Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.23: LES PASSAGES. BILAN PROVISOIRE.

 

LES PASSAGES. BILAN PROVISOIRE.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°23.

 

 

 

LES PASSAGES. BILAN PROVISOIRE.

                        Réaliser un bilan des évasions et des tentatives de passage par les Basses-Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale, s’avère être une tâche considérable, dans certains domaines presque illusoire.

            En effet, s’il est incontestable que notre département est durant le conflit l’un des plus fréquentés par les candidats à l’évasion, les proportions et les chiffres de ce mouvement sont particulièrement difficiles à obtenir, mais surtout à interpréter. Les estimations les plus réalistes quant au nombre de fugitifs avoisinent par exemple selon plusieurs sources cinq mille personnes.

            Phénomène majoritairement béarnais, bien que le Pays basque connaît lui aussi énormément de traversées, il est par ailleurs très dépendant de la conjoncture et spécifique à certaines zones frontalières, la portée symbolique de cet engagement restant elle toujours aussi forte.

            De nombreux spécialistes de la Seconde guerre mondiale se sont souvent penchés sur l’histoire de la résistance en France, sur l’organisation des réseaux, le déroulement des opérations… Ils ont toutefois accordé une place secondaire aux mouvements d’évasion et aux réfractaires qui choisissent la fuite vers les Pyrénées et l’Espagne plutôt que le combat dans l’ombre en métropole. Pourtant, parmi ces volontaires pour l’exil, une grande majorité d’authentiques combattants, des militaires de l’armée d’armistice refusant la présence de l’occupant,  des réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.), des agents de l’armée de l’ombre repérés par la Gestapo, des juifs réagissant aux persécutions ou de simples anonymes désirant rejoindre les F.F.L. (Forces Françaises Libres), partent sur les sentiers de montagne vivre une véritable odyssée pour résister à l’ennemi en l’affrontant au grand jour aux côtés des alliés.

                Il est donc important de rappeler la place et les principaux caractères de cette émigration clandestine en évoquant ou détaillant quelques exemples de structures clandestines (locales ou nationales) œuvrant dans notre département sous l’occupation.

                Véritables aventures humaines, avec leurs risques et leurs faiblesses, leurs joies lors des succès, mais aussi leurs souffrances et leurs tragédies après les échecs, les traversées représentent pour les évadés un combat à part entière qui nécessite un engagement complet et de nombreux sacrifices. Bien que courte dans leur existence et dans leur parcours militaire, cette «bataille des Pyrénées» est toujours intense avec des sollicitations physiques, matérielles et psychologiques considérables. Cette troupe de volontaires désarmés ne peut en effet opposer à l’ennemi germanique, toujours plus actif et cruel dans ses traques, qu’une farouche détermination et un courage sans limite.

                        Toutefois, malgré les travaux des organismes officiels et des chercheurs, il demeure particulièrement difficile de dresser à l’heure actuelle un bilan de ces quatre années «d’affrontement» sur les cimes pyrénéennes. A l’échelle de notre département, en prenant en compte les diverses statistiques du ministère des anciens combattants1, d’Emilienne Eychenne 2 (historienne spécialiste de la question) ou de Monseigneur Boyer – Mas (ancien représentant de la Croix Rouge à Madrid et agent de l’Intelligence Service), nous obtenons une première estimation du nombre total d’évadés qui avoisine les quatre mille cinq cents tentatives. Si nous y ajoutons les passages antérieurs à novembre 1942, les traversées non comptabilisées et les évacuations d’étrangers, nous atteignons un bilan proche de cinq mille évasions.

            A partir des enquêtes et des sondages d’Emilienne Eychenne, nous connaissons également un peu mieux le profil de ces évadés. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit de jeunes hommes, âgés de quinze à trente ans et originaires de départements non frontaliers (sur les deux cent cinquante-huit cas recensés et étudiés par l’historienne, seuls vingt-cinq sont basques ou béarnais, soit une proportion de près de 10%). Cette particularité explique en partie les taux d’échec relativement élevés dans les Basses-Pyrénées, les risques étant plus importants pour les «étrangers au pays» qui ne connaissent ni le terrain, ni les habitudes de l’occupant et qui se font souvent repérer, faute d’avoir un contact sûr dans la zone. Une fois arrivé dans notre département, et après avoir passé les différents contrôles dans les gares, les villes, sur les routes et sur les sentiers, le nombre des fugitifs parvenus en Espagne tombe ainsi à quatre mille trois cents (sur la base du chiffre total évoqué précédemment). Sept cent, soit près de 18%, ne peuvent donc poursuivre leur périple et connaissent un échec prématuré sans avoir vu la frontière. Ce taux doit toutefois être nuancé par le fait que le nombre de tentatives varie en général du simple au double suivant les chercheurs. La proportion la plus réaliste se situe ainsi probablement autour de 10 % (taux proche de la moyenne nationale), avec un tiers d’échecs en zone montagneuse.

