Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.17: NAISSANCE DU RÉSEAU COMÈTE.

 

LE RÉSEAU COMÈTE: NAISSANCE D’UNE ESCAPE LINE.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°17.

 

 

LE RÉSEAU COMÈTE: NAISSANCE D’UNE ESCAPE LINE.

          L’histoire du réseau d’évasion Comète peut sur de nombreux points être comparée à celle de dizaines d’autres mouvements qui utilisent le Pays basque, et plus globalement les Basses-Pyrénées, pour évacuer en Espagne des réfractaires à l’ordre nazi. Cependant, face à son organisation, à son action, et à son bilan, nous ne pouvons que reconnaître l’originalité et la «puissance» d’une telle structure. Son volume d’engagement et son évolution la démarquent en effet des autres chaînes.

         L’origine et les fondements de ses particularités sont à rechercher, dans un premier temps, dans sa période de conception et dans ses premiers pas dans la clandestinité. Toutefois, si Comète garde aujourd’hui encore un tel prestige, c’est également en grande partie grâce au courage et à la détermination d’une jeune belge, Andrée de Jongh, qui parvient à imposer ses idées et à lancer concrètement ce qui devient un élément incontournable de la résistance et de l’évasion en France et en Europe occupée.

        S’il ne fallait évoquer dans notre département qu’un seul mouvement d’évasion, connu du public et exemplaire par son action ou l’engagement de ses agents durant la Seconde guerre mondiale, il ne fait aucun doute que le choix porterait naturellement sur le réseau Comète. Très étudié par de nombreux spécialistes, son histoire mérite dans notre approche du phénomène des passages par le département des Basses-Pyrénées, une analyse et une description particulières et assez poussées.

         En observant cette organisation comme un exemple représentatif des autres structures qui œuvrent dans la région, nous pouvons nous arrêter sur les grandes étapes de son histoire. Nous évoquerons ainsi les faits les plus marquants de son épopée, de sa création à son apogée, mais aussi le portrait de plusieurs personnages clés tels la fondatrice Andrée de Jongh, la responsable locale Kattalin Aguirre ou le passeur célèbre de la ligne, Florentino Goïkoetxea. Nous nous attarderons également sur l’organisation des traversées et sur quelques exemples d’opérations types ou d’échecs, notre propos s’achevant par une tentative de bilan de l’action de ce réseau.

         Evoquer l’histoire du réseau Comète revient à étudier l’une des plus importantes structures d’évasion de la Seconde guerre mondiale. Si les qualificatifs ne manquent pas pour le définir, un adjectif particulièrement adapté semble résumer son action : « grand ».

          En effet, grand,  le mouvement Comète l’est tout d’abord par la durée de son combat. Avec un engagement aux côtés des alliés de plus de trois années (de juin 1941 à août 1944), cette structure fait preuve d’une extraordinaire longévité pour l’époque (elle peut être considérée comme exceptionnelle lorsqu’on la compare aux durées de vie des autres organisations) face aux dangers qui la menacent.

         Grand,  il l’est également par les distances parcourues (en général de Hollande ou de Belgique, à Gibraltar en passant par le Pays basque français, espagnol), mais surtout par le nombre de ses agents et de ses protégés. Ces derniers, en ne comptabilisant que les aviateurs alliés ramenés en Angleterre sont près de huit cents, plus de mille cinq cents volontaires, permanents ou occasionnels, œuvrant pour leur évacuation et leur secours. Sept cents d’entre eux sont malheureusement arrêtés. Deux cent quatre-vingt-six ne rentrent pas des prisons ou des camps de concentration allemands.

          Grande, Comète l’est enfin grâce à la présence et au dévouement de nombreuses femmes à des postes clés du réseau :

– Andrée de Jongh sa fondatrice,

– Elvire Morelle et Nénette Boulanger pour le passage de la ligne interdite,

 Elvire de Greef, représentante régionale,

– Marie Elhorga et Marthe Mendoharat dont les actions sur le terrain sont prépondérantes après l’arrestation d’Andrée de Jongh,

