Association BPSGM Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale 64000 Pau
LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.05: Etat espagnol et passages.
L’ETAT ESPAGNOL FACE AUX PASSAGES.
Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –
Fiche n°5.
L’ETAT ESPAGNOL FACE AUX PASSAGES.
Si la péninsule ibérique est perçue par les volontaires voulant rejoindre l’Afrique du Nord ou l’Angleterre comme une véritable «porte de sortie vers la liberté» et comme un symbole de victoire, la majorité d’entre eux ne trouve en réalité dans cette terre promise, une fois les Pyrénées françaises franchies, qu’un ultime obstacle et une dernière épreuve à vaincre.
Refoulés ou livrés aux Allemands dans les pires cas, emprisonnés et abandonnés dans d’infâmes prisons la plupart du temps, les fugitifs voient en effet leurs rêves d’indépendance et de reprise de lutte aux côtés des alliés souvent remis en cause par l’attitude des forces de l’ordre espagnoles. Cependant, si ces franquistes compromettent considérablement les évasions, de nombreux autochtones, surtout des Pyrénéens, parviennent par leur assistance et leur hospitalité à soulager les souffrances de ces voyageurs et à faire oublier ces attitudes parfois criminelles, généralement complices.
Si l’étude des évasions par les Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale semble ne concerner que les habitants des zones frontalières, les différents volontaires (résistants et fugitifs) et l’occupant, un autre type d’acteur, souvent oublié, joue également un grand rôle dans l’histoire, mais surtout dans la réussite ou l’échec des passages : l’état espagnol.
Objectif et destination rêvée par tous les fugitifs persécutés par les nazis, l’Espagne peut vite se transformer pour les «voyageurs» qui y parviennent, en dernier obstacle avant la liberté et en ultime danger. En effet, si pour les évadés, les principaux dangers (fiche 19) sur la partie française du trajet se nomment Gestapo, Grenzeschutz (douane), SIPO (Sicherheit Polizei, police secrète) et milice, les douaniers espagnols ou les carabineros peuvent également être considérés comme de redoutables ennemis sur les versants sud des Pyrénées.
Pour ces derniers, une personne qui préfère franchir la frontière à pied, par un chemin (fiche 4) éprouvant, difficile et dangereux en montagne, alors qu’il est relativement facile de gagner les extrémités de la chaîne où les trains, les bateaux, et les routes sont plus sûrs et plus pratiques pour arriver en Espagne, est quelqu’un de suspect, donc à arrêter et à enfermer (puis dans un second temps seulement, à interroger). Partant de ce principe, les douaniers et des policiers ibériques se lancent eux aussi sur la zone frontière et au cœur des provinces pyrénéennes dans la traque des évadés qui arrivent de France. Si nous prenons également en considération les tensions qui existent entre fonctionnaires espagnols et français suite à l’accueil et à la protection par ces derniers des troupes républicaines défaites durant la guerre civile (mais toujours revanchardes), nous pouvons comprendre que les douaniers en poste sur la partie méridionale des Pyrénées soient véritablement hostiles et menaçants à l’égard de toute personne venant du nord.
Cette attitude entraîne dans un premier temps (au début de la guerre), une fermeture presque complète de la frontière et un refoulement quasi systématique des Français et des juifs interceptés aux postes de surveillance. Toutefois, ces contrôles sont relativement rares et limités par la symbolique présence dans les villages frontaliers de trois douaniers, isolés et impuissants (deux sont en permanence en patrouille, le dernier assurant une permanence au poste), en charges d’une zone assez importante. Le nombre d’arrestations lors de tentatives clandestines reste donc particulièrement faible. Par ailleurs, il faut noter que cette petite brigade de montagne est facilement corruptible et souvent cantonnée par manque de discipline dans ses locaux. Les évadés ont alors tout loisir de pénétrer sans danger ni contrôles en territoire espagnol.