          Pour ceux qui réussissent à franchir les premiers obstacles et à gagner les sommets, la voie des Pyrénées et de la liberté est toute ouverte. Cependant, la reconstitution d’un itinéraire type est elle aussi impossible à réaliser. Nous ne pouvons, à partir de simples observations des différentes filières traversant le département, que présenter les grandes lignes et les principales étapes (les plus fréquentées) de cette fuite. Cette dernière commence en général (pour les quatre cinquièmes des évadés) en Béarn, à Pau plus précisément, où la majorité des réfractaires se regroupent. De là, la moitié d’entre eux se dirige vers la Bigorre ou le Pays basque (surtout en Soule). L’autre moitié se rapproche par une première étape du piémont béarnais et des plus grandes vallées. Selon Mme Eychenne, les itinéraires de montagne les plus empruntés passent ensuite en Ossau ou en Aspe. La vallée de Barétous et la Soule accueillent enfin de nombreux fugitifs, notamment par les secteurs de Sainte-Engrâce et de Larrau.

          Nous pouvons donc affirmer que les plus grandes étapes de transit des trois milles personnes en marche vers l’Espagne pendant la guerre restent Pau, Nay, Arudy, Oloron, Orthez et Mauléon, les sentiers des vallées de l’Ouzom, d’Ossau, d’Aspe et de Barétous menant en dernier lieu ces volontaires vers la frontière et la liberté. Ces tendances sont par ailleurs confirmées par un rapport du consul de France en Espagne qui révèle les noms d’un millier d’évadés arrêtés en 1943 et 1944 par les cabiñeros de Sallent de Gallego, Hecho et Anso, vallées ibériques, faisant face aux béarnaises Ossau et Aspe.

          L’utilisation de témoignages recueillis par M Lambeau3 peut également nous éclairer dans l’étude des principaux réseaux. Celui de M Berdance nous permet par exemple d’apprendre qu’à Pau, le centre de tri de Base Espagne assiste, pour les seuls réseaux Mécano et Démocratie, plus de cinquante évadés par mois, dont vingt-cinq à trente aviateurs de janvier à septembre 1943. Ceci nous donne donc un total de six à sept cents évadés en 1943.  Démocratie forme pour eux dans la seule vallée du Barétous quatre convois par mois durant cette période et réalise ainsi la moitié environ des évacuations passées par Pau pour cette période. En Aspe, selon M Troïtino, Navarre passe à peu près trois cents personnes par les cimes entre le mois de février 1943 au moins de mai 1944.

          Au final, en réunissant et confrontant les résultats des différents réseaux et des plus grandes filières, nous arrivons à un total de deux mille trois cents évasions réussies en Béarn en 1943 et en 1944, confirmant ainsi les chiffres avancés précédemment et les estimations générales d’E. Eychenne sur toute la chaîne (entre quinze et vingt milles).

          A présent, il apparaît aujourd’hui encore particulièrement risqué et hasardeux de confirmer ou de contester des chiffres dans ce domaine. Aucune estimation n’est en effet véritablement sûre. Celles des années quatre-vingt sont par exemple à l’heure actuelle en grande partie dépassées alors que les récentes recherches se heurtent toujours aux même problèmes (usure du temps, culte du silence, difficultés de traitement statistique…)

           Drames de la guerre et drames de la montagne engendrent souvent les mêmes tragédies et les mêmes émotions. Ces événements, s’ils n’ont pas marqué les mémoires de la majorité des Français, ont donc blessé profondément les cœurs des Béarnais et des Basques qui ont connu et vécu cette époque.

          Pourtant, l’histoire des évasions et de la «bataille des Pyrénées» dans notre département ne survit de nos jours que par des détails, des anecdotes, et des recherches scientifiques plus précises, mais de moins en moins nombreuses. Toujours méconnue et dénigrée par une partie de la population des Basses-Pyrénées, elle reste malgré tout un élément incontournable de notre passé. Le combat des Basques et des Béarnais aux côtés des volontaires durant la Seconde guerre mondiale demeurent ainsi l’un des symboles de l’engagement résistant les plus forts de nos sociétés contre le nazisme.

 

 

Crouzet Jean, ancien évadé de France et combattant des Forces françaises libres, Biarritz.

2 Eychenne E. Les fougères de la liberté,  Toulouse, éditions Milan, 1987, 339 p.

3 Larribau D. Le Béarn face à la seconde guerre mondiale,  Bordeaux, I.E.P.E., 1985, 224p.

 

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