Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. OPERATION « ESCOUBES »
Firmin Poudampa relate dans ce chapitre comment, au printemps 1943, il mis sur pied une opération de récupération d’outils divers au détriment des Chantiers Ruraux dissous afin d’équiper les hommes du secteur VI.
OPERATION « ESCOUBES »
L’Armée Secrète avait ses maquis, un dans la région d’Arthez d’Asson, un autre en Ossau, un troisième dans la vallée d’Aspe, un quatrième dans la Haute-Soule, enfin le Corps-Franc « REGIS » qui donnait asile à M. BAYLOT, devenu Préfet des Basses-Pyrénées à la Libération, et à M. BORDELONGUE, alias MICHEL, nommé président du C.D.L. par le gouvernement d’Alger.
Tous les hommes qui le composaient étaient, ou de simples volontaires résolus ou des traqués de la Gestapo, ou des réfractaires du S.T.O. Ils vivaient dans les champs et les bois, loin de toute agglomération, se montrant peu le jour, agissant de nuit.
Au début surtout, ces hommes eurent à surmonter d’immenses difficultés d’organisation et de ravitaillement et leurs souffrances furent grandes. Il leur manquait des outils pour aménager leurs abris, il leur manquait tout pour préparer leurs repas, il leur manquait le matériel pour effectuer les barrages routiers ou diverses destructions sur les installations ennemies. Cet « indispensable », il fallait le leur donner.
En bordure de la route départementale de Garlin, entre Riupeyrous et Escoubès, au lieu-dit « Borde de Labat », dans une vieille maison inhabitée, les Chantiers Ruraux, après leur dissolution, avaient stocké quantité de pelles, de pioches, de scies « passe-partout » et deux « roulantes » de l’armée.
La garde de ce matériel était confiée à un sujet espagnol, ancien ouvrier des chantiers. J’avais depuis longtemps signalé à notre Etat-Major l’existence de cet intéressant dépôt.
Le 10 mai 1943, « RAMENA » me donna l’ordre de l’enlever et, pour ce faire, il me laissait toute liberté d’action.
Le jour même, je vais trouver mon ami GUICHARNAUD pour établir en commun le plan de l’opération. Il est convenu que ses hommes, se trouvant pratiquement sur les lieux, tiendraient le premier rôle. De mon côté, je me charge d’assurer le transport des outils en lieu sûr puisque j’ai une voiture-camionnette à ma disposition. C’est le lendemain à minuit que le dépôt sera enlevé.
Il faudra agir proprement : inutile d’effrayer ou de bâillonner le gardien inoffensif ; mieux vaudra le neutraliser par des moyens beaucoup plus humains, beaucoup moins dangereux pour notre sécurité et sans doute tout aussi efficaces pour garantir notre anonymat.
Nous savons que notre Espagnol a un faible très prononcé pour le vin blanc. Le collègue LAMOLLE trouvera des raisons persuasives pour l’entraîner et le retenir une partie de la nuit sur les bancs de l’auberge d’Escoubès dont le patron nous est acquis. « Buvons un coup, buvons-en deux ! A la tienne, vieil ami ! »
« Rosalie », notre fidèle camionnette, se trouvait garée dans la grange de Monsieur LERO. Au petit matin du 11 mai, je demande à GUATARBES d’aller vérifier dans la journée son état de marche puisque j’ai décidé que c’est lui qui m’accompagnerait dans ma mission. Et je lui donne rendez-vous chez moi pour le soir même à 20 heures afin que nous soyons à Maucor avant le couvre-feu.
A 20 heures 30, nous partons à bicyclette. Dans la rue Bourgneuf de Morlaàs, nous croisons un détachement allemand qui était sans doute en patrouille dans les environs. J’espère que le canon de ma mitraillette ne montre pas son œil rond au couvercle de ma sacoche ! Non, tout va bien.
Nous arrivons à Maucor comme deux paisibles touristes. Il y a grande animation dans la ferme de M. LERO : c’est l’heure où les troupeaux reviennent des pâturages, c’est l’heure où le paysan rentre des champs après une journée de labeur épuisant.
On nous accueille avec bienveillance, on nous invite à partager à la bonne franquette le repas du soir.
Après le dîner, nous parlons gaîment et notre conversation respire l’amitié la plus franche.
10 heures 30 ! Il faut partir.
Le trajet n’est pas long mais nous roulerons lentement car les phares ne doivent pas être allumés. Au premier tour de manivelle, le moteur de « Rosalie » ronronne. « Au revoir, amis, laissez le portail ouvert et surtout ne vous dérangez pas à notre retour. »
La nuit est belle mais sans lune.
A Bernadets, nous tournons à droite, nous descendons prudemment la côte tortueuse de Higuères qui conduit au Luy de France, nous montons en souplesse la pente escarpée de Barinque et, toujours tout droit !
Quel est donc ce village ? Nous serions-nous trompés de route ? Mais oui, nous avons fait erreur sur notre itinéraire : nous sommes à Lasclaveries ! Il faut rebrousser chemin pour prendre la bifurcation d’Escoubes sur la place au grand chêne de Barinque, juste devant l’école. Ne nous trompons pas cette fois ! Ici, il faut prendre à gauche. C’est la descente sur le Gabas puis la montée raide qui nous mène à la route Morlaàs-Garlin. Nous tournons à droite devant le pavillon du Docteur POEY et, cinq minutes plus tard, nous sommes à la « Borde de Labat » où GUICHARNAUD et ses hommes nous attendent déjà.
