Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.03: Passer la ligne de démarcation.

 

LE PASSAGE DE LA LIGNE DE DEMARCATION.

 

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°3.

 

LE PASSAGE DE LA LIGNE DE DÉMARCATION.

     En juin 1940, après la défaite, la convention d’armistice impose un nouveau découpage du territoire français. Séparant le pays en une «zone occupée» et en une «zone libre», la ligne de démarcation, nouvelle frontière entre ces espaces, divise le département des Basses-Pyrénées.
Obstacle pour toute personne souhaitant quitter la zone Nord, cette barrière reste, malgré les importants moyens mis en place par l’occupant, plus symbolique qu’efficace. En effet venant de tout le pays et aidés par les populations locales, des évadés profitent aisément des faiblesses ennemies pour gagner, la France non occupée, puis les Pyrénées pour ceux qui désirent rejoindre l’Afrique du Nord par les « sentiers de la liberté ».
Le 22 juin 1940, la convention d’armistice divise la France en deux zones, une occupée et une libre. Matérialisée par une délimitation militaire appelée ligne de démarcation, cette séparation (véritable frontière entre deux Etats) représente pour toute personne voulant fuir l’occupant et le régime nazi une véritable «porte vers la liberté ».

     Entre mer et montagne, entre France et Espagne, notre département est entièrement coupé en deux par cette ligne, avec à l’ouest une zone occupée comprenant le Pays basque côtier et montagneux (ce qui représente la majorité de l’Euskadi française) et à l’est une zone dite libre, englobant le Béarn et la Soule. Cette « coupure » ne tenant pas compte des anciennes limites administratives, notre actuel département des Pyrénées Atlantiques se voit dès 1940 amputer de la partie nord de la région basque qui est rattachée à la préfecture landaise (cette dernière perd la ville d‘Aire- sur-Adour et sa périphérie au profit des Basses-Pyrénées).
D’une longueur de cent cinquante kilomètres, la nouvelle ligne divise villages, axes de communication, champs et cantons sans tenir réellement compte des séparations naturelles (ruisseau…) ou artificielles (limites administratives…). Seule la route départementale 133 sert de repère et de frontière visible entre les deux zones. Avec une orientation nord-est, sud-ouest à travers tout le département jusqu’à la frontière espagnole, la ligne part de Sault-de-Navailles au nord du département, passe par Orthez, Salies-de-Béarn, Sauveterre-de-Béarn, Saint-Palais, Saint-Jean-Pied-de-Port pour terminer au village d’Arnéguy.
Sensée être hermétique, la frontière artificielle comprend plusieurs lieux de passage officiels très contrôlés : Sauveterre-de-Béarn (D 933), Saint-Palais (D 11) et Saint-Jean-Pied-de-Port (N 118) pour les axes routiers, ainsi qu’Orthez, pour le rail. Cette dernière ville est l’un des points les plus importants pour le franchissement de la ligne, mais aussi l’un des plus surveillés avec plus de deux milles hommes de troupe affectés au contrôle et à l’occupation de l’agglomération. Au-delà de ces quelques postes, toute traversée de la ligne est donc interdite sauf pour certaines personnes dotées d’un laissez-passer (individus habitant dans une zone de cinq kilomètres de part et d’autre du tracé et professions prioritaires (médecins, prêtres, policiers…) Cependant, si cette limite est particulièrement contrôlée avec un soldat pour vingt mètres (en théorie), elle reste très perméable : l’inadaptation de son tracé par rapport au terrain, la méconnaissance de ce dernier et du pays en général par l’occupant, le manque d’application des surveillants et l’attitude récalcitrante des autochtones expliquant en grande partie la friabilité de cette barrière.
De nombreuses personnes (fiche 2) profitent dès 1940 de cette faiblesse. Qu’il s’agisse de résistants traqués en zone occupée, de simples français refusant les nazis ou de réfractaires au S.T.O. (après 1943) voulant rejoindre l’Afrique du Nord puis les Forces Françaises Libres, la traversée de la ligne de démarcation représente souvent un premier obstacle, mais surtout une première étape vers la liberté. Quittant un « état totalitaire », tenu par une armée ennemie, ces fugitifs multiplient les tentatives de passage sans grandes prises de risques, mais avec une vigilance et une attention nécessaires pour éviter les patrouilles et les différents contrôles.
En général, l’histoire d’une «évasion type» (fiche 4) commence dans un train en provenance d’une ville ou d’un village de France occupée. Les futurs évadés sont ainsi amenés dans une gare proche de la ligne (les gares proches desservant la ligne de démarcation sont contrôlées de manière permanente).
Si certains possèdent déjà un contact ou une adresse dans la région, la majorité des candidats arrive dans cette zone sans avoir la moindre idée de la manière de procéder ou des personnes à solliciter. Cette catégorie de réfractaires adopte alors une technique très peu discrète, mais souvent efficace : ils questionnent des autochtones rencontrés en route ou dans des cafés. En général opposés aux Allemands, ces derniers renseignent volontiers ces touristes peu prudents, chaque habitant de la région connaissant (au moins par le bouche à oreille), un agriculteur ou un commerçant qui exerce les fonctions de passeur.

