Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.04: Itinéraires de passage.

 

 

 

ITINERAIRES DE PASSAGE.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°4.

 

 

ITINERAIRES DE PASSAGE.

Aboutissement et dernière étape de nombreuses tentatives d’évasion, la traversée du département des Basses-Pyrénées représente pour les réfractaires à l’ordre nazi, un ultime obstacle à franchir et une dernière épreuve dans leurs longues marches vers la liberté.

            Des gares aux vallées pyrénéennes, des sentiers aux cols frontaliers, de multiples pièges et dangers menacent en effet la progression et les projets des fugitifs dans notre région. Toutefois, avant d’atteindre les sommets et l’Espagne, les réseaux ou les candidats individuels doivent emprunter plusieurs itinéraires, les plus discrets et les plus rapides possibles, pour rejoindre les guides qui escortent les voyageurs dans une dernière ascension jusqu’à leurs objectifs.

            Partant en général de la capitale béarnaise pour gagner les premiers contreforts du piémont et les chemins de montagne, les parcours sont en général très nombreux et variés. Chaque organisation clandestine possède en effet ses propres zones de passage et ses contacts. A présent, toute route menant vers le sud, vers les Pyrénées et l’Espagne, étant à l’époque une potentielle voie d’évasion, il peut être intéressant d’en examiner en détail quelques-unes, béarnaises ou basques, afin de mieux comprendre ce que représentent ces aventures sur les routes de l’espoir.

 

            Il existe avant-guerre, pour pénétrer en territoire espagnol depuis notre département, trois grandes possibilités : le train, par Hendaye ou Oloron, la voiture, par les routes des cols pyrénéens ou la côte, et la marche par les sentiers clandestins des contrebandiers ou des bergers. Toutefois, en 1940, la France étant défaite et occupée, l’Espagne franquiste (fiche 5) ferme sa frontière et se met à contrôler très strictement ces différentes voies de passages.

                Après quelques mois d’occupation, de nombreux Basques et Béarnais refusent l’ordre totalitaire de l’occupant et décident de quitter le pays pour rejoindre les alliés et les FFL (Forces Françaises Libres) qui continuent le combat en Afrique du Nord. Pour ces « prisonniers de France », l’évasion par les Pyrénées et l’Espagne s’annonce pourtant particulièrement difficile avec l’interdiction d’accès et la surveillance des polices françaises et allemandes (à partir de 1942) dans les zones frontalières. En effet,  s’il est pratique et rapide avant-guerre d’emprunter les lignes ferroviaires Pau-Canfranc et Hendaye – Irun, ou les cols du Pourtalet, du Somport et de Roncevaux par route pour atteindre la péninsule ibérique, avec les contrôles et les barrages ennemis, les traversées deviennent presque impossibles au grand jour (à moins de bénéficier de complicités chez les cheminots ou les douaniers). Seuls recours pour les opposants français ou étrangers déterminés à rejoindre l’Afrique, la clandestinité et la fuite par les sentiers non surveillés restent les ultimes chances de salut.

            Très surveillés et suspectés par les Allemands, parfois difficiles à trouver et à pratiquer, ces chemins de contrebandiers, de bergers ou d’ouvriers des chantiers d’altitude, représentent un réel danger pour les candidats à l’évasion. Ainsi, l’un des seuls moyens d’assurer un passage sécurisé et régulier consiste à solliciter des spécialistes de la montagne et de l’évasion (fiche7) (guides professionnels, agriculteurs, fonctionnaires…) qui proposent des itinéraires discrets, sûrs et rapides.

            Particulièrement nombreuses dans les Basses-Pyrénées, ces voies sont rarement évoquées en détail dans les recherches ou dans les productions historiques spécialisées (une étude exhaustive est presque impossible face à la multitude des chemins et des variantes). Nous présenterons donc, en associant cette synthèse à plusieurs cartes les principales étapes des évadés à partir de Pau et dans l’ensemble du département, mais aussi les cols, les zones frontalières et les villages les plus fréquentés. Notre étude adoptera pour cela une analyse par vallées et par réseaux.

            Reconstitués à partir de témoignages ou d’études de cas approfondies, les quelques itinéraires que nous allons évoquer ne doivent toutefois être considérés que comme des exemples (qui se veulent représentatifs) choisis parmi les plus connus. Leurs intérêts restent donc de donner une idée approximative des chemins, des difficultés et des durées des voyages dans notre région.

