intégralité de ce courrier est disponible dans les fichiers attachés.

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  • Né le 22 avril 1922, ayant toujours vécu aux environs d’Eslourenties dans une famille d’artisans et de petits paysans.
  • Témoigne d’un vécu de guerre «ordinaire», commun à une grande partie de la population rurale béarnaise dispersée dans de nombreux villages comme Eslourenties (au-dessus de Soumoulou, canton de Morlaas).
  • 17 ans à la déclaration de guerre ; pas d’engagement particulier de la famille ; le quotidien du village, peu changé par la guerre, peu d’échos des événements ; on entend parler de quelques combats tragiques – Portet – . Quelques prisonniers de guerre, les réquisitions atténuées par le comportement modéré du maire affecteront peu la vie paysanne en grande partie autarcique.
  • Destinée de Jean Albert Cabané pendant la guerre : mobilisé d’abord dans les chantiers de jeunesse à Foix pendant 8 mois (service civil obligatoire créé par le gouvernement de Vichy après l’armistice, regroupant les jeunes citoyens en âge de service militaire), réquisitionné ensuite en 1943 pour le S.T.O., recrutant les jeunes Français par classe d’âge. Après être resté sur toute la période en Autriche, aux environs de Vienne, ne reviendra en Béarn qu’en 1945.
  • N’a témoigné de cette période qu’auprès de sa famille ou auprès de quelques camarades des chantiers de jeunesse où certains, plus rares, du S.T.O. N’a jamais senti de curiosité particulière à l’extérieur sur cet épisode de la guerre pourtant souvent traumatisant et largement partagé par la jeunesse française de l’époque. 5000 jeunes « déportés du travail » pour les Basses-Pyrénées. Mr Cabané est particulièrement touché par l’appel à témoins de notre association sur cet épisode.
  • Témoignage concis et modeste empreint d’humilité, de lucidité, de fatalisme légaliste et d’une grande sagesse.
  • Le quotidien du S.T.O. vécu par Mr J. A. Cabané appartient évidemment au cadre commun de contraintes propres au S.T.O., mais il illustre en même temps, comme en ce qui concerne les prisonniers de guerre, la particularité de chaque situation personnelle.

Témoignage : le bouleversement imposé par le contexte de guerre dans le quotidien d’un jeune béarnais.

 

  • 1939/1940, Eslourenties : une ruralité commune en Béarn.

A 17 ans, J.A. Cabané partage la vie de la plupart des villageois de cette époque. Fils de paysan modeste, à l’occasion artisan, il connait une vie simple mais sans privations. Comme dans tous les villages, les séquelles de la première guerre demeurent mais on ne se préoccupe guère de politique, on vit une sorte d’autarcie. Les grandes sorties se limitent au marché et, plus rarement, à Pau

M. Cabané passe le Certificat d’Etudes et apprend le métier de menuisier et électricien, pour les besoins de l’entreprise, il obtient, à 17 ans, parmi les plus jeunes, son permis de conduire, ayant été déclaré « d’utilité nationale », son patron ayant été mobilisé et lui ayant confié l’affaire en tant que chef d’atelier. Il n’a aucune préoccupation politique particulière « ne connais pas ».

Les débuts de la guerre le marquent à travers eux épisodes :

  • Son père est mobilisé pour conduire des chevaux en gare de Pau;
  • Son patron est appelé comme soldat et fait prisonnier ; malgré son jeune âge, Mr Cabané va le remplacer à la tête de la petite entreprise, pouvant notamment livrer les cercueils grâce à son permis de conduire.
  • Chantier de jeunesse à Foix jusqu’en 1943.

M. Cabané passe 8 mois à Foix dans les chantiers de jeunesse où il apprécie l’ambiance de camaraderie et de travaux collectifs. Il reviendra à Pau pour la visite du Maréchal Pétain. Après la guerre, il gardera des relations avec les anciens des chantiers de jeunesse.

  • 1943 : l’incorporation au S.T.O.

A son retour de Foix, le jeune homme de 21 ans est convoqué pour une visite médicale à Lembeye. Il est reconnu apte au S.T.O.

Il ignore précisément ce dont il s’agit, si ce n’est d’un départ pour le travail en Allemagne. Il fait partie des premiers contingents réquisitionnés. Dans ses connaissances pas de précision sur la nature de ce S.T.O., il est , par contre, conscient des sanctions auxquelles il s’exposerait, lui et sa famille, en cas de refus. Il n’a pas dans sa petite commune rurale de précédent de jeune comme lui, soit étant déjà parti, soit s’étant mis hors la loi par la désobéissance. Il n’a pas non plus la connaissance de réseaux de « résistance » ou « d’évasion ». Livré à lui-même, ne voulant en aucun cas gêné sa famille, il accepte avec fatalité, légalisme même. Il est cependant clairement conscient du « saut dans l’inconnu ».

