Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.06: Passeurs et évadés.

 

UNE AVENTURE RELIANT PASSEURS ET ÉVADÉS.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n° 6.

 

 

 

UNE AVENTURE RELIANT PASSEURS ET ÉVADÉS.

Derrière la réussite d’une tentative d’évasion se cachent toujours des dizaines de volontaires, anonymes ou héros de l’armée de l’ombre, combattant depuis plusieurs années sur les cimes basques ou béarnaises l’ennemi nazi.

Eléments centraux de la «bataille des Pyrénées», ces réfractaires participent à leur manière, par des actions quotidiennes, décisives ou anodines, à l’un des plus glorieux engagements de la résistance dans notre région. Ainsi, il parait intéressant d’examiner dans le détail l’organisation humaine, mais aussi les différentes catégories de volontaires composant ces «filières de la liberté».

          L’histoire des évasions par les Basses-Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale pourrait se résumer par une série de récits de tentatives d’anciens fugitifs ou d’agents de passage. En effet, si les évacuations sont considérées comme des « faits militaires individuels »¹ ou comme des actes volontaires et actifs de résistance (leurs auteurs sont soit de futurs combattants, soit des opposants traqués par le régime nazi), elles doivent également être perçues comme une succession de dévouements et de sacrifices. Derrière chaque tentative réussie se cachent en effet un nombre important d’acteurs plus ou moins impliqués et engagés dans ces opérations.

          Au-delà d’un simple acte de patriotisme et de bravoure, une traversée des Pyrénées représente donc une formidable aventure humaine faite de courage, de volonté, mais aussi de solidarité et d’abnégation. Il peut donc être intéressant d’examiner quels sont les différents rôles et les grandes catégories de combattants dans ces épopées, mais aussi quels sont les plus connus et les plus actifs dans notre région.

L’élément central et l’objet de tous les efforts dans cette période douloureuse de notre histoire locale reste le réfractaire, candidat au passage. Quels que soient leurs motifs de départ et leurs origines (fiche 2), qu’ils soient juifs traqués, réfractaires au S.T.O., simple volontaire pour rejoindre les Forces Françaises Libres (F.F.L.) ou résistant brûlés, ces fugitifs ont en commun une farouche haine des Allemands qu’ils souhaitent fuir et combattre par tous les moyens, ainsi ,u’une profonde volonté de quitter le pays occupé. Cependant, parmi cette masse de volontaires pour l’exil, deux grandes catégories de fugitifs semblent se distinguer : les personnalités et les soldats spécialisés d’une part et les simples volontaires ou les persécutés de l’autre.

          Indispensables et « prioritaires » pour les alliés, les pilotes abattus, les courriers de la résistance ou les personnalités civiles et militaires bénéficient d’une assistance et d’une prise en charge quasi complète de puissants réseaux d’évasion contrôlés par l’I.S. (Intelligence Service) britannique ou le B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d’Action) français. Avec une organisation rodée, bien structurée et une action généralement gratuite, rapide et efficace, les traversées se déroulent la plupart du temps sans grands problèmes ni prises de risques conséquentes. Chaque danger est en effet appréhendé et écarté, notamment grâce à d’importants investissements (fiche 8).

          A l’opposé, une autre catégorie de candidats, composée «d’individuels» et d’anonymes (jeunes français, réfractaires au STO, prisonniers de guerre évadés, raciaux, résistants…) est contrainte de réaliser la traversée sans assistance et en presque totale autonomie. Leurs seules sollicitations des mouvements ou des filières intervient à l’approche de la frontière, pour la dernière étape française de l’évasion dans les zones montagneuses. Toute la progression (fiche 4) vers le département limitrophe, l’hébergement, la recherche de passeurs, le financement sont donc à leur charge. Par ces nombreuses recherches (souvent au grand jour et en zone inconnue) et par un manque fréquent de précautions lié à un enthousiasme débordant, ces volontaires s’exposent considérablement à l’ennemi et à ses pièges (fiche 19), malgré les nombreuses tentatives d’interceptions des résistants locaux. Ils constituent alors l’essentiel des victimes et des martyrs de cette bataille, l’inégalité des chances entre résistants dans cette partie du «combat» étant en effet à son paroxysme.