            Contrairement aux idées reçues, l’histoire d’une évasion ne se limite pas à l’ascension de sommets pyrénéens ou à la progression de fugitifs en zones montagneuses. Si les volontaires (fiche 2) évoquent souvent cette partie de leur périple, c’est principalement parce qu’elle est particulièrement éprouvante physiquement et psychologiquement. Le sentiment d’atteindre l’objectif lié aux importantes menaces (fiche 19) durant cette dernière étape marquent en effet durablement les esprits. Pourtant, la véritable origine de ces aventures dans notre département est à rechercher dans les principales villes et plus précisément dans les grandes gares du Pays basque ou du Béarn (Pau, Bayonne, Orthez, Oloron).

            Voyageant en général par train depuis Bordeaux ou Toulouse (parfois même depuis Paris, Lyon ou Bruxelles), les candidats à l’évasion transitent presque tous par ces importants nœuds de communications et par les principales agglomérations de la région. Toutefois, si jusque-là, ils maîtrisent leurs itinéraires et connaissent les routes à suivre pour arriver dans les Basses-Pyrénées, à partir du moment où ils pénètrent dans le département, ils se retrouvent en terrain inconnu et par cela dépendants de réseaux, de relations ou de responsables de filières.

De même, au-delà de ces réfractaires venant de tout le pays, nous trouvons également dans les rues bayonnaises, paloises ou oloronaises, mais surtout dans les plus petites agglomérations (Orthez, Mauléon), de nombreux évadés originaires de villes ou de villages avoisinants qui eux aussi recherchent des contacts qui peuvent leur permettre de franchir la limite de la zone interdite et la frontière.

Cependant, si l’évocation des itinéraires de « fuite » commence presque toujours par l’une des plus grandes villes de la région (ou du moins par la mieux desservie par les moyens de locomotion), c’est également parce que de nombreux réseaux et filières (fiche 1) y centralisent leurs activités et y installent une antenne permanente avec des contacts sûrs et discrets. Rassemblant ainsi, dans des conditions «idéales», les fugitifs, ces centres locaux orientent et répartissent par la suite les futurs combattants vers les différents guides (fiche 7) et les nombreux itinéraires.

Dans les parties béarnaises et souletines du département, ces derniers comprennent en général deux étapes. La première amène les fugitifs pris en charge avec leurs escortes, aux pieds des reliefs et à l’entrée des vallées où attendent les spécialistes de la montagne qui se chargent de l’ascension vers la frontière. Réalisés en train, en bus, en vélo ou à pied, ces parcours en plaine suivent régulièrement les axes routiers départementaux, mais restent dans l’ensemble spécifiques à chaque réseau.

           Les quelques exemples¹ que nous allons détailler ci-dessus ont presque tous pour point de départ la préfecture et comme destination le piémont béarnais. Choisies parmi les plus actives dans notre région, ces chaînes d’évasion illustrent les différentes possibilités offertes aux mouvements et les voies les plus fréquentées :

 

Andalousie                                                              Pau – Lourdes Pau – Oloron – Aspe (1940 – 1943)

Confrérie Notre Dame Castille (fiche 29)                Pau – Oloron – Aspe

Comète (fiches 17 et 18) (début 1943, début 1944) Pau – Gëus – Saint Engrâce
Démocratie (fiche 13) (1943-1944)                      Pau – Oloron – Barétous – Saint Engrâce

Ferdinabel – les Rois Catholiques (fiche 6)          Pau – St Jean Pied de Port
Gallia (fiches 13 et 23)                                         Pau – Oloron – Ossau

Martial (fiche 14)                                                 Pau – Oloron – Ossau

Maurice (fiche 14) (1942-1944)                           Pau – Navarrenx – Barétous

                                                                            Pau – Oloron – Geüs -Mauléon – Larrau

                                                                            Pau – Oloron – Aspe

                                                                           Pau – Oloron – Ossau (1943-1944)

Mécano (fiches 10 et 13)                                    Pau – Geûs – Saint Engrâce

Nana (fiches 10 et 13)                                         Pau – Ascain

Alliance (fiches 7 et 13) (1940 – 1944)                 Pau – Oloron – Aspe
Résistance Fer                                                     Pau – Oloron – Aspe

                                                                               

            Cette première étape pyrénéenne accomplie, les candidats à l’évasion sont pris en charge par des passeurs, en général originaires du Haut-Béarn ou des zones montagneuses basque et souvent recrutés par les réseaux. Leur première tâche consiste à faire franchir les différents barrages allemands matérialisant la limite de la Zone Interdite. Ces obstacles passés, les groupes de réfractaires, maintenant au cœur des vallées, peuvent alors véritablement commencer leurs ultimes marches vers la liberté.

