Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
POUDAMPA Firmin. Carnets inédits du secteur VI de l’Armée secrète. Le camouflage de « Rosalie ».
Le secteur VI de l’Armée Secrète est doté en novembre 1942 de voiture militaires « Peugeot DK5 ». L’une d’elles, baptisée « Rosalie est affectée à Firmin Poudampa. Son camouflage va imposer un jeu de cache-cache pour faire face au risques de découverte par les forces d’occupation.
Au moment de la dissolution de l’Armée en novembre 1942, nous avions reçu de l’Etat Major des Hautes-Pyrénées douze voitures militaires « Peugeot DK5 » et quatre motocyclettes « Terrot ».
Mes amis SOURDAA, DAILHE et JOLY en avaient pris livraison à Tarbes et, de ce fait, en étaient devenus responsables. Ce matériel roulant devait servir aux opérations de parachutages et, le cas échéant, au transport rapide de troupes.
Les choses avaient été bien faites : cartes grises obtenues après de laborieuses démarches à la Préfecture, dossiers minéralogiques soigneusement constitués avec allure de légalité. Seule, la peinture vert mat des carrosseries aurait pu éveiller quelques soupçons et faire se plisser le front des gens hostiles.
Au début, tout le poids du camouflage retomba sur DAILHE. Par la suite, pour des raisons de solidarité et de prudence, les camionnettes furent dispersées dans le secteur. C’est ainsi que j’en pris une à mon compte : d’abord pour soulager mon camarade, ensuite parce qu’elle m’était indispensable pour la récupération des armes sur les terrains de réception et leur transport en lieu sûr.
En attendant de choisir un refuge à proximité du P.C. 6, cette voiture, que nous avions baptisée « Rosalie », est restée deux semaines à Séron dans la grange de mon père. Puis, avec PEDELOSTE comme chauffeur, nous l’avons conduite à Morlaàs. Elle trouva asile sous un hangar appartenant à M. LARRAT, Ingénieur des Ponts et Chaussées, puis chez notre camarade MEDARD où nous pensions la laisser longtemps.
Mais nous sûmes bientôt que les langues -et non des meilleures- allaient bon train : ce véhicule inquiétait quelques commères et, chose plus grave, quelques messieurs dont nous connaissions trop bien les sentiments de fiel qu’ils nourrissaient à l’égard de la Résistance. Je décidai de trouver un autre logis à l’infortunée « Rosalie ».
M. LERO de Maucor nous accueillit dans sa ferme avec une cordialité et un empressement auxquels je rends hommage et dont je le remercie au nom de nos chefs.
« Rosalie » resta là six mois environ. De temps à autre, après son travail journalier pourtant épuisant, PEDELOSTE lui rendait visite. Il faisait chanter le moteur pendant une courte minute, entretenait la batterie, vérifiait les phares, freins et pneus. Tout serait ainsi à point si un ordre de mise en route imprévu et précipité nous parvenait. Ce fut le cas lorsqu’une nuit je dus enlever avec GUATARBES un dépôt d’outils à Escoubès.
Mais l’Allemand rôdait aux alentours avec d’autant plus d’acharnement que quelques « maquisards » non affiliés à nos groupes se signalaient dans le secteur par leur imprudence et leurs sorties pour le moins intempestives.
Un soir de pluie du mois de juin 44, vers minuit, deux coups secs sont frappés aux volets de ma chambre.
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« Qui est là ? »
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« C’est moi, M. LERO, je voudrais vous parler ».
Dans l’entrebâillement de la fenêtre, alors que l’averse tombait par rafales, il m’expliqua :
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« Cet après-midi, les Allemands ont perquisitionné dans les fermes voisines et incendié une grange à Saint-Castin. C’est miracle qu’ils ne soient pas rentrés chez moi alors qu’ils sont passés devant mon portail, chantant et ricanant. Je n’ai pas peur mais peut-être vaudrait-il mieux trouver un autre abri à la voiture. Je connais un endroit propice et lorsque les « Fritz » se seront calmés, nous la remettrons chez moi où elle ne gêne nullement. Et même me gênerait-elle, vous pensez bien que je ferais un effort car je suis de tout cœur avec vous ».
Je compris le souci de cet homme : sa maison incendiée, une voiture de la Résistance, chose sacrée, enlevée par les Allemands !
