Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Résistance au Pays Basque.31: RÉSEAUX D’ÉVASION EN PAYS BASQUE.

RÉSEAUX D’ÉVASION EN PAYS BASQUE: MARGOT, EVASION, SHELBRUN, ALSACE, VAUDEVIRE.

Benoit LAULHE – La Résistance au Pays Basque – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°31.

 

 

RÉSEAUX D’ÉVASION EN PAYS BASQUE: MARGOT, EVASION, SHELBRUN, ALSACE, VAUDEVIRE.

          Particulièrement surveillé par l’occupant, le Pays basque constitue une région peu propice à l’installation de maquis ou à l’organisation d’opérations de harcèlement. Toutefois, mettant à profit sa position frontalière et les nombreuses possibilités de passage clandestin en Espagne, les réfractaires parviennent à combattre efficacement les nazis en concentrant leurs efforts sur la mise en place de filières et de réseaux d’évasion.

          Efficaces par leurs résultats, mais complexes et risquées par leur organisation, les actions de ces mouvements de résistance caractérisent souvent l’engagement du peuple basque dans sa lutte contre l’ennemi allemand. Il peut être alors intéressant d’étudier en détail quelques exemples de mouvements œuvrant dans cette partie des Basses-Pyrénées. Avec leurs propres histoires, leurs caractéristiques et leurs spécificités, les réseaux Margot, Evasion et Shelbrun sont donc autant de symboles de résistance et de combat des fils d’Euskadi.

          Evoquer l’histoire de la résistance au Pays basque durant la Seconde guerre mondiale revient souvent à présenter et à décrire une série d’opérations de renseignement et d’évacuation lancées par des organes clandestins d’opposition. En effet, le contrôle de cette région par l’occupant ne facilite pas l’installation de maquis ou l’organisation de sabotages à grande échelle. Les différents volontaires et résistants de la zone comprennent donc rapidement qu’il leur faut mettre à profit leur position frontalière et leurs expériences de la clandestinité, notamment de la contrebande vers l’Espagne, pour créer des filières et des réseaux spécialisés dans le passage ou dans l’espionnage (la majorité intervient dans les deux domaines).

          Cependant une étude précise et exhaustive des très nombreux mouvements opérant dans la zone étant presque impossible, il apparaît malgré tout intéressant d’analyser cette spécificité majeure de la résistance basque en nous arrêtant sur l’histoire, souvent unique et anecdotique, de quelques mouvements en particulier. L’observation de ces derniers (Margot, Evasion et Shelbrun), choisis en fonction de leurs spécificités, de leurs origines ou de leurs types d’actions, nous permet donc de pénétrer dans ce monde obscur et méconnu de l’évasion tout en tenant compte des particularités liées au cadre d’action de ces structures, c’est à dire à l’espace basque.

          Avant d’évoquer dans le détail l’histoire de ces organisations, il est toutefois important de préciser quelques caractéristiques propres à ce type de structure. Nous devons ainsi rappeler tout d’abord la grande variété et l’absence d’uniformité pour tous ces réseaux : en relation avec Londres ou Alger, financés ou autonomes, permanents ou occasionnels, ces mouvements clandestins d’évasion se différencient tous en effet les uns des autres par leurs origines (création spontanée par des réfractaires ou commandée par les services secrets alliés), leurs modes de fonctionnement (échelle d’action, type de financement…), leurs agents (bénévoles ou rémunérés, spécialisés ou polyvalents…) ou leurs résultats.

          De même, la complexité de leur organisation et de leur fonctionnement, notamment liée à la grande mobilité des agents (certains travaillent pour plusieurs structures à la fois) et à la nécessité de garder ces opérations secrètes, sont autant de particularités dont il faut tenir compte avant d’examiner des cas précis.

          Il faut enfin faire une distinction entre les réseaux nationaux (ou internationaux) qui acheminent vers l’Espagne des personnalités politiques, des officiers français, mais surtout des aviateurs alliés abattus au-dessus de l’Europe nazie (bien pris en charge par la résistance, ils bénéficient souvent d’une importante assistance et de conditions d’évasion particulières) et les réseaux purement locaux dont les utilisateurs sont des familles et des petits groupes arrivés par leurs propres moyens avec les nombreux risques qu’une telle odyssée comporte. Parmi les multiples organisations qui entrent dans ces deux dernières catégories, nous pouvons nous arrêter sur quelques exemples représentatifs ou au contraire, plus exceptionnels et uniques.

          Réseau éphémère, mais méritant d’être évoqué car représentatif de l’état d’esprit d’une partie de la jeunesse pleine de volonté et de courage, Margot voit le jour en novembre 1942, au moment de l’invasion de la zone libre, sur l’initiative d’une jeune étudiante en médecine parisienne âgée de vingt- deux ans : Marguerite de Gramont.