                Toutefois, comme lors de l’approche du massif, aucune voie en altitude ne semble être plus empruntée qu’une autre, il est donc souhaitable de procéder à un examen vallée par vallée (ou plutôt par grand secteur frontalier, d’est en ouest), des axes de passage plus importants, mais surtout plus connus.

            En Ossau et en Ouzoum, dans la partie orientale des Basses-Pyrénées, les chemins et les sommets sont parmi les plus élevés du département, donc particulièrement difficiles d’accès (les cols, hormis celui du Pourtalet, sont en effet souvent supérieurs à deux mille deux cents       mètres). Les possibilités de passages sont par conséquent très limitées, les seuls cols d’Astu,    d’Anéou et du Pourtalet à l’est (itinéraire Maurice) étant les rares voies réellement praticables «en toute saison» par les caravanes de fugitifs malgré l’importante surveillance allemande.

            Par ailleurs, dans la vallée de l’Ouzoum, plusieurs itinéraires sont également  envisageables par Nay, Ferrière et Arbéost. Les principaux points de passage se situent au niveau des cols d’Arrémoulit, de Sare et du Larribet, après avoir franchi ceux d’Aubisque ou du Soulor (itinéraires  Martial et Gallia).       

            Plus à l’ouest, en Aspe, le réseau Navarre réunit ses convois à l’entrée de la vallée et de la zone interdite à Saint-Christau, dans le bois du Bager ou à la clairière du Bénou (sur le site des anciens chantiers de jeunesse). Une fois regroupés, les évadés gagnent alors le cœur de la vallée par le défilé d’Escot, jusqu’à Sarrance, puis Lées-Athas en suivant le tracé de la ligne ferroviaire Pau – Canjfranc qui les mène au Pont de  Lescun. De là, ils traversent le gave, pénètrent dans le cirque, montent au village de Lhers et s’engagent par la vallée de Lamari jusqu’au col frontalier de Cuarde (itinéraire du passeur Troïtino (fiches 7 et 9) jusqu’à l’arrivée des patrouilles allemandes) ou au pic de Burcq.

                Cependant, il existe également d’autres possibilités de passage à travers la vallée d’Aspe pour les organisations spécialisées. Nombre d’entre elles passent notamment par Osse, la forêt d’Issaux et le col de Hourataté (qui donne accès à la Pierre-Saint-Martin) ou par Lées, en suivant la route Maurice (fiche 14), qui relie plusieurs granges et amène les marcheurs jusqu’au col de Pescanou (zone frontière), au-dessus de la Pierre-Saint-Martin et au pied du pic d’Arias. Une multitude d’autres voies sont par ailleurs praticables

– par Lescun et le col de Pau

– par Borce, le vallon de Bélonce (fiche 9) et le col de Saoubataou

– par Urdos et les cols d’Ayous, des Moines ou d’Artouste (ce dernier est dangereux par l’importante surveillance des douaniers allemands).

– plus difficile, mais rapide, par les traversées par le col du Somport qui, bien que très contrôlé, reste accessible avec la complicité de cheminots ou d’employés des ponts et chaussées, tout comme la voie de Saint-Jacques de Compostelle par le Pas d’Aspe, sont autant de chemins à suivre pour tenter avec audace une sortie vers l’Espagne par des axes très connus et bien balisés.

                En Barétous et en Soule, les voies sont également très nombreuses. Elles peuvent emprunter – le col de la Pierre St Martin (à condition de connaître parfaitement les habitudes des patrouilles)

– le col de Lakurde (itinéraire Démocratie (fiche 13), qui part de Lannes et débouche sur la vallée de Saint-Engrâce )

– les routes de Montory qui aboutissent sur la venta de Arroca, en passant par le pic de Jaura,  les gorges de Kakoueta,  Otchogonia, Sarmendy et le port de Belhay)

– les vallées de Roncal et d’Isaba.

            Toutefois, malgré l’importance de ces différents axes, les itinéraires les plus empruntés restent ceux qui transitent par les villages de Saint-Engrâce et de Larrau, notamment à travers la forêt d’Iraty (fiche 9).  

