Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.09: Exemples de filières de passage.
EXEMPLES DE LES FILIÈRES DE PASSAGE : La filière de Henri Barrio, la filière de Jacques Perrot.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n° 9.
EXEMPLES DE FILIÈRES DE PASSAGE :
LA FILIÈRE D’HENRI BARRIO
LA FILIÈRE DE JACQUES PERROT.
S’il est impossible de répertorier et d’étudier toutes les méthodes d’évasion employées par les passeurs des Basses-Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale, il peut être en revanche intéressant d’analyser le déroulement d’une évasion et les «combines» de quelques passeurs.
Pour cela, l’étude de deux cas, l’un aspois, basé sur l’action de deux instituteurs qui se relaient entre Pau et l’Espagne, l’autre basque, par l’utilisation d’un câble forestier à partir de la scierie à Mendive, permet de se plonger dans ce milieu fait de ruses et de courage.
Etudier l’histoire des passeurs durant la Seconde guerre mondiale (fiche 7) dans les Basses-Pyrénées amène souvent à évoquer des cas particuliers, des anecdotes et des témoignages d’anciens acteurs. Cependant, si nous nous tenons à la réflexion qui affirme « qu’il y a autant de formes de résistance qu’il y a eu de résistants », nous ne pouvons envisager de réaliser une étude complète et rigoureuse en nous arrêtant sur chaque exemple et sur chaque filière. Il nous est alors nécessaire d’adopter une démarche plus sélective en nous penchant sur l’étude de cas et d’exemples particuliers, à même de nous faire comprendre ce que put être le monde de l’évasion.
Nous avons donc choisi d’analyser deux cas régionaux pour illustrer cette analyse : celui du «duo» Barrio-Dutech, qui agit en vallée d’Aspe, et celui du responsable de la scierie de Mendive, Jacques Perrot.
Si chaque passeur exerce son activité pour des raisons et des motivations différentes, chacun d’entre eux utilise également une méthode et un système de franchissement des obstacles particuliers. Ainsi, dans le cadre des évasions par la vallée d’Aspe, nous disposons de témoignages de célèbres passeurs dont l’action s’est effectuée en deux temps. Cette dernière est, en effet, basée, sur l’association de deux instituteurs aspois, Henri Barrio et Jean Dutech, l’un exerçant à Serrot près de Sarrance, l’autre à Borce.
Ancien prisonnier de guerre évadé, Jean Dutech assure dès le début de l’occupation, en plus de son métier d’enseignant, la fonction de secrétaire de mairie. Si ce poste peut paraître dans un premier temps sans intérêt pour son engagement résistant, il s’avère être pendant la guerre particulièrement utile, non seulement pour fabriquer de « vrais faux papiers » en toute impunité, mais surtout pour cacher les évadés qui lui sont confiés, plusieurs bâtiments administratifs ou inoccupés étant à sa disposition.
Henri Barrio (également appelé Coucou) est plus connu dans la vallée pour son engagement précoce dans la résistance et pour ses nombreuses relations dans ce milieu ; il est notamment en liaison avec Honoré Baradat, de Pau, et d’autres grands responsables régionaux ou nationaux). Réquisitionné en 1939 au service du ravitaillement, il parvient à profiter de cette nouvelle fonction (fournitures régulières de vivres à la résistance, «couverture» idéale…), mais surtout de ses différents avantages matériels ou honorifiques (laissez-passer, véhicule de fonction), pour organiser des passages clandestins vers l’Espagne.
Les évasions se déroulent presque toujours de la même manière : utilisant la moto et les Ausweis (laissez-passer) mis à son service par l’administration, Henri Barrio se rend dans le cadre de son travail, plusieurs fois par semaine à Pau pour négocier de questions de ravitaillement. Cette tâche accomplie, au lieu de rentrer seul, il passe prendre chez un contact de l’armée de l’ombre un candidat à l’évasion pris en charge jusque-là par une organisation clandestine. Placé à l’arrière de la moto, le fugitif se rend ainsi rapidement et sans problème à Borce, au cœur de la zone interdite. L’instituteur aspois profite en effet des « liens amicaux »¹ qu’il entretient sciemment avec les douaniers allemands pour franchir à toute vitesse les postes de contrôle, la fréquence de ses allers et retours, faisant qu’au seul bruit de l’engin, les policiers lèvent la barrière à l’avance pour éviter à ce fonctionnaire de Vichy zélé d’être ralenti dans sa course. Le fugitif gagne ainsi sans soucis ni contrôles la zone interdite.
