Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Résistances: LIBERATION ET RECONSTRUCTION. 66: L’ÉPURATION DE L’ADMINISTRATION.

L’ÉPURATION DE L’ADMINISTRATION.

 

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°66.

 

 

 

L’ÉPURATION DE L’ADMINISTRATION.

           Héritées de quatre années d’occupation et de collaboration, les tensions, qui divisent et affaiblissent les sociétés basques et béarnaises à la libération, constituent le principal problème des nouvelles autorités issues de la résistance. Pour calmer ces troubles et ramener la paix, des politiques de répression légales contre les anciens traîtres sont lancées par le C.D.L. (Comité Départemental de Libération).

           Suivant un processus bien défini, ces opérations de purification commencent naturellement par examiner le cas des services politiques et administratifs, notamment des services d’ordre pour des questions de légitimité et de légalité, qui sont amenés par la suite à réaliser, à une plus vaste échelle, les contrôles et les sanctions.

           Après le départ des Allemands et la libération du département, l’autorité et les différents pouvoirs reviennent dans les mains d’un organe issu de la résistance : le C.D.L. (Comité Départemental de Libération). Se donnant pour principal objectif de restaurer le droit républicain, les libertés perdues et les conditions de vie d’avant-guerre, ce comité s’attache en priorité à « refermer » et à soigner les blessures héritées de cinq années d’occupation.

           Parmi les nombreux drames de cette époque, certains ne sont toujours pas oubliés. L’un des plus douloureux et des plus passionnels reste sans nul doute celui de la collaboration. Divisant les populations pendant et après le conflit,  ce problème nécessite de la part du C.D.L., pour ramener le plus rapidement possible la cohésion et l’union au sein des sociétés basques et béarnaises, d’importants efforts associés à des sollicitations de moyens humains et financiers considérables. Toutefois, régler ainsi les comptes avec ce passé en épurant puis en punissant les coupables et les traîtres, ne peut se faire de manière anarchique comme c’est le cas aux premières heures de la libération lorsque la foule rend, souvent abusivement, elle-même justice. C’est donc pour éviter ce genre de dérive que les nouvelles autorités résistantes mettent en place dès le départ des Allemands, un processus d’épuration légale.

           Parmi les nombreuses tâches qui attendent le C.D.L. dans le cadre de cette renaissance départementale, une semble être particulièrement urgente : l’épuration administrative. A la base de toute refonte politique dans la région, cette opération permet de donner une forme de légalité et de légitimité, à la fois aux nouveaux détenteurs du pouvoir, mais surtout aux différentes forces de l’ordre. En effet , comment peut-on envisager en cette période de tension de mener à bien des enquêtes, si la police comprend toujours dans ses rangs d’anciens collaborateurs ? Comment peut-on respecter des décisions de justice rendues par des magistrats qui ont prêté serment au maréchal Pétain ? Comment peut-on utiliser et solliciter un service public sans avoir confiance dans ses représentants ?

           Ainsi, en gardant pour objectif de redonner aux citoyens des Basses-Pyrénées confiance en leurs fonctionnaires, le C.D.L. se lance dans une tâche à la fois urgente car prioritaire, mais aussi colossale, voir presque impossible, car elle suppose d’examiner les cas de tous les serviteurs de Vichy, mais également ceux des «opportunistes» ou des passifs qui ont montré des signes d’hostilité ou d’indifférence à l’égard de la résistance.

Malgré les nombreuses difficultés, le C.D.L. parvient à obtenir des résultats. En employant des méthodes surtout basées sur l’adaptation des enquêteurs aux spécificités de chaque administration et sur les premiers travaux réalisés pendant la guerre par le NAP (Noyautage des Administrations Publiques). A la tête de tous ces «chantiers» se trouve une commission centrale consultative, spécialisée dans ce type d’épuration et composée de membres de la fédération générale des fonctionnaires et d’anciens résistants du C.D.L.. Dans notre département, ce sont ces derniers (Baradat, Cluchague, Etchart et Viguerie) qui décident d’enquêter sur un service en particulier et qui lancent le processus de recherche.