Quelques jours après cette visite médicale, il reçoit, par la gendarmerie, son ordre de réquisition et de départ depuis de la gare de Pau. Foule et désordre sont indescriptibles. Les familles sont venues accompagner les jeunes ; la foule est agitée voire hostile dans l’anxiété de la séparation, dans ce contexte, les forces de l’ordre paraissent débordées, les trains ne sont pas là ; les jeunes requis sont alors séparés des familles et rassemblés pour un départ d’Assat. C’est là, sous l’autorité des forces d’occupation allemandes, qu’ils embarquent dans les trains qui les attendaient. M. Cabané voit dans ce transfert de Pau vers Assat un scénario organisé pour éviter des troubles avec la population civile.

Il arrive à Paris dans un centre de regroupement et de contrôle de ces requis pour le S.T.O. ; les premières « orientations » sont ainsi effectuées : avec tout un groupe Jean Albert Cabané est affecté à Berlin. Comme la plupart des jeunes ruraux français, il n’a jamais connu un tel éloignement de son village natal. C’est, semble-t-il, avec résignation qu’il accepte son sort. Les conditions du voyage sont correctes sous une surveillance rigoureuse allemande.

  • Le S.T.O. en Allemagne (1943 – 1945).

Le regroupement à Berlin permet à l’administration du Reich de trier les requis du S.T.O. en fonction de leurs compétences. M. Cabané va être utilisé pour ses deux spécialités de menuiserie et d’électricité.

Il est envoyé en Autriche, dans la banlieue de Vienne.

Dans un premier temps, dans les usines Messerschmitt (aviation) de Wienerstad, ensuite, plus longuement et définitivement, (jusqu’à sa libération en 45) dans un atelier artisanal de menuiserie comptant plusieurs dizaines d’employés de Ebreimdorf, petit village proche de Vienne .

Dans les usines Messerschmitt, la main-d’œuvre est diverse : Allemands et étrangers requis, de natures juridiques diverses (S.T.O., prisonniers..). L’usine est organisée comme un camp militaire étroitement gardé (fils de fer barbelés, miradors, soldats). Il n’est évidemment pas autorisé à sortir de l’enceinte de l’usine qui pourvoit à la nourriture et à l’hébergement, d’ailleurs dans des conditions satisfaisantes. Jean Albert est câbleur dans la chaîne de montage du chasseur Messerschmitt. Pour son travail posté, il est seul, l’avion arrivant devant lui dans une sorte de cage ; l’ouvrier le précédant câble un coté et lui l’autre en devant respecter des codes de couleurs. Le sabotage n’est pas possible, les circuits étant vérifiés en fin de chaîne, chaque électricien ayant une responsabilité « individuelle ». En fonction des besoins, après son départ de cette usine, il reviendra y faire des courtes périodes ; à cette occasion, vers la fin de la guerre, il mesurera l’importance de la propagande nazie : il sera sur une photo de la chaîne de montage avec Himmler en visite, sur un cliché évitant soigneusement de montrer la rupture d’approvisionnement « moteurs » de l’usine.

Le gros atelier de menuiserie d’Ebreimdorf. Il s’agit en fait d’une petite usine rassemblant plusieurs dizaines d’ouvriers. Les patrons, un couple sans enfants, vont témoigner d’une chaleur, d’une amitié et d’une confiance particulières à l’égard de Jean Albert. Ils lui demandent à plusieurs reprises de revenir ou de rester quand la guerre sera finie pour reprendre la direction de l’établissement.

Dès le début, il sera traité comme leur fils, nourri et logé dans la maison personnelle voisine de l’usine. M. Cabané se rappelle encore des chemises aux cols amidonnés et de la veste qui l’attendaient sur la chaise de la cuisine quand il venait déjeuner. Il partage les repas du couple en semaine, ne mangeant en solitaire dans sa chambre que le dimanche au cas où des visiteurs de ses patrons s’étonneraient de leur proximité avec un étranger.

