Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.20: L’ÉCHEC DU RÉSEAU COMÈTE A BIDEGAIN-BERRI.

 

L’ÉCHEC DU RÉSEAU COMÈTE A BIDEGAIN-BERRI.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°20.

 

 

L’ÉCHEC DU RÉSEAU COMÈTE A BIDEGAIN-BERRI.

          Le 15 janvier 1943, un groupe composé de trois aviateurs alliés et de trois membres du réseau Comète en partance pour l’Espagne est arrêté dans une ferme d’Urrugne, à la suite d’une  dénonciation.

          Symbole et illustration de l’organisation, de l’engagement, mais aussi des risques et des drames des évasions par les Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale, la description de cette tragique mission sur la côte basque nous permet en outre d’observer dans le détail trois journées du quotidien des clandestins, avec leurs habitudes, leurs dangers et leurs souffrances.

          L’intérêt d’une analyse d’exemple de mission pendant l’occupation peut paraître au premier abord assez contestable. Pourtant, en examinant en détail le déroulement et les conséquences de la tentative de traversée du 15 janvier 1943 sur la ligne Comète, nous avons la possibilité de nous insérer l’espace de quelques jours dans le quotidien et la réalité des milieux clandestins sur la côte basque, avec ses successions de dévouements, ses prises de risques et ses trahisons.

          Au départ, cette tentative de passage a tout d’une opération ordinaire comme la chaîne en réalise des dizaines par mois depuis 1941. Elle commence le 13 janvier 1943 dans le train Paris – Hendaye qui emmène trois aviateurs alliés et un résistant belge, encadrés par Andrée de Jongh et Jean François Nothomb vers le Pays basque et la liberté. Arrivés à Bayonne, ces voyageurs sont accueillis sous une pluie battante par Elvire de Greef  (Tante Go), Jean Dassié, sa fille Lucienne et Yvonne Lapeyre.

          Pris en charges et hébergés par ces volontaires, les quatre fugitifs rejoignent leurs caches respectives à Anglet  et Bayonne où ils sont censés patienter quelques jours dans l’attente de la constitution d’une caravane. Cependant, les conditions météorologiques se dégradant rapidement, les responsables du mouvement décident d’avancer la date de l’évacuation et de scinder le groupe pour limiter les risques et faciliter la progression en montagne. Deux départs sont ainsi programmés. Un premier convoi, destiné aux pilotes, est tout d’abord contraint de s’élancer dans les plus brefs délais (quel que soit le temps et l’état des évadés) afin de ne pas attirer l’attention de l’ennemi. Ces étrangers sont en effet très facilement identifiables dans la population basque. Les résistants choisissent donc ne pas mettre en danger leurs agents protecteurs par une assistance trop longue et incertaine dans sa durée. Le second, moins urgent, est mis en attente d’une amélioration atmosphérique. Son unique membre est le père de la fondatrice du mouvement, Frédéric de Jongh (Paul dans la clandestinité). Les responsables préfèrent ainsi reporter sa traversée pour avoir un contexte plus favorable et un maximum de garanties de sécurité.

          Le 14 au matin, suivant les nouvelles dispositions, Andrée de Jongh accompagnée de Tante Go passe prendre les réfractaires chez leurs hôtes afin de les conduire à Saint-Jean-de-Luz. Là, Maritxiu Anatal et Ambrosio San Vicente se chargent de leurs progressions jusqu’à la ferme Bidegain-Berri, à Urrugne (tenue par Frantxia Usandizaga), qui sert de dernier refuge et de relais avant l’ultime étape de montagne.

          Toutefois, à la difficulté habituelle liée à la durée de ce trajet, s’ajoute ce jour précis celle de la météo qui devient épouvantable. Une forte pluie mêlée de neige tombe en effet sans discontinuer depuis plusieurs heures, épuisant sur le trajet les évadés qui arrivent exténués à Urrugne. La poursuite du voyage est par cela compromise. Andrée et Florentino Goïkotxea (arrivé sur place) décident alors, contre l’avis de Frantxia qui juge ce choix beaucoup trop risqué, de passer la nuit dans la ferme et d’attendre le lendemain pour repartir et tenter une traversée.

