Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Résistance spirituelle 48: la résistance juive.
LA RÉSISTANCE JUIVE FACE AUX PERSÉCUTIONS DE VICHY.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°48.
Le département des Basses-Pyrénées est parfois présenté, à tort, comme un espace où les juifs ont été relativement protégés. Ce sentiment s’explique sans doute par la réputation d’un département proche de l’Espagne, partagé par la ligne de démarcation, propice par son relief au camouflage d’individus traqués, par l’action et la résistance des populations locales (fiche 49), par l’émergence de quelques personnages charismatiques des autorités civiles (fiche 49) et religieuses (fiches 44, 45 et 47) et par l’énergie des juifs persécutés qui refusent le sort qui leur est promis.
Isolés dans leur combat, souvent désorganisés et maladroits, ces derniers réussissent malgré tout, à leur manière et faute de pouvoir sauver tous les traqués, à révéler aux opinions le drame de leurs souffrances et à provoquer dans le public des réactions de solidarité et d’assistance à l’égard des juifs présents dans les Basses-Pyrénées.
Dans un premier temps, ces formes de refus sont marquées par des gestes symboliques qui visent à réaffirmer la fierté et l’opposition de la communauté juive tout en ralliant un maximum de populations à cette cause. Cela se traduit, tout d’abord, malgré les pressions, le début des persécutions et une sensible baisse des offices, par un maintien des activités religieuses et publiques des croyants. Ces derniers se rendent en effet autant que possible aux synagogues, célèbrent toujours les grandes fêtes, et participent encore aux associations liées à la vie de la communauté.
C’est justement à partir de ces groupes associatifs à forte identité juive que naissent les plus importants pôles de soutien et d’assistance aux victimes ou aux personnes souffrant des persécutions religieuses. Agissant dans les domaines sur lesquels les autorités françaises et allemandes insistent pour toucher et affaiblir la population juive, ces œuvres concentrent, dès le début de la guerre, leurs efforts sur des aides financières et matérielles. Ces actions se concrétisent principalement au travers de distributions de nourriture et d’allocations destinées aux plus démunis, afin qu’ils puissent survivre aux privations imposées par les difficiles conditions de vie en temps de guerre et aux manques de ressources liées aux différents statuts du gouvernement de Vichy qui restreignent notamment les capacités professionnelles.
Les principales organisations qui travaillent dans cette optique et pour cet objectif sont l’Office du Ravitaillement Clandestin (ORC), fondé par des juifs béarnais pour leurs coreligionnaires étrangers réfugiés dans le département (notamment à Pau), le Comité d’Assistance aux Réfugiés (CAR), très actif dans l’enceinte du camp de Gurs (fiche 51), particulièrement par l’investissement de la secrétaire de l’annexe oloronaise Rita Rothschild qui consacre d’importants moyens à la libération d’internés (par corruption de gardiens), tout en rendant de nombreux services et des visites régulières à ces victimes, mais surtout l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) dans laquelle elle travaille une grande partie de la guerre.
Symbole et vitrine de cette lutte pour la survie (c’est cet organe qui est contacté en septembre 1942 par la préfecture des Basses-Pyrénées de l’imminence d’une rafle d’enfants), cette association reste durant tout le conflit l’une des plus actives et des plus connues. Son activité concerne en effet des secteurs variés et une population très nombreuse. Sept cent soixante personnes, uniquement dans le département, bénéficient en effet de son assistance lors de la fermeture le 22 mai 1944 des bureaux béarnais. Cependant, si l’action au grand jour de cet organe, dirigé par M. Herkowiza, représentant départemental et président de la communauté paloise, et M. Mugarits, représentant à la sous-préfecture d’Oloron, reste en priorité liée à la lutte contre la détresse matérielle de l’ensemble de la minorité religieuse, une section spéciale de cette union (la cinquième) se consacre clandestinement, malgré ses propres problèmes financiers qui ne font que croître à partir de 1943, à l’assistance et au secours de familles en difficulté. Ces actions s’effectuent dans un cadre et avec des méthodes qui s’apparentent à de véritables actes de résistance, plus proches des coups de mains terroristes, que de « simples aides humanitaires, financières ou alimentaires ».
Dans notre région, ces activités officieuses, et celles des autres mouvements, se sont surtout axées sur l’assistance des candidats juifs qui désirent traverser les Pyrénées et quitter la France pour gagner l’Afrique du Nord via l’Espagne. Presque aucun réseau ni aucune filière n’est en effet spécialisé dans l’évasion de ce type de fugitifs. Les autorités juives multiplient donc, notamment pour éviter les très nombreux abus de faiblesse (plusieurs passeurs profitent de la détresse (fiches 8 et 21) des persécutés pour gonfler les prix de la traversée et escroquer les «clients» sans pour autant garantir leur arrivée en Espagne), les contacts et les créations de structures destinées à faciliter la fuite de leurs coreligionnaires.