Avec l’invasion de la zone «libre» en 1942, ces fonctionnaires franquistes changent cependant de comportements. Face au danger réel d’invasion de la péninsule par les armées nazies, le Caudillo masse sur, et à proximité, de la frontière d’importants éléments de surveillance. Disposées dans un premier temps de manière à observer les mouvements de l’ennemi sur le massif, ces troupes changent progressivement d’objectifs et se spécialisent dans la «chasse aux fugitifs». A partir de cette époque, beaucoup de réfractaires tentent en effet leur chance sur les sentiers pyrénéens pour échapper à l’occupant maintenant présent dans tout le pays. Toutefois, plutôt que d’aider les évadés interceptés après la frontière comme d’éventuels alliés, les forces de l’ordre livrent à leurs anciens collaborateurs de la guerre civile des convois entiers de résistants, de juifs, d’aviateurs ou de simples opposants, sans doute pour renouer de bonnes relations et pour ménager leur agressivité.
Cette trahison se concrétise de différentes manières. Dans certains cas, les douaniers amènent en «main propre» des fugitifs, menottés et arrêtés une fois la ligne frontière franchie, aux Allemands. C’est notamment le cas en juin 1943 à Irun lorsque les Espagnols remettent à la Gestapo un agent d’une filière d’évasion (la Chaîne) qui, après avoir été torturé, parle et livre tout son réseau, faisant ainsi tomber des dizaines d’agents et d’intermédiaires (6). De même, il est arrivé à plusieurs reprises que cette collaboration entre nazis et franquistes soit plus subtile : ces derniers peuvent prévenir les Allemands lorsqu’ils repèrent une caravane ou forcer les fugitifs interpellés à redescendre dans la vallée pour se jeter dans leurs pièges et sur leurs postes de surveillance. De nombreux convois échouent pour de cette raison, particulièrement à Saint-Engrâce à Pâques 1943 et à Arnéguy quelques temps après. Pire encore, de nombreux autochtones (de part et d’autre des Pyrénées) ont longtemps prétendu qu’un accord secret entre les deux forces, autorisant les hommes de la Wehrmacht à pénétrer sur une distance de dix kilomètres en territoire franquiste pour appréhender des évadés, a été conclu. Si la théorie d’une «tolérance» espagnole n’a jamais été réellement prouvée (aucun texte officiel n’a été rédigé) et reste aujourd’hui encore très contestée, de nombreux exemples sur toute la chaîne des Pyrénées tendent à la renforcer. Parmi ces derniers, celui du col des Moines en vallée d’Ossau (fiche 19), lors du passage d’un convoi de George Sarrailh, est particulièrement significatif : la caravane est attaquée par des soldats allemands embusqués assez loin de la frontière, du côté espagnol, après que les guides aient laissé leurs protégés en toute sécurité sur la ligne.
Cependant, malgré leurs importants échos, ces rejets et ces collaborations ibériques restent limités dans le temps et dans l’espace. En effet, de tels actes se sont presque toujours produits sur certaines portions de frontière particulières, mettant d’avantage enjeu la responsabilité d’un ou de quelques chefs de postes de surveillance franquistes, que l’ensemble de la police ou de l’administration espagnole. De même, les quelques dizaines de «trahisons» dans notre département se sont surtout opérées avant 1943. L’Espagne présage en effet par la suite l’évolution du conflit et ménage ses futurs alliés britanniques ou américains en donnant de nouvelles consignes pour ne pas rejeter certains fugitifs. Ainsi, ces quelques exemples ne doivent en aucun cas entraîner une généralisation. L’écrasante majorité des douaniers espagnols reste donc soit indifférents, soit solidaires et partisans du sort des évadés.
