Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Transport d’armes, 16 août 1944.
Firmin Poudampa relate dans ce chapitre les conditions dans lesquelles les équipes du secteur VI effectuèrent un transport d’armes jusqu’en vallée d’Ossau le 16 août 1944.
TRANSPORT D’ARMES (16 août 1944)
Les armées alliées du débarquement de Normandie avançaient irrésistiblement sur Paris et bientôt dépassaient la capitale.
Les divisions qui avaient pris pied sur le sol de Provence remontaient la vallée du Rhône dans une rapide progression.
Ainsi, les formations ennemies, du sud de la Loire jusqu’aux Pyrénées, allaient-elles être prises dans une tenaille, toute retraite possible sur l’Allemagne définitivement coupée. Il ne leur restait plus que le suprême espoir, trop vite caressé, de franchir notre frontière, de passer en Espagne où le dictateur Franco leur aurait assuré asile et protection.
Dans le département des Basses-Pyrénées, dès le 10 août, ce glissement des troupes isolées vers les hautes vallées fut sensible. Aussi, les F.F.I. reçurent-ils l’ordre de s’opposer de toutes leurs forces à ce déferlement massif et systématique.
Mais pour lutter avec quelque chance de succès, il leur fallait des armes, beaucoup d’armes, toujours des armes puisque l’Allemand, non encore épuisé, avait des moyens supérieurs de défense : des poitrines, ce n’est pas suffisant pour faire des soldats !
C’est grâce à une fraternelle coopération dans l’effort, c’est grâce à une coordination constante dans l’action que notre légitime angoisse des débuts fut effacée. Presque tous les corps-francs constitués purent être armés.
Nous avons largement contribué pour notre compte à cette tâche ingrate car la plus grande partie des fusils, des mortiers, des mitraillettes mis à la disposition des combattants des gorges d’Aspe et d’Ossau fut récupérée en parachutage et transportée sur les lieux d’opérations par mes compagnons, les hommes du secteur VI.
Missions périlleuses, certes, car quiconque était porteur d’un engin de guerre était fusillé sur place ; mais missions toujours accomplies jusqu’au bout avec un calme courage et une prudence calculée.
Dans une baraque du château DE PAUL, à Berlanne, j’avais constitué, à l’insu du propriétaire évidemment, un dépôt d’armes et de munitions en attendant de les livrer aux maquisards de là-haut.
Le 16 août, le commandant BERNARD me donne l’ordre de les transporter dans la région d’Arudy, à Bescat exactement, car le capitaine MARCEL, sentant la victoire proche, doit attaquer incessamment.
Aucun plan ne m’est imposé, je suis libre d’agir à ma guise pourvu que le but soit atteint dans les meilleurs délais.
L’opération eût été un jeu d’enfant si nous n’avions pas eu à traverser la ville de Pau gardée par les Allemands sur le qui-vive. Mais impossible de choisir un autre itinéraire puisque tous les chemins auxiliaires des alentours sont solidement barrés à toute circulation par les destructions systématiques des F.F.I.
Mais, inutile de se retrancher derrière la difficulté, il faut au contraire trouver le moyen de franchir l’obstacle et, coûte que coûte, c’est le lendemain dans la matinée que nous assurerons ce transport.
Je décide d’enfermer les armes dans des fûts et de les passer sur un camion à l’enseigne du « Ravitaillement Général ».
L’idée me paraît assez bonne et sans plus tarder je me mets en chasse.
D’abord, je vais trouver M. MENJUCQ. Il accepte de nous prêter trois barriques vides et propres qu’il fera descendre immédiatement chez CACHALAT, lequel les portera à proximité de la baraque châtelaine. Puis, je cours prévenir GUATARBES, menuisier de son état, pour qu’il aille les « décaver », c’est-à-dire enlever un fond au plus tôt. Il part sur le champ avec ses outils.
J’expédie un agent de liaison à Pau pour demander à l’Etat-Major d’envoyer auprès de nous un de ses représentants qui sera témoin de « l’empaquetage » et aussi pour prier le commandant BERNARD de vouloir bien placer, pour le moment opportun, des éclaireurs sur la route nous aurons à emprunter.
Je convoque pour le soir-même PEDELOSTE, GALAN, LAHORE, CAZENAVE et SAUBADE afin de leur donner mes dernières consignes : à l’aube, se trouver sur les lieux pour procéder à l’emballage et à l’embarquement des « joujoux ».