Le propriétaire de l’atelier, tout en travaillant pour les Allemands, reste critique du régime nazi ; avec Jean Albert, il essaye d’écouter Radio Londres sur le poste de la maison , affichant dans les ateliers croix gammée et portrait d’Hitler, il ne fait le salut nazi qu’en présence du groupe d’ouvriers, jamais dans l’intimité. Mr Cabané, dès le début, devient contremaître de l’usine, il est payé, il a un laissez-passer et un permis de conduire allemand pour livrer la marchandise, il est libre de ses mouvements à l’extérieur du travail et on lui a pris un abonnement au petit cinéma de la ville.

L’usine produit des pièces de menuiserie diverses dont 20 brouettes pour le Reich, elle assure des commandes domestiques pour les habitants de la ville qui apprécient le travail et la livraison du contremaître français. Il garde, sauf incidents mineurs, de bons contacts avec la population autrichienne : incident au cinéma où un garde allemand le refuse malgré son abonnement ; Jean Albert va se plaindre à la gendarmerie locale qui fait céder le « cerbère », incident de « drague » mal comprise et plus tard corrigé avec une jeune policière de la commune. Il a même le droit de visiter Vienne, il découvrira « Schönbrunn » mais, lors de sa deuxième visite, se perdra dans la capitale et sera ramené dans son « village » par les autorités, il ne nomadisera plus.

1944, au cours des bombardements alliés sur les banlieues de Vienne, l’usine Messerschmitt est évidemment touchée avec de nombreuses victimes.

Le village est concerné par les bombardements de la pouponnière – crèche proche de la menuiserie. M. Cabané en sera le témoin. Il assiste au bombardement à basse altitude des Ligthnings (avion sur lequel disparaîtra St Exupéry), il reste persuadé que, plus qu’une erreur,  il s’agit d’une opération de terreur. Il participe au dégagement des décombres dans le cortège d’horreur de la récupération des dépouilles des enfants et des employés.

1945,à l’approche de l’armée russe, comme la plupart des habitants d’Ebreimdorf, Jean Albert garde un sentiment d’horreur plus que d’un soulagement dans la proximité de la fin de la guerre. Il revoit encore ces troupes dites « mongoles » se livrant sur les habitants à une sauvagerie terrible : ivresse chronique, assassinats, pillages, viols, dans le plus grand chaos. Il échappe de peu à la mort, surpris dans les caves souterraines de l’entreprise par des soldats ivres et armés, il croit à son exécution quand un accordéon attire l’attention des Russes, on le lui passe autour du cou et il est ainsi conduit vers un groupe de soldats en « beuverie » près de la maison. L’instrument de musique les met en joie ; un officier femme le sauvera en le reconduisant chez lui.

  •  Le retour : la traversée à pied de l’Europe centrale (Hongrie, Roumanie, Ukraine, Odessa), durée 5 mois.

L’armée russe va regrouper à Vienne la foule hétéroclite (1000 à 2000 personnes) des travailleurs forcés du Reich. On parle de nombreuses langues. M. Cabané, comme les autres, ignore le sort qui les attend. Résignés, ne connaissant rien des opérations de guerre, mal nourris, ils vont partir pour une longue marche vers une destination inconnue. Dans des conditions très dures, encadrés par l’armée russe, ils vont marcher interminablement pour traverser la Hongrie, atteindre l’Ukraine et enfin le port d’Odessa. Sous-alimentés, épuisés, nombre de ses compagnons seront malades ou mourront abandonnés sur le bord des routes. Pesant au départ de Vienne entre 70 et 80kg, M. Cabané ne dépassera pas une cinquantaine de kilogrammes à son arrivée à Odessa.

Odessa – Marseille, la fin du périple. A Odessa, ils sont pris en main par l’armée américaine. Ils montent à bord d’un paquebot qui, en contraste avec leur récent vécu, représente une sorte de paradis : visite médicale, soins, parfum, cabine individuelle. La modernité américaine l’amuse à la cantine par exemple: choix des menus, sièges individuels, arrivée automatique des plateaux repas comme venus des entrailles du bateau. Émerveillement du Bosphore, le paquebot atteindra bientôt Marseille. C’est en convoi sanitaire qu’il rejoint ensuite Pau où il fera un séjour à l’hôpital (dysenterie et typhus) puis, retour, à Eslourenties.

  • Epilogue.

Pour leur cinquante ans de mariage, les enfants de M. et Mme Cabané leur offriront une croisière sur le Danube. En escale à Vienne, M. Cabané aura la possibilité de revenir au village d’Ebreimdorf où il aurait pu rester. Pensant ne plus connaitre les gens, ses patrons étant morts, craignant de déranger, il préférera ne pas rouvrir cette page de son passé.

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