           Refusant cette «annexion» symbolique et l’ordre totalitaire de l’occupant, cette fille de bonne famille quitte la capitale et gagne par ses propres moyens le Pays basque (plus précisément Saint-Jean-le-Vieux) où elle a déjà séjourné plusieurs mois en cure de repos. Rapidement sollicitée (début 1943) par plusieurs amis de la capitale, (en grande partie des étudiants de milieux aisés) souhaitant quitter le pays par l’Espagne pour rejoindre la France libre du général de Gaulle, Marguerite de Gramont se lance dans la recherche de filières clandestines qui sont susceptibles de faciliter de telles évasions. Cette quête la mène dans un premier temps clandestinement à San Sébastien où elle compte de nombreux amis, puis à Madrid d’où, suivant les conseils de ces derniers, elle essaye d’entrer en contact avec des agents de l’organisation Base Espagne. Ces derniers trouvés, elle réussit à obtenir quelques informations, mais surtout des contacts qui peuvent l’aider dans son projet de création de réseau.

          De retour en France, ce dernier commence après quelques semaines de travail à prendre forme, notamment grâce aux conseils et aux actions de deux grandes figures locales de la résistance : Kattalin Aguirre et le passeur Florentino Goïkoetxea. Financé et dirigé par Marguerite de Gramont, le réseau Margot entre finalement et concrètement en action au printemps 1943 lorsqu’une première «évasion test» est entreprise. Couronnée de succès, elle est rapidement suivie par des dizaines d’autres évacuations qui permettent durant ces quelques mois d’été et d’automne 1943 de passer en Espagne de nombreux membres de la haute société parisienne, mais aussi des relations familiales des de Gramont et des officiers d’activité.

          Découverte en décembre par la Gestapo, cette organisation doit toutefois cesser son activité après le départ précipité et mouvementé à Madrid (puis à Londres) de sa fondatrice.

          Structure insignifiante par son bilan et par l’importance (numérique) de ces évasions, Margot reste malgré tout un excellent symbole d’abnégation et de détermination, l’action courageuse et désintéressée de sa fondatrice donnant à elle seule au mouvement un prestige et une reconnaissance incontestés.

           Autre organisation travaillant pour (et avec) des personnalités, Evasion reste l’un des sous réseaux, une annexe, du puissant Shelbrun-Alsace-Vaudevire, les plus efficaces et les plus connus dans ce domaine. En contact avec les guides basques Antoine Lajusticia, de Bayonne, et Jean Bidegain, de Bassussary, ce mouvement, actif entre mars 1943 et février 1944, se spécialise dès sa création dans le passage d’aviateurs (cent-trente réussites sont répertoriées), mais aussi de personnalités. Avec un impressionnant bilan, malgré sa brève vie et ses nombreux « coups durs », il reste avant tout marqué par quelques actions spectaculaires, sans conséquences stratégiques particulières, mais dont la portée symbolique est très forte. L’une des plus retentissantes reste sans nul doute celle de l’évasion par l’une de ses filières de Madeleine de Gaulle, épouse de Pierre,  frère cadet du général.

           Après l’arrestation de son mari (grand résistant dans la région lyonnaise), cette mère de six enfants est dans l’obligation de fuir avec toute sa jeune famille (l’aîné n’a que onze ans à cette époque) la région de Rouen et le pays. Plusieurs tentatives par avion depuis le Roussillon échouant début mai 1943, le réseau Libération Nord  auquel elle appartient, organise une sortie par le Pays basque durant laquelle les hommes d’Evasion jouent un grand rôle. Plusieurs volontaires de cette région se relaient alors pour que cette opération soit la plus sûre possible, mais aussi la moins éprouvante pour les de Gaulle. Ils sont notamment pris en charge et protégés par Albert Puyo, mais aussi par M. Darnonnens et Mme Ruel. La traversée de la frontière en elle-même est assurée par Jean Bidegain avec l’aide d’Antoine Lajusticia.

          Parfaitement organisée et réalisée, cette évasion et l’ensemble des actions du réseau sont commémorées et honorées après-guerre par plusieurs récompenses. L’une des plus prestigieuses reste celle remise par le général de Gaulle en personne en 1947 à Ascain, Toutefois, si ces évacuations spectaculaires restent dans l’Histoire, la majorité des passages par les Basses-Pyrénées et le Pays basque concerne des anonymes, souvent bien plus importants militairement pour les alliés que ces quelques personnalités.

          Au-delà de ces quelques actions prestigieuses sur la côte ou plus à l’intérieur des terres, une grande partie des opérations d’évasion et de renseignement de la zone est assurée par le réseau français Shelbrun. Très importante pour l’espionnage, mais surtout pour le passage de la frontière, cette organisation regroupe plusieurs organes spécialisés ou sous réseaux, dont Alsace (qui s’occupe des évacuations) et Vaudevire (considéré dans un premier temps comme indépendant et relié à Base Espagne.

 

          L’histoire d’Alsace au Pays basque commence en avril 1942 avec le passage du colonel Mot du troisième régiment de la légion et de cinq de ses officiers par Ruffino Jauréguy, un réfugié espagnol de Cambo. Le bouche à oreille faisant par la suite son œuvre et répandant la nouvelle, ce passeur occasionnel commence à être régulièrement sollicité, notamment par des militaires, sans toutefois se rattacher à un réseau ou à une quelconque organisation. Fin décembre 1942, le lieutenant Thibault cherchant à rejoindre l’Afrique du Nord est mis en rapport avec Ruffino par un autre militaire. Cependant, face aux difficultés qu’ils rencontrent et à son envie de combattre l’ennemi sur le sol national, l’officier décide de rester en France et de monter une ligne d’évasion pour faciliter la tâche d’autres évadés. Il s’appuie principalement sur des contacts parisiens (Mmes Julien, Delplanche, Le Guiller et M Bureau) et basques.