Le rôle de l’UGIF dans ces opérations consiste dans un premier temps à donner à ces «voyageurs» venant de toute la France un point de chute et un relais dans le département avant leur départ pour la montagne. Pour cela, l’union crée plusieurs «centres d’accueil», en particulier à Oloron et Mauléon, et recherche des guides (fiche 7) honnêtes, tout en finançant la traversée (fiche 8) des plus démunis qui sont en partie escortés par des volontaires de cette association.
Plusieurs autres mouvements juifs interviennent également durant le conflit pour aider les traqués dans cette épreuve. C’est notamment le cas de l’Association d’entraide Israélite qui sert d’intermédiaire aux personnes qui désirent traverser les différentes lignes frontières allemandes, démarcation (fiche 3), zone interdite, frontière. Cette dernière prévoit également des relais pour ces « naufragés » en louant des chambres près des obstacles majeurs. Parfois, plusieurs associations se regroupent pour rendre plus efficaces leurs actions auprès des candidats au passage. Ainsi, à de nombreuses reprises et à partir du 22 novembre 1942 (date officielle de la première évasion clandestine entièrement organisée par des juifs), la sixième direction de l’UGIF et les Eclaireurs Israélites de France préparent et réalisent en commun (chaque œuvre met en avant ses atouts et ses forces) des passages vers l’Espagne. De petits groupes de neuf personnes se constituent ainsi à la base oloronaise de l’Union avant le départ pour la dernière étape en montagne. De telles coopérations se reproduisent par la suite pour des objectifs que tous ces résistants jugent prioritaires tel le sauvetage des enfants (fiche 50) pour lequel les Eclaireurs de Marcel Gerhsow (crée en 1942), la sixième direction et l’Organisation de Secours des Enfants (OSE) par exemple se mobilisent.
Toutefois, au-delà de ces opérations clandestines, les volontaires juifs parviennent également à s’organiser militairement comme les autres réseaux de résistance à l’occupant. Plusieurs porteurs de l’étoile jaune gagnent ainsi les maquis ou travaillent activement pour leurs camarades d’infortune en fabriquant en série des faux papiers, en faisant évader des prisonniers de Gurs, en infiltrant des services officiels de la préfecture ou en faisant diffuser par la résistance et la radio londonienne des messages qui avertissent les juifs des rafles, comme c’est le cas à Nay en août 1942.
Un autre exemple de résistance active est à relever avec l’édition de nombreux journaux interdits. Si les premiers tirages qui défendent cette communauté et évoquent son sort sont lancés par des catholiques (ex : Témoignage chrétien), la genèse des organes de presse juive est à rattacher aux parutions communistes de la MOI (Main d’Oeuvre Immigrée) dont une partie, contrôlée par des mouvements sionistes, dénonce la «solution finale» et les persécutions. Cependant, avec les premières déportations en 1942, de nombreux titres tels J’accuse en zone occupée et Fraternité en zone non occupée se diffusent également en mentionnant des termes effrayants comme « extermination », « gaz » ou « génocide ». Renforcée par des distributions de tracts qui reprennent ces idées, cette sensibilisation des opinions permet à de nombreux Juifs d’échapper à la mort, les populations, prenant alors conscience des dangers en aidant et cachant des persécutés.
Avec plus de trois cents publications, ces journaux se propagent donc dans tout le département. Certains naissent même à l’intérieur du camp de Gurs où un groupe de juifs communistes crée un bulletin en français et en yiddish qui reprend les nouvelles, souvent terrifiantes pour les détenus, des journaux nationaux et étrangers (notamment l’Israélitisches Wochenblatt qui évoque la solution finale) qui circulent à l’extérieur du centre. Toutefois, si la rédaction de ces quelques pages illégales représente un acte de résistance très fort, leur simple distribution est souvent encore plus dangereuse. L’exemple de deux grandes figures de la résistance juive locale, les frères Schwarzenberg, arrêtés en février 1943 alors qu’ils donnent des journaux clandestins à des lycéens, reste particulièrement significatif.
Pourtant, l’évocation de cette lutte active ou même symbolique demeure, malgré tout anecdotique et isolée. La grande majorité des Israélites préfère en effet à l’action la survie. Cette dernière passe en général par la fuite (que de nombreux candidats tentent dès juin 1940 des ports basques (fiche 25) aux côtés de personnalités, de lycéens et de soldats) ou la clandestinité et « l’évaporation ». Ce «camouflage» dans des maisons isolées en montagne ou chez des proches sous de fausses identités (les papiers de famille dont les noms sont illégalement aryanisés, ayant mystérieusement disparu !), est une des solutions les plus utilisées par les victimes qui choisissent les «prisons volontaires» et les conversions de dernière minute (malgré les ordres de Monseigneur Vansteenberghe (fiche 45) qui interdit aux prêtres ces pratiques), plutôt que les baraques de Gurs et les trains de la mort.
Toutefois, à cette époque, le fait de rester en vie contre les politiques antisémites pour ces persécutés, n’est-il pas déjà en soit une puissante forme de résistance ?. La seule survie à ce génocide ne reste-t-elle pas en elle-même après-guerre une belle victoire sur la cruauté et la haine ?
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