            En s’élançant vers les zones montagneuses basques, les réfractaires recherchent en priorité des secteurs de passage plus accessibles, plus rapides et moins élevés qu’en Béarn A partir du port souletin de Larrau et en longeant le massif vers l’ouest, ils trouvent ainsi de nombreux cols et sites frontaliers qui se prêtent parfaitement, et sans grandes difficultés topographiques, à une traversée clandestine, seule l’importante présence allemande dans la région limitant les sorties par ces sentiers limitrophes.

                Avec un bilan final qui dépasse les cent vingt évasions, la ligne Valcarlos -Arneguy – Ondarolle est de loin la plus sollicitée de toute l’Euzkadi française. Bordée à l’est par la forêt d’Iraty (76 passages ²) et la vallée des Aldudes à l’ouest, cette zone de la Basse-Navarre représente donc une véritable « autoroute » basque vers l’Espagne et la liberté, à peine concurrencée (plus exactement complétée) par l’axe plus occidental du Labourd- Ainhoa – Dancharia – Urdax (plus de 90 passages), le long de la Nivelle. Ainsi, si nous ajoutons à ses itinéraires les nombreux autres chemins qui traversent la chaîne le long de la frontière jusqu’à l’océan (les plus fréquentés sont les cols d’Ispéguy, de laRhune ou d’Ibardin), nous pouvons aisément comprendre pour quelles raisons le Pays basque intérieur a longtemps été considéré par les alliés comme l’un des pôles d’évasion les plus importants du pays.

                Toutefois, si la majorité des voies et les exemples précédemment évoqués concernent presque tous des zones d’altitude, il ne faut pas négliger pour autant les itinéraires du Pays basque côtier et de la partie occidentale du Labourd. Généralement plus rapides et moins éprouvants, ces derniers permettent souvent aux évadés d’atteindre la frontière après une seule, mais très longue journée de marche, en traversant zones urbaines et villages isolés. Les plus importantes et fréquentées étapes se situent à Bayonne, Ustaritz, Ciboure, Urrugne, Ascain, Sare, Hendaye…

 

A présent, comme nous l’avons fait pour le reste du département, il est important de reconstituer³ quelques itinéraires empruntés par plusieurs passeurs célèbres dans cette région :

– Bruguete :     Bayonne, Saint-Jean-Pied-de-Port, Uhart-Cize, Arnéguy (lieu de passage)

– Bruguete :     Bayonne, haute vallée des Aldudes (prise en charge par le passeur et départ du café des Aldudes)

– Aresteguy :   Bayonne, Itxassou, Saint-Sébastien

– Aresteguy :   Bayonne (gare SNCF), Ustaritz (en autobus), Ainhoa (prise en charge par le passeur et traversée à gué de la Nivelle), Irun ou Saint-Sébastien

– Fiorentino Goïkoetchea : Ciboure, Urrugne, traversée de la Bidassoa, Oyarzun, Saint-Sébastien

                                   (fiche 10)

Reste enfin les dernières possibilités, à l’extrême ouest du département, en longeant la côte, en traversant la Bidassoa près de son estuaire, ou en prenant un bateau depuis les ports de Saint-Jean-de-Luz, Hendaye ou Bayonne (on recense pour le seul mois de mars 1942 onze évasions par ce mode).

Sentiers de l’espoir et chemins de la liberté, les nombreuses voies pyrénéennes empruntées par les volontaires durant l’occupation sont dans notre département autant de failles et de brèches qui fragilisent chaque jour un peu plus la «muraille et la forteresse nazi (4).

Longues, éprouvantes et dangereuses, ces ascensions doivent être en effet considérées, au même titre que l’engagement des réfractaires dans l’armée de l’ombre en plaine, comme de véritables combats, chaque passage réussit étant une victoire dans cette « bataille des Pyrénées ».

Toutefois, si ces itinéraires de montagne sont aujourd’hui redevenus de simples parcours touristiques, ils restent à jamais dans les Basses-Pyrénées les témoins et les symboles du plus important et dramatique engagement des résistants basques et béarnais dans la Seconde guerre mondiale.

 

¹  Larribau D., Le Béarn face à la seconde guerre mondiale, Bordeaux, IEPE, 1985, 224p.

² Eychenne E.  Les fougères de la liberté, Toulouse, éditions Milan, 1987, 339 p.

³ Poullenot L. Basses-Pyrénées, occupation, libération, 1940-1945. Biarritz, J et D éditions, 1995, 368p.

(4) Ugeux W., Le passage d’Iraty, Bruxelles, éditions Hatier, 1984, 234 p.

 

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