Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
Peyre Henri. Le procès du censeur régional dans la presse quotidienne locale.
Henri Peyre, censeur régional à Pau du 15 novembre 1941 au 20 août 1944, a été jugé fin mars 1945 par la Cour de Justice de Pau.
Le procès de H. Peyre, censeur régional à Pau,
Le quotidien local » La IVème République des Pyrénées » rend compte du procès du censeur dans son numéro du 31 mars 1945.
A la une du 31 mars 1945
DEVANT LA COUR DE JUSTICE DES BASSES-PYRENES
L’étrange procès du « commandant » Peyre
CHEF REGIONAL DE LA CENSURE HITLERO-VICHYSSOISE.
L’interrogatoire d’identité terminé, le Président entame les débats :
Le Président –Vous êtes accusé d’avoir sciemment participé à une entreprise de démoralisation de l’armée et de la nation : la censure de Vichy.
L’accusé – C’est un peu fort ! Mais, j’étais en service commandé ! Mobilisé par Daladier à ce poste, j’ai été maintenu par Laval en 1940 pour services exceptionnels rendus au Gouvernement. Je n’ai fait qu’obéir aux ordres de mes chefs. C’est le procès de Laval que vous faites maintenant. D’ailleurs, trouvez-vous beaucoup de différences entre les deux censures, celle de Daladier et celle de Laval ?
Le Président – Oui. Celle de Daladier n’était pas au service des Allemands.
L’accusé – Un soldat ne discute pas les ordres et le drapeau était le même !
Le Commissaire du Gouvernement – Il y en avait un avec une croix gammée dessus !
L’accusé – Je n’étais à mon poste qu’un agent d’exécution. Je n’ai pris aucune initiative.
Le Président s’efforce de trouver dans le dossier les preuves de la trahison de la censure vichyssoise. Mais le dossier est énorme et le Président loin d’être un technicien. L’accusé joue avec ses juges qu’il promène dans le fatras des pièces, se retranche derrière des circulaires qu’il connaît bien.
L’accusé – J’ai obéi. Pourquoi suis-je ici ? Je voudrais voir à mes côtés tous les autres censeurs. C’est un procès politique, une querelle personnelle que l’on me cherche.
Le Président – La participation de vos collègues à l’entreprise de démoralisation n’a peut-être pas été aussi active que la votre.
Comme on lui reproche d’avoir cherché à modeler l’opinion des Français sur celle des Allemands, il réplique – Sous Daladier aussi, on modelait l’opinion.
Le Président – A d’autres fins que les vôtres.
Cette réponse ne satisfait pas l’accusé qui proclame hautement son innocence et la pureté de ses intentions. On le sent prêt à s’indigner de la « brimade » dont il est l’objet. Il réclame à nouveau la comparution avec lui, à cette barre, de ses collègues. La Cour écoute ses jérémiades avec un louable courage.
Le Président – On vous reproche principalement d’avoir dépassé, par votre action et votre initiative personnelle, les consignes que vous receviez.
L ‘accusé– C’était pour maintenir le front commun et éviter toute brèche. Mais j’estime avoir fait mon devoir.
PLUS LAVALISTE QUE LAVAL.
Le Président donne lecture d’une lettre de la Censure Centrale de Vichy désapprouvant son collaborateur pour son extrême rigueur et blâmant le ton polémique qu’il prend pour signaler le moindre incident se déroulant dans son ressort.
Le « Commandant » s’indigne de ce propos et réplique, acerbe et insolent :
« vous interprétez d’une façon bien personnelle une lettre de mes chefs, que l’on a eu d’ailleurs l’audace de soustraire à ma correspondance privée : ces méthodes ne m’étonnent pas ».
Le Président trouve dans le dossier plusieurs témoignages de cet esprit rigide et entier qu’il mettait à exécuter sa mission, mais fait remarquer que si les journaux de Pau ont condamné ces méthodes, ceux de Barbe, par contre, trouvaient ce censeur d’une extrême complaisance. L’avocat de la défense en manque pas de tirer un grand avantage de cette déclaration. Le Président a omis de faire remarquer que les journaux tarbais n’étaient en contact avec Peyre que par personne interposée. A cet intermédiaire seul doit revenir le mérite de ces bonnes relations. Pour expliquer sa méthode de travail, Peyre précise :
« J’étais plus sévère que le censeur allemand, cela m’honore (sic). Cette conclusion soulève l’hilarité générale. L’accusé est excédé. Il se livre à de violentes attaques contre certains journaux.
L’accusé – « France-Pyrénées » était à la solde, à la dévotion des Allemands,
Le Président lui reprochant une trop stricte application des consignes, il rétorque :
« J’ai fait mon métier, j’étais payé pour cela, Oseriez-vous me le reprocher ! »
Personne, en effet, n’ose le faire. Le Président déclare timidement que Peyre aurait aurait peut-être pu interpréter les consignes avec plus de souplesse.