           Dans un premier temps, les dénonciations, les résultats du Noyautage des Administrations Publiques (NAP) et les parutions de presse sont examinés afin de réaliser un tri sur les cas à approfondir. Lorsque ces données sont précisées, une demande d’enquête est transmise par le président du C.D.L., Ambroise Bordelongue, au préfet (ou au sous-préfet) qui peut alors refuser ou lancer officiellement la procédure auprès d’une commission policière qui doit recueillir par la suite des preuves et des témoignages. Ces informations sont consignées en procès-verbaux même si elles ne sont que rumeurs ou suppositions calomnieuses !

           Les accusés, pour leur part, gardent le droit d’établir leur défense en fonction des justificatifs, des éléments de contre-enquête et des conseils de leurs avocats. Toutefois, lorsque la «machine» policière est lancée, il est en général pratiquement impossible d’en réchapper, les dossiers après enquêtes et prises en compte des éléments de la défense, partant à la C.D.E.J. (Commission Départementale d’Epuration et de Justice) qui décide des sanctions à proposer aux ministres concernés. Ce sont les bureaux de ces responsables qui ont, en dernier lieu, le choix des peines à appliquer. Ces dernières peuvent aller du simple blâme à la révocation, en passant, par les mises en retraite et les mutations.

           Malgré un système d’action trop lourd, mais surtout trop lent, les services ministériels sont rapidement submergés (un jugement parti par exemple au ministère des finances en novembre 1944 n’aboutit toujours pas en mars 1945 pour quinze cas de fonctionnaires dont trois de miliciens). L’épuration administrative dans les Basses-Pyrénées réussit tout de même à toucher de nombreux secteurs de la fonction publique. Sans réellement punir tous les coupables et sans que des conséquences très visibles soient à relever, trente révocations, cinq mises en retraite, vingt suspensions, vingt mutations et dix blâmes sont ainsi prononcés, surtout dans la police et la justice qui auraient dû être exemplaires pendant l’occupation, mais également dans les P.T.T., l’éducation nationale et les hôpitaux.

           Exemple significatif de ce mode de répression : l’élargissement et la progression des enquêtes administratives sur le monde politique local et sur l’attitude des municipalités face à l’occupant. Mise en place, elle aussi par le C.D.L. des Basses-Pyrénées suivant le modèle et les principes de l’épuration des services publics, la réorganisation politique du département constitue toutefois un objectif secondaire pour cette institution. Ce moindre attachement s’explique en partie par l’organisation en avril et mai 1945 d’élections municipales qui entraînent de nombreux «remaniements naturels», exprimant ainsi la réprobation des électeurs à l’égard d’élus accusés de trahison ou de collaborations. Pourtant, en Béarn et au Pays basque, quelques trois cent vingt communes sur cinq cent soixante connaissent déjà auparavant des modifications forcées dans le cadre de l’épuration.

           Cependant, parmi ces remaniements, une grande majorité des procédures ne concerne que quelques élus en particulier. Ainsi, 278 municipalités ne subissent que de simples changements isolés, quarante et une sont entièrement remplacées par des « délégations spéciales »1 (une seule est totalement dissoute avant d’être rétablie). Le nombre total de révocations s’élève finalement à 94 pour les maires et à 377 pour les conseillers.

           Dans cette politique de réorganisation, quelques tendances géographiques semblent malgré tout se dessiner. Ainsi, nous constatons que les cantons du Pays basque (Bayonne, cinq municipalités sur six ; Espelette sept sur sept ; Saint-Jean-de-Luz sept sur huit) mais aussi du Béarn nord (Arzacq seize sur vingt-trois ; Garlin dix-sept sur dix-neuf ; Salies-de-Béarn treize sur quatorze ; Lacq seize sur vingt-et-un) sont particulièrement visés par ces mesures alors que d’autres (Pays basque intérieur, centre et sud du Béarn) sont relativement épargnés.

           Action provisoire, plus symbolique qu’efficace du fait de la proximité du «jugement démocratique», cette épuration politique, héritée des mesures que connaît l’administration, permet de condamner ou de punir les collaborateurs les plus engagés du monde politique et public tout en évitant les violences populaires souvent démesurées.

           Nuancées par leur bilan, décevantes dans beaucoup de cas, mais indispensables, les épurations administratives et politiques restent malgré toutes leurs imperfections des étapes décisives dans le long travail de reconstruction des sociétés basques et béarnaises.

 

1 *Ader C., Naprous B., Le Comité Départemental de Libération des Basses Pyrénées, 1944-1945.

Pau, UPPA, TER, 1974-1975, 212 p.

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