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« Cher M. LERO, je ne suspecte pas votre courage. Votre démarche, au contraire, me prouve que vous nous êtes acquis et que vous savez rester prudent dans le danger. Demain, avant le jour, je serai chez vous et nous ferons le nécessaire ».
Le lendemain, dès quatre heures, le nécessaire fut fait. Aidé du fidèle PEDELOSTE et de M. LERO lui-même, « Rosalie » est camouflée à la belle étoile, dans une châtaigneraie fourrée, en bordure d’un ravin rocailleux.
A huit heures, après avoir dignement fait honneur au délicieux déjeuner préparé par Mme LERO, j’étais à Morlaàs, prêt à commencer ma classe. Je puis vous assurer qu’on travaille avec cœur après une promenade matinale.
Le soir, on m’annonce que des fermes de Maucor ont été fouillées dans l’après-midi ; celle de M. LERO est du nombre. Nous l’avions échappé belle !
Dès les jours suivants, j’ai encore des ennuis avec cette damnée camionnette ! J’apprends, tout à fait par hasard, que quelques « maquisards » du commandant de CARRERE l’ont découverte dans sa retraite et qu’ils se disposent à la récupérer purement et simplement.
Je demande une autorisation d’absence à mon Directeur et je cours au P.C. du commandant à Higuères-Souye. Après une vive discussion qui s’éloignait parfois de la cordialité, et que j’aurai l’occasion de préciser par la suite, j’obtiens la promesse verbale que la voiture sera laissée en place.
Confiant à demi, je décide très vite de lui trouver un autre gîte. J’ai recours à mon collègue et ami SOUVILLE pour trouver à Sedzère un endroit convenable. Un moulin désaffecté sur les bords du Gabas où, déjà, une famille de Juifs traqués vient d’être cachée, fait notre affaire.
Mais là encore, « Rosalie » est menacée : l’Allemand approche, incendie sur son passage. Nous employons la même tactique qu’à Maucor : « Rosalie » couchera à la belle étoile !
Les bords escarpés du Gabas sont très boisés et nous avons vite fait de découvrir un coin très sombre et difficilement accessible. Avec bien de la peine, nous y logeons l’infortunée camionnette. Tout est pour le mieux. Les arbres sont denses et feuillus, l’éclat des nickels sous le soleil de juillet n’éblouira pas les pilotes nazis en reconnaissance ;
« Le diable lui-même ne viendrait pas l’y chercher » plaisante GUATARBES.
Les glaces sont fixées, la bâche tirée sur ses courroies, la batterie débranchée, le réservoir vidé, le rupteur du « delco » enlevé. Sur le pare-brise, j’affiche intérieurement l’avis suivant que j’avais eu soin de dactylographier avant mon départ de Morlaàs :
« Cette voiture appartient aux unités de l’Armée Secrète. Est passible de la peine de mort quiconque s’en saisira, précisera son emplacement, la signalera aux forces d’occupation ou à la police de Vichy. »
Je suis persuadé que plus d’une bergère gardant son troupeau dans les parages, plus d’un pêcheur taquinant le goujon dans les eaux claires du Gabas ont dû trembler et invoquer le ciel en s’éloignant après avoir lu de leurs yeux ronds cette « promesse ».
Le fait est que personne, pendant la clandestinité, n’a jamais parlé de ce curieux garage, pourtant connu, nous le savons.
C’est là, dans cette paisible retraite, que nous vînmes chercher « Rosalie » un soir de parachutage. Ce soir-là, elle se montra docile, fidèle, marchant sans défaillance. Aussi, pour la récompenser après cette mission périlleuse qu’elle avait accomplie sans trahir, nous lui offrîmes un logement de choix dans un hall vitré, chez M. SAUBADE à Morlaàs. Partant de là, elle participera encore à deux parachutages.
Le 21 août, au lendemain de la Libération, elle prit le chemin de Pau et fut officiellement affectée au parc-auto de la caserne Bernadotte.
Et puis, un matin, garée au sommet de la côte Marca, freins desserrés sans doute, elle dévala seule la pente, sans chauffeur, et alla bêtement s’écraser contre un mur de clôture !
Notre vieille « Rosalie » aurait mérité une fin plus glorieuse.
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