          Au cours de cette attente, un événement inattendu bouleverse cependant les données. Un valet de ferme voisin, ouvrier agricole dans l’exploitation Thomas Errea, entre dans le refuge de Comète et trouve les évadés avec leurs guides. Après avoir passé une partie de la nuit avec eux, il décide au lever du jour, sans évoquer de motif précis, de partir pour Saint-Jean-de-Luz. Inquiétée par cette étrange attitude et méfiante depuis que de nombreux vols d’affaires de fugitifs ont été commis, Andrée de Jongh met en garde les pilotes et les presse de se préparer pour reprendre la route.

          Ce pressentiment s’avère pourtant être juste, mais trop tardif, puisque au matin de ce 15 janvier 1943, un groupe d’Allemands, bien renseignés par le valet de ferme Donaia,  fait irruption dans Bidegain-Berri et interpellent tous les occupants, c’est à dire l’Anglais et les deux Américains, mais aussi Andrée de Jongh, Frantxia Usandizaga et Juan Manuel Laruburu (ouvrier agricole dans l’exploitation). Pour les nazis et pour le traître (qui a touché selon les informations d’Andrée de Jongh cinquante mille francs par personnes livrées), il manque toutefois une personne, puisque le passeur Florentino Goïkoetxea échappe à la rafle grâce à son départ en court de nuit.

          Commence alors pour les trois membres du réseau Comète, un véritable calvaire qui les mène dans l’enfer de la déportation. Si Dédée en reviendra en 1945, Frantxia qui, comme son ouvrier, est conduite dans un premier temps à la villa Angèle de Saint-Jean-de-Luz, connaît peu de temps après les geôles de la Maison blanche à Biarritz (siège de la Gestapo), mais aussi la prison de Fresnes et le camp de Ravensbrück (le 26 août 1943). Elle y décède malheureusement peu de temps avant la libération (avril 1945) tout comme son compagnon Juan Manuel Laruburu, lui aussi porté disparu en Allemagne.

           Ces trois arrestations, mais surtout celle d’Andrée, handicapent considérablement la ligne d’évasion. Celle-ci perd en effet en plus d’un leader, l’un de ses plus dévoués et acharnés agents de passage. Conduite à la Villa Chagrin, c’est à dire dans la tristement célèbre maison d’arrêt bayonnaise, puis à la Maison blanche , elle subit plusieurs interrogatoires sans jamais parler avant d’être transférée dans l’ancienne caserne transformée en prison du château neuf (au Petit Bayonne).

           Cependant, Andrée de Jongh restant à la fois essentielle et très dangereuse pour le réseau, plusieurs plans d’évasion sont élaborés. Du coup de main à la tentative de corruption, toutes les solutions sont ainsi essayées mais restent vaines, les effectifs de la résistance basque «en arme» étant à cette époque insuffisante, les risques trop grands. La « mère »1 de Comète est finalement transférée au fort du Hâ de Bordeaux d’où elle est peu de temps après déportée vers Ravensbrück dont elle ne sort très affaiblie qu’à la libération.

          Véritable tragédie pour toute le réseau Comète, cette journée du 15 janvier 1943 est donc pour ce mouvement synonyme de grand danger et de remise en cause. D’une opération qui doit à la base être «de routine», avec des étapes bien respectées, un itinéraire sûr, des agents volontaires et dévoués, les résistants basculent donc, par une simple trahison motivée par l’argent et la jalousie, dans le drame, ce cauchemar se terminant pour beaucoup de ces acteurs en déportation.

          Mission type dans sa conception et dans le début de son déroulement, cette tentative de traversée révèle toutefois bien les dangers qui guettent les volontaires et les causes qui peuvent expliquer l’échec d’un passage. Témoin de trois journées de vie d’un réseau au Pays basque, cette incursion dans ce monde cruel de l’évasion nous permet donc de mieux appréhender ce qu’est la réalité des combats et de la résistance dans les Basses-Pyrénées durant la Seconde guerre mondiale.

1 de Aberasturi J-C-J., En passant la Bidassoa,  Biarritz, J&D éditions, 1996, 183 p.

 

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