Ensuite, il y a la question du véhicule. « Rosalie » ne peut être mise à contribution car elle manque de résistance pour un aussi long parcours. Tant pis, nous réquisitionnerons à Morlaàs un camion pour la journée.
Le lendemain matin, entre chien et loup, je descends à Berlanne. Très vite, mes fidèles compagnons me rejoignent et, dès que le jour se fait sous les sombres sapins des bois, nous nous mettons silencieusement à la besogne.
Les armes sont d’abord extraites de leur cachette puis, une par une, soigneusement démontées, nettoyées et enveloppées dans des sacs de papier fort.
Lorsque tout est presque terminé, je décide de monter à Morlaàs avec PEDELOSTE pour trouver un véhicule. Nous partons.
Déjà, dans les champs alentour, le travail bourdonne et s’amplifie. Passons rassurés, nous n’avons rien à craindre de ces braves paysans qui sont tous nos amis. Mais là-bas, dans ce jardin, un bonhomme m’inquiète : il s’agit d’un certain Boyer, pensionnaire depuis trois semaines chez M. Cachalat. Sa situation ne me semble pas très nette malgré toutes les vraisemblables explications qu’il a données de sa présence à Berlanne.
De plus, son attitude assez équivoque et ses nombreux déplacements à Pau ne laissent pas de m’intriguer et sont pour le moins surprenants pour quelqu’un qui se dit réfractaire au S.T.O. Sait-on jamais ?
La bicyclette, qu’il utilise habituellement pour ses « randonnées », est sous le hangar : une vingtaine de coups d’épingles dans les pneus et nous serons tranquilles !
Je n’aurai pas plus tard à regretter cette mesure de précaution puisque, quelques jours après, que je vous le dise tout de suite, je pouvais déterminer à l’aide d’un carnet de chèques par lui égaré, que le dénommé Boyer était un des chefs de la Milice d’Avignon, camouflé chez nous parce que directement menacé par les F.T.P. du Vaucluse.
Il fut d’ailleurs arrêté quinze jours plus tard par nos services et transféré aussitôt sur les lieux de ses crimes. La Cour de Justice militaire de Marseille le condamna à mort et le Capitaine LENOIR, chef de service à la IVème Région Aérienne, m’apprit à Aix-en-Provence qu’il avait été fusillé au mois de septembre 1945.
Arrivés à Morlaàs, PEDELOSTE s’adresse froidement à M. DELANOUE, son ancien patron qui, bon gré mal gré, et sans enthousiasme c’est certain, puisque notre bonhomme est vichyssois bon teint, est obligé de mettre à notre disposition un de ses camions en état de marche et avec plein complet d’huile et d’essence.
Afin de donner à notre expédition le maximum de vraisemblance, je demande à M.MENJUCQ de faire établi auprès des Contributions Indirectes un «acquit- laissez-passer » pour la contenance en vin des trois fûts.
Et nous revenons à Berlanne. Répondant à mon appel, le commandant BERNARD, le commandant BERTHOUMIEU, le capitaine MARCEL et le sous-lieutenant DUBRANA viennent d’arriver de Pau.
Les trois barriques sont hissées sur la plate-forme. Nous glissons dans leurs noires entrailles les armes empaquetées, le plastic, les munitions et nous calons le tout avec des bouchons de paille.
Au fur et à mesure, GUATARBES replace les fonds avec diligence et frappe quelques coups discrets sur les cercles de métal. Mais il reste cinq ou six fusils à loger et les trois fûts sont copieusement garnis. Que faire ? Tant pis, mettons-les dans ce caisson, sous le siège du conducteur.
Le chargement est terminé. Je place sur le pare-brise du camion une authentique manchette du « Ravitaillement Général », de fort bon goût d’ailleurs, et l’équipage peut partir.
PEDELOSTE réclame le privilège de conduire lui-même le véhicule et le Sous-lieutenant DUBRANA revendique l’honneur de prendre place à nos côtés. Je les accompagnerai jusqu’à Pau avec le Commandant BERNARD.
BERTHOUMIEU et SUMEIRE, chacun en vélomoteur, ouvriront la voie sur le parcours jusqu’à la Croix-du-Prince. Pour les autres, la mission est terminée.
A dix heures, le moteur ronfle et le lourd véhicule s’ébranle.
A la « bifurcation », première rencontre sans importance avec les uniformes verts : deux motocyclistes pétaradants, mousqueton au dos, s’en vont en direction de Tarbes.