Les Passeurs. Toutefois, face à ces difficultés et aux importantes arrestations (notamment lors des recherches de filières), de nombreux opposants aux nazis s’engagent concrètement dans la lutte, avec leurs moyens et à leur niveau, en portant assistance aux fugitifs. Il peut s’agir dans un premier temps de simples bénévoles et d’agents occasionnels des réseaux, qualifiés « d’intermédiaires » dans le monde de l’armée de l’ombre par leurs positions transitoires dans les chaînes d’évasion. Aussi importants et décisifs que les passeurs (fiche 7), mais avec un engagement et une action irrégulière, ces volontaires, à travers leurs activités quotidiennes, leurs professions, et sur leurs lieux de résidence en zone montagneuse, participent aux évasions et à l’œuvre des organisations clandestines (fiche 1). Ils orientent, renseignent et conseillent, parfois même interpellent les fugitifs qui prennent des risques lors de leurs recherches ou qui se confient à eux sans forcément connaître leurs positions.

Ces contacts sont généralement des hôteliers ou des cafetiers des vallées basques et béarnaises, une grande partie des propriétaires ou des employés de tels établissements étant en relation (plus ou moins étroite) avec la résistance et les passeurs. Dans beaucoup de cas, leurs investissements se limitent pourtant au renseignement des réfractaires. Leurs connaissances du milieu montagnard et de ses spécialistes sont en effet souvent suffisantes pour les diriger vers les personnes susceptibles de les prendre en charge. Cependant, les principaux atouts de ces intermédiaires reposant sur leur publicité et leur notoriété, il n’est donc pas surprenant de trouver également de nombreux fonctionnaires, des ecclésiastiques (fiches 43/ et 44) des élus (ou responsables politiques) et des commerçants à ces postes.

Si leurs actions se limitent régulièrement à de simples conseils ou orientations, elles peuvent s’avérer particulièrement risquées : ces bénévoles se trouvent en général en position de premier contact et de «vitrine publique» des chaînes. Par cela, ils représentent donc les cibles privilégiées pour les provocateurs (ou dénonciateurs) et autres agents allemands qui se font passer pour des candidats. Face à la multiplication des traîtres, les résistants doivent en conséquence être plus méfiants et prudents face aux sollicitations trop directes et suspectes. Très nombreux quand on se rapproche de la frontière, ces agents de réseaux ne restreignent pas pour autant leurs activités pour l’armée de l’ombre. Celles-ci peuvent aller du simple ravitaillement, à la réception d’évadés dans les gares, en passant par l’hébergement ou l’escorte jusqu’aux points de rendez-vous avec les passeurs.

Très efficaces, voire décisives lors des passages «d’individuels» ou de réseaux, ces personnes ont durant la guerre des responsabilités très diverses (de la simple transmission de courriers ou d’informations, à l’escorte d’évadés au-delà des barrages), mais un dévouement sans faille qui en fait un maillon indispensable des chaînes d’évasion. Restés trop souvent dans l’ombre et en dehors de tous honneurs après-guerre, ces résistants permettent pourtant le sauvetage de centaines d’opprimés par leurs actions, certes peu spectaculaires, mais incontournables et vitales.

Plus importants encore que ces volontaires dans le déroulement des évacuations, les responsables de réseaux, leurs créateurs ou les passeurs occupent une place stratégique et centrale dans le bon fonctionnement des organisations.

Parmi ces illustres résistants locaux, nous devons tout d’abord évoquer l’action de Sauveur Bouchet (fiches 7 et 19) de Licq-Athérey, près de Mauléon. Faisant partie des premiers opposants à avoir créé dès l’été 1940 (en août dans son cas) des filières d’évasion dans les Basses-Pyrénées, il est rapidement recruté par FIS qui apprécie sa rigueur, son efficacité, mais surtout l’assurance de ses traversées. Il l’emploie donc comme agent avec son frère Guillaume, Dominique Etchegoyen et Pascal Ascano. Sollicitant des guides expérimentés, préparant minutieusement chaque étape en France et en Espagne, ces quatre personnes réalisent durant le conflit plus de trois cents passages, surtout d’officiers belges, britanniques et français. Leurs itinéraires (4) privilégiés passent par IRATY, Erroca, Hastor, la Casa del Rey et Orense. Cependant, en février 1944, les frères Bouchet et Ascano sont arrêtés par la Gestapo au retour d’une course. Si les deux Basques réussissent peu de temps après à se faire libérer par manque de preuves, le troisième homme a moins de chance et disparaît dans les mains des nazis.

Autres fondateurs précoces de mouvements, Mme de Blignères et M. de Chaineux effectuent grâce à leur organisme, Ferdinabel – les Rois Catholiques, d’importantes actions dans notre région durant une grande partie du conflit. Il en est de même pour Jean de Riquer qui crée avec Galtier d’Auriac (fiches 56 et 57), au printemps 1942, un réseau de passage qui regroupe une vingtaine de volontaires. Répartis en deux équipes chargées d’intercepter les candidats au passage isolés et de recevoir ceux du réseau, ces résistants profitent du poste de secrétaire de mairie de ce dernier pour fabriquer de nombreux «vrais faux papiers» et pour nourrir ou cacher les fugitifs. Ils ne peuvent toutefois éviter en mars 1943 l’arrestation d’un convoi (fiche 19) à destination de la vallée de Roncal et d’Isaba et la perte de toutes les filières.