Il est minuit moins le quart.
La voiture est garée dans un chemin profond à proximité de la vieille maison. Tout est paisible ; seul le chien de la ferme voisine, sans doute dérangé dans son sommeil, pousse par intermittence des aboiements mécontents. Une fenêtre s’éclaire quelques instants dans la nuit puis s’éteint.
Huit ou dix gaillards sont autour de nous et nous bavardons quelques instants à mi-voix.
« LEON » pouffe de rire : avant de venir sur les lieux, il avait fait un crochet par l’auberge d’Escoubès. Discrètement caché derrière la porte vitrée de la salle basse, il avait joui d’un spectacle de choix dont il nous fait le compte-rendu. LAMOLLE payait à boire avec prodigalité et notre gardien, confiant, oubliant ses outils emmanchés, chantait et dansait sur un rythme incertain un fandango endiablé de son Espagne natale ! La soirée aura dû te coûter cher, mon vieux Maurice !
Au travail maintenant.
La porte de la bicoque n’offre guère de résistance à notre poussée. Par paquets, les pelles, les pioches, les scies sont enlevées et portées sur la DK5 où deux hommes les rangent. Des fers s’entrechoquent dans l’obscurité, des lames vibrent avec un son d’acier bien trempé. Le va-et-vient dure une demi-heure, la camionnette est pleine à craquer.
Ouf ! qu’il fait chaud ! L’une des « cuisines roulantes » est inutilisable ; nous accrochons la deuxième à la camionnette. Plus rien à prendre ? non. Ici, désormais, l’emploi d’un gardien ne sera plus justifié.
Toute la cargaison -200 pelles, autant de pioches, une vingtaine de « passe-partout »- est transportée et camouflée chez GUICHARNAUD à Sévignacq. A la fin de la semaine, nous distribuerons le lot à nos maquisards impatients.
Cette pelle creusera un nid à « plastic » à la base du pilier de quelque pont trop souvent emprunté par l’ennemi. Cette pioche dégagera la traverse d’une voie ferrée et le train ennemi s’écrasera dans un fracas de ferraille tordue. Cette scie mettra des troncs en barricade devant les convois teutons. Cette « roulante » offrira la soupe chaude et réconfortante à nos amis peuplant les bois.
Il est deux heures, le travail est terminé.
Dans la cuisine obscure du petit pavillon où le brave Léon nous a introduits, nous trinquons à notre réussite en échangeant de gais propos. Mais il faut se quitter : « Bonne fin de nuit et à bientôt. »
GUATARBES et moi nous partons avec la DK5 aussi légère qu’à l’aller, les phares en code. Nous traversons Escoubès, nous traversons Barinque. Au bas de la côte de Bernadets, un homme à imperméable de couleur claire, une valise à la main, nous fait désespérément signe de nous arrêter. Nous l’éblouissons de tous nos feux et, passant à vive allure, nous le laissons pantois à sa promenade nocturne. Que voulez-vous, il est des moments où il ne vous est pas permis de rendre le moindre menu service. Excuse-nous, voyageur attardé, et surtout n’use pas tes yeux à essayer de relever le numéro de notre « Rosalie ». « Rosalie » est discrète et sa plaque arrière s’enorgueillit de la plus stricte virginité.
C’est Bernadets et c’est Maucor. Les portails de la ferme « LERO » sont grands ouverts. Nous garons la camionnette dans sa retraite habituelle, nous poussons les portes massives qui obéissent sans trop grincer. Enfourchant nos vélos, mitraillette à l’épaule, nous descendons sur Morlaàs dans l’air frais du matin.
Il est trois heures et demie.
A l’angle de la place silencieuse et déserte, dans l’obscurité totale, je serre la main de mon ami René. Fatigué mais satisfait, je regagne ma chambre où je jouirai pleinement de quelques heures de sommeil avant de reprendre mes occupations quotidiennes.
Le mot de la fin ? Le voici.
Quatre jours plus tard, GUICHARNAUD reçoit dans sa salle de classe un respectable bonhomme qui a été chargé de procéder à une enquête sur la disparition du précieux outillage. Aurions-nous été vendus ? Non, c’est beaucoup plus simple. Le maire de la commune étant absent, c’est Léon, secrétaire de mairie et enfant du pays par surcroît, qui doit le remplacer et subir vaillamment tout un long interrogatoire.
L’intempestif visiteur est vite fixé : GUICHARNAUD ignore tout, crie son indignation devant un tel acte de vandalisme, jure les grands Dieux que personne dans le village ou même les environs n’aurait osé se rendre coupable d’un pareil forfait en tout point répréhensible. A son avis, seuls les Allemands ont pu faire ce coup !
L’autre s’en va convaincu.
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« Merci mille fois, M. l’instituteur ! »
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« Il n’y a vraiment pas de quoi, M. l’enquêteur ! »
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