La défense– Mais c’est l’éloge de la désobéissance,que vous faites !
L’accusation– La désobéissance à l’ennemi pour moi n’en n’est pas une !
Le Président– N’aviez-vous pas conscience de servir ainsi les intérêts allemands ?
L’accusé– Que pouvais-je faire ?
En page 2 du 31 mars 1945
L’étrange procès du « commandant » Peyre
(suite de la page 1)
Le Président– Démissionner.
Cette hypothèse est certainement une révélation pour Peyre qui a tout envisagé sauf cela. Il se livre alors contre la police et la magistrature à une attaque insolente qui, à la surprise générale, reste sans riposte.
L’accusé – Où sont les magistrats de ce Palais, où sont les policiers de cette ville qui ont démissionné ? Ils ont mangé le pain de Vichy : ils devraient être avec moi sur ce banc. Pourquoi suis-je seul ?
Le Président – Pourquoi ? Parce que je doute qu’ils aient, comme vous, fait une surenchère aux consignes qu’ils recevaient et se soient plié avec passivité aux ordres des Allemands.
Après avoir signalé que c’est pour garder son indépendance qu’il n’est pas entré à la Milice, non plus qu’au groupe « Collaboration », Peyre se tresse une couronne de lauriers. Le public reste confondu de la liberté de langage dont il use envers le Président et attend vainement que ce dernier réagisse.
DELATEUR
Ses rapports avec les Allemands sont ensuite évoqués. Il n’est pas établi qu’il soit entré en contact avec d’autres services que ceux de la Censure militaire occupante. Par contre, signale le Président, il était en contact quotidien avec la Milice par l’intermédiaire de Mounier. L’accusé le nie. Le Président lit alors la déposition d’une collaboratrice de Peyre qui l’affirme. Celui-ci se venge par une morsure.
L’accusé – Elle a du recevoir une « substantielle compensation ».
On évoque ensuite les innombrables dénonciations auxquelles il s’est livré. Peyre ergote et trouve des excuses.
L’accusé – Tous les rapports dans lesquels je signalais l’activité de certains de mes compatriotes m’étaient demandés par Vichy que j’avais mission d’éclairer sur l’état de l’opinion publique. Ce ne sont pas des dénonciations, je faisais mon devoir. Qui oserait me le reprocher ?
Une fois de plus, en effet, personne ne l’ose.
Le Président fait l’inventaire des nombreux dossiers constitués par Peyre contre le Commissaire de Police Scotti, le Préfet Grimaud, le secrétaire général Favre, l’archiprêtre Rocq, M. Allicot, M. Alliquant, industriel à Nay, le chanoine Pambrun, Me Fonlup-Espéraber, M. Dumas, journaliste, M. Juge, son chef hiérarchique à Vichy, M. Tercq et …………. des Renseignements généraux et bien d’autres tous de « sales gaullistes » et des individus « dangereux », à l’arrestation desquels, concluait le délateur, il fallait immédiatement procéder .
Au sujet d’un rapport dans lequel il demandait au Gouvernement de nommer le sinistre de Boisse, chef de la Milice, préfet des Basses-Pyrénées, Peyre précisait sur ce document : « C’est une solution de salut public ». Quelle honte.
On apprend également que l’accusé a tenté d’intervenir dans la nomination de l’évêque de Bayonne. Il n’est spa une administration, pas une personnalité, pas un service public ou privé sur lesquels ce dangereux délateurs n’ait pas établi de rapport.
L’unique témoin
La présence de quelques témoins de l’accusation aurait pu donner à ces débats l’allure qu’ils méritaient et que l’interrogatoire n’est pas parvenu à leur donner. Mais Peyre paraît décidément né sous une bonne étoile. Seul un ex-typographe de « France-Pyrénées » est appelé qui, bien entendu, ignore tout des activités de l’accusé qu’il ne connaît même pas. Tant de journalistes ayant eu affaire à lui sont encore à Pau que l’on cherche en vain la raison qui a conduit l’accusation à citer ce témoin qui ne savait rien. Mystère !
L’accusé, lui, n’ayant trouvé personne sur place, n’a hésité à faire déplacer deux amis de Paris qui viennent témoigner en dehors du procès.
Le réquisitoire
Il sera long. Point par point, le Commissaire du Gouvernement s’efforce de démontrer que l’accusé a dépassé les consignes, engagé et maintenu la presse dans la voie de la servilité. Après avoir évoqué les innombrables dénonciations et l’action de Peyre, le Ministère Public, contre toute attente, ne réclame pourtant qu’une peine de travaux forcés à temps.
La plaidoirie
Pour Me Boudon, défenseur, il s’agit d’un procès politique.
Estimant qu’il ne s’est jamais livré a des dénonciations, il demande acquittement pur et simple de son client.
Le verdict
Après deux heures de délibération, la Cour rentre en séance rapportant le verdict suivant : 10 ans de réclusion et indignité nationale.
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