     Les personnes pratiquant cette activité (bien souvent de manière bénévole et motivée par le refus de l’occupant), utilisent une multitude de techniques, des plus simples aux plus élaborées : dans certains cas, le rôle du «passeur» (fiche 7) se limite à indiquer les lieux de traversée les plus sûrs (un champ, un bois…) et les heures des patrouilles allemandes. Pour le fugitif, il suffît parfois de se cacher dans le coffre d’une voiture dont le propriétaire possède un laissez-passer, professionnel ou riverain. M. Labeyrie, de Biron, aménage, par exemple, dans sa charrette une cage dans laquelle les évadés peuvent se dissimuler au milieu du foin sans être repérés. Il est aussi possible de passer dans le dos des sentinelles avec l’aide d’un paysan qui fait diversion en offrant à boire aux douaniers ou en leur parlant (les habitants connaissent les horaires et les habitudes des patrouilles).
Il existe également des méthodes beaucoup plus élaborées : ainsi, celles des cheminots de Puyoo qui cachent des personnes dans les motrices destinées à leurs collègues en zone non occupée, ou celles de riverains « côté français » qui laissent les volets de leurs greniers ouverts quand la voie est libre et fermés quand il y a du danger pour avertir leurs voisins, sont particulièrement efficaces même si leurs résultats, quantitativement parlant, restent limités.
Aux côtés de ces simples patriotes bénévoles, il y a également des passeurs plus spécialisés et moins « amateurs », qui se font généralement payer (fiche 8). Passant du courrier ou des hommes, leurs méthodes consistent à faire le «tour des bars» le soir en zone occupée ou à interroger des contacts bien placés afin de rassembler un maximum de candidats dans une ferme proche de la ligne. La nuit venue, ils guident les évadés par des chemins ou à travers champs vers la zone libre avant de leur indiquer la route vers le premier village. Il arrive également, et ce dès l’été 1940, que ces guides franchissent la ligne de démarcation par le gave à l’aide de barques. Ce moyen extrêmement fiable pousse toutefois certains autochtones, comme cet ingénieur EDF, à narguer les douaniers allemands (ce dangereux jeu cesse naturellement le jour où ces derniers le prennent pour cible et manquent de justesse de l’abattre).
Cependant, comme dans toutes les régions de France, quelques individus profitent de la situation (fiche 21) et de la détresse des personnes traquées. C’est notamment le cas de trois passeurs d’Orthez qui escroquent littéralement plusieurs familles de juifs en leur prenant presque toutes leurs affaires lors de la traversée. De même, il arrive que certains «guides» livrent leurs «clients» à la Gestapo ou aux douaniers, ces derniers offrants en général une prime de livraison aux passeurs qui réalisent ainsi un double bénéfice.
Rares dans le département, ces trahisons peuvent toutefois expliquer l’attitude d’évadés qui préfèrent ne pas solliciter de « professionnels » pour passer. Les conseils de riverains ou le hasard, comme pour ce pilote anglais arrivé en train à Puyoo et passé sans le savoir en zone non occupée, suffisent en effet parfois pour traverser. A l’opposé, il est également possible de trouver des filières (fiche 1) qui prennent entièrement en charge les candidats, s’occupant du voyage en train, de l’hébergement, du ravitaillement, du passage…

     Barrière artificielle, mais bien visible sur le terrain, la ligne de démarcation qui partage le département des Basses-Pyrénées et la France à partir de 1940, représente un obstacle, mais aussi un symbole de liberté pour toute personne voulant fuir l’oppression nazie.
Perméable et percée de toute part, cette frontière a donc permis durant la guerre à de nombreux passeurs « occasionnels » de s’engager dans la résistance et à de nombreux évadés de rejoindre les forces combattantes en zone libre ou en Afrique.

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