            Ces responsables – passeurs peuvent également porter assistance aux persécutés dans le cadre de leurs emplois. L’un des exemples les plus illustres reste celui de M. Quinolle (fonctionnaire des Ponts et chaussées) qui, avec l’aide du passeur Olazabal, de Barcus, assure pendant de longs mois d’occupation la traversée de plus de neuf cents personnes, notamment par la ligne Pau – Nay – Arbéost. Jean Vincent Larroze, cheminot et accessoirement courrier et passeur dans la clandestinité, s’engage également pour le même objectif par la voie Pau – Canfranc avec l’aide du capitaine des douanes de Canfranc Lelay, lui-même en liaison avec différents consuls de France en Espagne.

                D’autres filières sous les ordres d’importants agents, travaillent enfin durant cette «bataille des Pyrénées» pour passer ou faire passer des réfractaires en Espagne. C’est notamment le cas de la filière Laporte, crée à la demande de FIS en 1943 après la rencontre de MM Bourgoin et Jack et de quatre représentants de la Résistance départementale (MM. Bordelongue, Recaborde, Speeklin et Laporte), dans le but de sauver un maximum de pilotes alliés abattus. Après quelques passages réussis, cette filière s’éteint toutefois prématurément en mai 1943 après l’arrestation de deux convois et de plusieurs agents.

                Personnages sûrement aussi importants et indispensables que ces responsables ou ces créateurs de réseaux, les passeurs (fiche 7) accomplissent pendant des années la dernière étape de cette aventure en escortant et en guidant les évadés jusqu’à la liberté.

Anonymes montagnards pour la plupart, ces résistants à part entière ont tous assuré (avec des motivations différentes) l’une des parties les plus difficiles et les plus risquées de l’évasion : le franchissement clandestin de la frontière. Si leurs actions ne sont que rarement reconnues et souvent dévalorisées par rapport à celles des agents bénévoles, elles restent pourtant l’un des plus beaux symboles du refus des résistants basques et béarnais de l’occupant et de la défaite.

A présent, il est encore aujourd’hui difficile d’en connaître le nombre exact dans le département. Les enquêtes d’Honoré Baradat ne permettent de reconstituer qu’une liste provisoire et incomplète de plus de cent trente noms. Les plus importants et les plus connus restent sûrement ceux de Sauveur Bouchet (fiches 7 et 19), des frères Barats (fiche 14) d’Eaux-Bonnes, des frères Blasquiz d’Hasparen, de Michel Olazabal de Barcus, des frères Eyhermendy de Saint-Engrâce et de Florentino Goïkoetxea (fiche 10).

Parmi cette centaine de cas, une vingtaine concerne toutefois des femmes qui sont (et on l’oublie trop souvent) des actrices très importantes dans cette lutte des cimes, soit en tant qu’intermédiaires, soit en tant que passeurs ou responsables. De véritables légendes sont ainsi nées à partir des actions souvent héroïques et tragiques d’une Marguerite Corysande de Gramont (fiche 31) ou d’une Andrée de Jongh (fiche 17) par exemple.

Avancer une estimation réaliste du nombre total de personnes qui participent aux opérations de passage de frontière vers l’Espagne s’avère être dans notre département particulièrement difficile à réaliser (notamment à cause des très nombreux intermédiaires). Les rares études effectuées tendent pourtant à répertorier dans le Béarn et au Pays basque plus de six cents acteurs dévoués et régulièrement engagés dans des opérations clandestines (passeurs compris, ces derniers représentent plus de 25 % d’entre eux, soit un total de cent cinquante à cent quatre-vingt guides).

Aventure humaine complète et exigeante, l’évasion des volontaires par les Pyrénées nécessite donc de bonnes organisations, d’importants effectifs, ainsi qu’une hiérarchie et une spécialisation respectées. Chaque volontaire, quel que soit son poste, ses responsabilités et ses prises de risques, joue un rôle essentiel dans le fonctionnement des chaînes.

Toutefois, si certains noms sont restés dans l’histoire locale par leurs destins tragiques ou leurs actions héroïques, la grande majorité demeure, aujourd’hui encore, dans l’ombre. Leurs engagements et leurs services pour les réseaux ou les filières restent pourtant indispensables et bien souvent décisifs.

¹ Eychenne E., Les Pyrénées de la liberté, Paris, éditions France Empire, 1983, 380 p.

 

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