          Les opérations sont censées dans un premier temps se dérouler de la manière suivante : Arrivant de Paris ou du nord du département en train, les transfuges sont pris en charge par Jauréguy à la gare d’Urt et conduits à pied chez M Herran à Cambo. Après s’être reposées, ces personnes partent de nuit vers Itxassou, puis vers la péninsule ibérique en contournant le Mondarrain par l’ouest pour arriver aux ventas (magasins frontaliers) en Espagne. A présent, si cette filière paraît relativement sûre et efficace, en août 1943, elle connaît un important bouleversement après la rencontre entre Thibault et l’agent A Six envoyé par la Base Espagne de Madrid. Ce dernier « officialise » en effet l’existence et l’action du réseau et demande à son responsable d’axer son travail sur le passage d’aviateurs et de parachutistes alliés. A cette date, environ cent cinquante officiers, sous-officiers et hommes de troupe ont pourtant déjà emprunté cette ligne.

          Toutefois, malgré une augmentation des mesures de sécurité et des précautions, le début d’année 1944 est particulièrement difficile pour l’organisation : le 16 février, André Bureau est en effet arrêté à Paris par la Gestapo (quelques mois auparavant, Hélène Julien est prise et déportée). Thibault lui, réchappe de justesse bien que blessé, au piège qui est fatal à Bureau. Plus discret dans le réseau, il poursuit malgré tout son action aux côtés de Ruffino jusqu’en août 1944 en sauvant plus de cent dix pilotes anglo-américains.

          Si Alsace se spécialise à partir d’août 1943 dans l’évasion et se rattache (tout en restant indépendant) à Madrid et à la Base Espagne, un second sous réseau, toujours affilié à Shelbrun, est alors crée sous le nom de Vaudevire. Sollicitant des agents déjà engagés par Alsace, il se consacre à escorter puis passer des civils, des juifs, des jeunes fuyant le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) et éventuellement quelques agents secrets ou militaires. Nous pouvons donc constater avec ce mouvement une nouvelle répartition des tâches au sein de Shelbrun. Alsace passe des étrangers et des évadés prioritaires pour les alliés, Vaudevire des ressortissants français et des candidats souvent délaissés par les autres structures.

      L’hébergement pour ces derniers est en grande partie assuré par l’abbaye de Belloc à Urt qui est un grand foyer de résistance et d’évasion, notamment grâce à trois pères impliqués dans l’organisation dès février 1943 : les pères Dom Jean Gabriel Hondet (supérieur), Grégoire Joannateguy (prieur) et Ildefonse Darricau (hôtelier). D’autres lieux d’hébergement ou relais sont par ailleurs également sollicités à Hasparren (maison Pouticotéa chez Germaine Cornu, chez Arnaud Bidart) et à Urcurray (maison Chalia chez André et Amélie Olhate). Le reste du travail est enfin réalisé par Ernest Rojas de Biarritz qui s’occupe des liaisons et du convoyage entre les lieux de cache et les passeurs. Augustin Lissarague d’Hasparren et Baptiste Bélaustéguy d’Urcurray assument cette dernière responsabilité sous les ordres du chef de secteur, Gabrile Condom (de Biarritz).

          Au total, ce réseau emploie plus de cinquante agents occasionnels  dont vingt-deux au Pays basque, mais surtout vingt et un permanents, onze étant originaires de la région. Pourtant, comme beaucoup d’autres structures, ce réseau est démantelé le 14 décembre 1943. Parmi les volontaires basques, neuf sont arrêtés, deux emprisonnés et sept déportés (Lissarague, Cornu et Bélaustéguy ne rentrent pas des camps). Les seuls qui en réchappent sont MM Condom et Bidart. Ces sacrifices ne sont pas malgré tout restés vains, trois cent soixante-sept personnes étant sauvées et conduites en Espagne, parfois avec le concours d’habitants de la région ou de petits réseaux ou filières locales comme celles de la famille Elissetche de Saint-Jean-Pied-de-Port.

          Comme ces quelques réseaux précédemment évoqués, un nombre important d’organisations de résistance clandestines utilisent le Pays basque pour s’opposer, à leurs manières et avec leurs forces, à l’occupant ou au gouvernement de Vichy. Qu’il s’agisse de réseaux d’évasion, comme Zéro, Comète et Shelbrun, ou d’organes spécialisés dans le renseignement, comme la Confrérie Notre Dame, Marc-France, la Base Espagne ou Mécano, tous ces mouvements prouvent donc durant tout le conflit, avec des actions et un bilan plus ou moins importants, que dans une zone ne favorisant pas particulièrement les opérations de résistance dites «conventionnelles», il est possible de participer à la lutte et de contribuer à la victoire finale.

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