Parmi les responsables qui choisissent le parti de ces voyageurs, nous devons mentionner l’action courageuse et désintéressée du colonel Ortega. En poste à Irun, celui-ci aide considérablement les groupes d’évadés (notamment les militaires). De même, l’Eglise espagnole assiste régulièrement de nombreux fugitifs. L’archevêque de Puicerda, le vicaire de Séo, mais aussi les pères jésuites et les aumôniers des prisons sont ainsi de parfaits exemples de résistants ibériques qui luttent contre les différentes formes de fascisme en prenant souvent une part active dans les longues marches vers la victoire de ces « pèlerins de la liberté »¹. A noter enfin l’action anonyme et isolée de tous ces habitants ou fonctionnaires du nord de la péninsule qui aident, nourrissent, conseillent ou assistent les Français et les alliés. La recommandation par exemple d’un simple douanier à plusieurs évadés de se déclarer pilotes québécois de la RAF (Royal Air Force) pour éviter le rejet ou la prison, tout comme l’hospitalité et la générosité de beaucoup de frontaliers, relèguent ainsi au second plan les méfaits de certains franquistes.
Malgré cela, entre trahison et soutien, l’essentiel des Espagnols réagit souvent par intérêt (suivant la conjoncture), avec dans l’ensemble une grande indifférence. Ainsi, nous constatons que 90% des évadés sont arrêtés dans une zone de vingt kilomètres après la frontière, dans les fonds de vallées à Arracos (vallée de Roncal, face au Barétous), à la Mina (face à l’Aspe), à Sallent- de Gallego (face à i’Ossau) ou dans les villages limitrophes (Isaba, Burgete..). Ces individus connaissent alors presque tous alors le même itinéraire, de prisons locales en prisons régionales. La plus tristement célèbre et la plus fréquentée, notamment par les Béarnais, est Miranda-del-Ebro (camp dit « de représailles » construit à l’origine par les Allemands durant la guerre civile). Dans ce centre, plus de trois mille détenus de toutes nationalités s’entassent dans un délabrement et dans un dénuement effrayant, les manques d’hygiène, d’eau et de nourriture rendant cet internement particulièrement pénible. En général, les évadés doivent y passer au moins neuf mois. Les transferts peuvent toutefois augmenter cette durée.
Le véritable tournant de cette histoire carcérale se déroule pourtant en janvier 1943 lorsque Franco, pressentant la défaite de l’Allemagne, se tourne vers les alliés et lance une politique d’échange et de libération progressive des volontaires français et alliés contre du ravitaillement et des livraisons de produits de première nécessité dont manque cruellement la péninsule après les années de guerre civile. Ce troc («un évadé contre un sac de blé²) permet ainsi à presque tous les volontaires d’atteindre les objectifs de leurs aventures, à savoir les FFL (Forces Françaises Libres) en Afrique du Nord ou au Royaume Unis. Plus de dix-neuf mille personnes profitent ainsi à cette période des convois de la Croix Rouge qui, via Malaga ou Gibraltar, gagnent le continent africain et la liberté.
Tel est donc, pour la grande majorité des réfractaires, le chemin à parcourir une fois arrivés en Espagne. Cependant, pour 10% des fugitifs (quelques chanceux dont nombre d’ecclésiastiques, mais surtout des pilotes et des agents secrets importants pour les alliés), le voyage ne fait pas étape par les geôles. Leurs évasions sont en effet prises en charge par des réseaux (fiche 5) et des guides du pays qui conduisent, sitôt la frontière passée, leurs protégés vers des consulats (celui de Saint-Sébastien est très sollicité pour les Britanniques) ou des quartiers généraux d’organisations clandestines (celui de Base Espagne (fiche 13) par exemple à Madrid).
Tantôt pro germanique et ultime obstacle à l’évasion des volontaires français, tantôt pays neutre et proche des alliés, aidant certains fugitifs ou ouvrant les portes deMiranda-del-Ebro, l’Espagne durant la Seconde guerre mondiale réussit à gérer le problème des évasions par son sol en fonction de la conjoncture internationale et des besoins de ses habitants.
Terre promise pour tous les fugitifs, elle reste malgré tout pour beaucoup synonyme de désillusions et d’échec, le fascisme allemand trouvant par moments un allié de choix dans ce «pays neutre».
¹ Bady P. L’abbaye Notre-Dame de Belloc, L’union des combattants, février 1991
² Eychenne E., Les Pyrénées de la liberté, Paris, éditions France Empire, 1983,380 p.
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