Nous traversons la place Clémenceau à la barbe de l’Allemand.
Sur les trottoirs de l’avenue Joffre, les promeneurs se retournent vers nos fûts avec des regards d’envie : « Encore du vin pour le marché noir » doivent-ils penser ! Paisibles citadins, ne regrettez rien car ce vin a l’odeur de la poudre !
Avec le Commandant BERNARD, je descends à la Croix-du-Prince. C’est là que j’attendrai le retour de PEDELOSTE et DUBRANA, après avoir effectué une liaison dont m’a chargé le chef d’Etat-Major.
Le cœur serré, je suis un instant des yeux ce camion qui emporte vers l’inconnu deux de mes meilleurs amis. Soudain, je tremble car, devant moi, une puissante colonne ennemie, armée à faire peur, passe et semble partir à la poursuite de ce point noir qui disparaît au loin.
C’est vers trois heures de l’après-midi seulement, après une attente nerveuse qui me parut bien longue, que je vis le lourd camion revenir à une allure folle vers la Croix-du-Prince.
La chance avait été dans notre camp, tout s’était passé pour le mieux.
Sans incidents, le camion avait traversé Gan, s’était même vu accorder la priorité au carrefour de Rébénacq -oh ! comble de l’ironie- par deux motards allemands de la Police du Reich, était arrivé sans encombre à Sévignacq-Meyracq où il avait pris la route de Bescat.
A un kilomètre de l’embranchement, le Commandant BERTHOUMIEU et le Capitaine SUMEIRE l’avaient aiguillé vers un plateau isolé où des maquisards joyeux lui firent un accueil enthousiaste.
Les fûts avaient été prestement déchargés et remis à leurs nouveaux propriétaires qui les firent rouler avec d’infinies précautions dans une excavation du rocher.
PEDELOSTE ayant terminé sa mission, il ne lui restait plus qu’à repartir au plus vite.
Pour enlever tout caractère suspect à son voyage de retour, l’idée lui vint d’acheter quelques quintaux de bois à gazogène à un marchand d’Arudy. C’est ce qu’il fit : le plateau à ridelles avait été généreusement garni ! « Par la suite, on trouvera toujours l’occasion de revendre cette marchandise appréciée et M. MENJUCQ sera sans doute ravi de cette aubaine imprévue » avait pensé le bouillant PEDELOSTE.
C’est lui, le voilà de retour !
Je saute de joie et, le cœur libéré de l’angoisse, je cours à la rencontre de mon ami. Mais laisser sa joie se manifester aussi délibérément, est-ce bien sage ? Le Commandant BERNARD me fait un signe discret : en effet, un motocycliste allemand vient de s’arrêter sur le bas-côté de la route et m’observe avec insistance.
Me rendant compte de l’imprudence que je viens de commettre, je prends aussitôt une attitude calme et détachée, je tourne même le dos au camion qui ralentit.
Le Boche part et disparaît. Nous rejoignons PEDELOSTE qui a garé le véhicule à 200 m de là dans la rue du XIV Juillet. Nous le félicitons. Nous lui posons mille questions auxquelles il répond avec calme et simplicité.
Le Commandant BERNARD nous quitte. Je prends place à côté de notre héroïque chauffeur et nous rentrons à Morlaàs annoncer la bonne nouvelle aux camarades, sans doute anxieux.
Le 21 août, à la tête de ses hommes nouvellement équipés, le Capitaine SUMEIRE attaqua les Allemands retranchés derrière les verrous de la Vallée d’Aspe.
L’action impétueuse fut menée de main de maître : les unes après les autres, les positions ennemies démoralisées, effrayées par leurs pertes sévères, débordées par un harcèlement sans cesse renouvelé, hissaient le drapeau blanc et jetaient bas les armes.
Dans les rues de Pau désertées par l’ennemi depuis la veille, ce fut alors le morne défilé de prisonniers pitoyables, hier encore soldats claquant du talon, orgueilleux et arrogants, et réputés invincibles !
Des balcons de l’hôtel Beau-Séjour, où notre Etat-Major, maintenant sorti de l’ombre, était installé, j’assistais à leur défaite : des têtes basses, des yeux sans expression, des corps pliés, des êtres maintenant lamentables qui n’avaient pas apprécié le bouquet du « vin » trop capiteux transporté dans nos trois fûts.
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