Arrivé à Borce, Barrio confie l’évadé à Jean Dutech. Mettant lui aussi à profit sa fonction, il cache ce dernier dans le grenier de la mairie ou dans l’école en attendant l’arrivée d’autres candidats au passage. Lorsqu’ils sont assez nombreux, l’instituteur se transforme alors en guide de montagne et emmène les évadés vers les vallons de Belonce, à l’ouest de Borce, et d’Arlet jusqu’à Aguas Tuertas, en Espagne. Cette course effectuée, de nuit et après plusieurs heures de marche épuisantes, souvent bénévolement d’ailleurs, Dutech doit alors rentrer au village avant le lever du jour pour reprendre sa classe comme si rien ne s’était passé.
Ce système fonctionne ainsi et sans problème jusqu’en 1944. Cependant, un jour de course, un passager à l’arrière de la moto, Barrio trouve en arrivant à Sarrance la barrière baissée. Dénoncé par un habitant de la vallée, il est arrêté et déporté par les soldats qui quelques jours auparavant le saluait amicalement. Il réussit toutefois à s’échapper du train qui l’emmène vers l’Allemagne et finit la guerre caché mais vivant. Son ami et associé Dutech lui, parvient à poursuivre ses activités clandestines sans trop de problèmes et à atteindre la libération où il s’illustre en pénétrant le premier dans le fort du Pourtalet assiégé.
Si cette méthode de passage peut sembler assez originale et osée, un autre exemple» localisé au Pays basque parait encore plus surprenant : celui de la scierie de Mendive.
Au début de la guerre, un citoyen belge nommé Jacques Perrot (docteur Schepens de son véritable nom), appartenant au réseau d’évasion Zéro (fiche 16), reprend pour le compte de ce mouvement clandestin une vieille entreprise en faillite et en cessation d’activité depuis plusieurs années : la scierie de Mendive. Après avoir engagé de nombreux ouvriers espagnols réfugiés dans la région, ainsi que quelques polytechniciens juifs ou alsaciens fuyant les persécutions et la Wehrmacht, Perrot relance l’exploitation de la forêt d’Iraty et la commercialisation du bois pyrénéen. Cependant, les commandes étant insuffisantes, il doit se résoudre à fournir le gouvernement de Vichy et les Allemands, ce qui le fait aussitôt qualifier de traître par de nombreux Basques. Pourtant, ce que toutes ces personnes ignorent, c’est que derrière cette petite entreprise se cache en réalité un véritable réseau d’évasion.
Connu seulement de quelques personnes (la famille Perrot, l’ingénieur Pelfort, Pomerantzef et deux passeurs), cette activité amène vers l’Espagne pendant plus de dix- huit mois des dizaines d’aviateurs, de courriers, mais aussi de simples candidats à l’évasion, sans que ni les ouvriers, ni la police, ni les autochtones n’en soient informés. L’organisation de cette filière repose à la base sur l’utilisation d’un long câble en acier de treize kilomètres, remis en place par Perrot, et qui transporte à l’origine à partir de bennes, des troncs débités, du plateau d’Iraty vers le village de Mendive par la forêt. Financé et réparé en partie par le régime de Vichy, ce téléphérique se met peu à peu à transporter à la place du bois, des évadés qui, sans aucun effort, passent ainsi du village basque au fleuve frontière espagnol. De là, il suffit alors aux fugitifs de longer le ruisseau pendant une heure pour atteindre la Casa del Rey, ancien pavillon de chasse des rois d’Espagne transformé en auberge de montagne, mais surtout en relais et en première étape vers la liberté.
Rapidement absorbée par plusieurs réseaux en relation avec Londres ou Bruxelles, cette filière réussit malgré tout à rester secrète, les Allemands utilisant eux-mêmes le câble pour transporter leurs sacs lors des patrouilles en montagne. Très efficace, ce système d’évasion n’a cependant qu’une durée de vie assez brève (dix-huit mois). La découverte de l’astuce suite à une trahison interrompt définitivement son exploitation. Elle reste malgré tout le symbole et l’illustration parfaite de ce que peut être le monde des passeurs et de l’évasion, un monde fait de risques, de patriotisme, mais aussi d’originalité.
Nous avons donc pu observer, à travers ces deux exemples de filière, quelques caractères spécifiques et exceptionnels du passage.
Si chaque passeur pratique son itinéraire, possède sa méthode d’évasion et de passage, il reste dans ce milieu de l’évasion, des valeurs communes fortes, faites de dévotion et de courage. En effet, les victoires ne se mesurent pas sur les sommets pyrénéens en termes de conquêtes ou en nombres de pertes ennemies, mais tout simplement en vies sauvées ou en traversées réussies.
¹ Association Mémoire Collective en Béarn (AMCB), Passages en Aspe, Bizanos, AMCB, imprimerie Bihet, 1994, 167 p.
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