– la Luzienne Catherine Aguirre présente du premier au dernier jour…

          Le réseau Comète est né au début de la guerre de la volonté de résister et de la farouche détermination d’une citoyenne belge de vingt-quatre ans : Andrée de Jongh. Dessinatrice publicitaire à Malmédy, cette fragile (d’apparence) jeune fille s’engage en mai 1940 dans la Croix-Rouge qui l’affecte à l’hôpital militaire de Bruges. Toutefois, se sentant inutile et inefficace dans la lutte contre l’envahisseur, elle décide à Noël de quitter son poste pour rejoindre Bruxelles où elle retrouve un groupe d’amis. Avec ces derniers, elle monte plusieurs chaînes de solidarité et d’assistance destinées à recueillir, aider et cacher un maximum de soldats britanniques qui n’ont pas réussi à embarquer pour l’Angleterre après l’évacuation de la poche de Dunkerque. Cependant, leur manque d’expérience, leur amateurisme et leurs problèmes de discrétion entraînent de nombreuses arrestations. L’organisation doit donc être partiellement abandonnée après quelques semaines d’activité. Face à ces limites et à cet échec, Andrée de Jongh décide avec Arnold Deppé (jeune ingénieur belge) de créer un véritable réseau clandestin pour conduire jusqu’en Espagne les transfuges désirant rejoindre la Grande Bretagne.

         Ayant passé plusieurs années au Pays basque (notamment à Saint-Jean-de-Luz) en tant que représentant pour la société cinématographique Gaumont, Arnold. Deppé renoue avec certains contacts dont le commandant de réserve Appert (déjà en relation avec Londres à cette époque) qui lui permet de rencontrer une famille belge réfugiée à Anglet, les de Greef. C’est autour de ce trio que se constitue la future « ligne ».

          Un test pratique et réel, effectué début juin 1941 avec deux prisonniers évadés, montre toute la faisabilité de l’affaire et tout le potentiel de la ligne. A la fin du mois de juin, un premier convoi est alors organisé avec onze candidats. Ce dernier arrive à Bayonne avec Andrée de Jongh et Arnold Deppé qui mènent leurs protégés chez les de Greef et chez des amis qui les hébergent (Thomas Anabitarte se charge par la suite du passage en Espagne). Toutefois, si cette première opération s’avère être un succès, le dix-neuf août, le second convoi a moins de chance et tombe dans les mains de l’ennemi. Mené par l’ingénieur belge, il est arrêté par la police espagnole qui le remet avec leur guide aux autorités allemandes. Pour Dédée, il est alors indispensable de trouver un contact et un point de chute en Espagne pour éviter que ne se reproduise ce genre de tragédie.

          Elle décide pour cela de passer la Bidassoa et de gagner Bilbao. Là, elle harcèle pendant huit jours le consul britannique afin d’avoir une entrevue avec le responsable local du MI 9 (Military Intelligence : service d’information et de renseignement britannique spécialisé dans la récupération des troupes alliées en Europe occupée) envoyé de Madrid. L’acharnement de Dédée finit par payer, puisqu’elle réussit à rencontrer cet agent qui passe avec elle un accord financier et logistique. Ce dernier fait participer matériellement les services secrets britanniques au réseau mais respecte l’identité belge de ce dernier.

          Cette association officialisée, Andrée de Jongh doit maintenant se mettre à la recherche d’un nouveau guide. Elle le trouve en la personne de l’expérimenté et très efficace, Florentino Goïkoetxea qui devient un véritable passeur charismatique, non seulement pour l’organisation, mais également dans tout le département.

          Ces bases espagnole et basque assurées, Andrée de Jongh s’attache à structurer et consolider le reste de la ligne. Cette dernière se divise alors en trois zones : la première se situe en Belgique et dans le nord de la France. Dirigé par Frédéric de Jongh (le père d’Andrée), ce groupe reçoit pour mission de récupérer les aviateurs abattus dans toute l’Europe du nord et de les regrouper près de Bruxelles afin de préparer leur départ vers Valenciennes. La seconde, plus vaste, est tenue par Elvire et Charlie Morelle qui assurent le transport et la sécurité des évadés entre Valenciennes et Anglet, via Paris (la capitale fait office de relais et de plaque tournante pour les évasions). Enfin, reste la dernière et décisive étape de la traversée des Pyrénées et de la frontière. Cette partie de la ligne est confiée à Elvire de Greef qui reçoit les fugitifs dans son domicile et se charge par la suite de les conduire avec l’aide des passeurs et des agents en poste en péninsule jusqu’au contact britannique en Espagne.

          Dans le détail, une telle évacuation commence concrètement à Anglet où les fugitifs sont hébergés. Lorsqu’une occasion de traverser se présente, les candidats sont conduits à la ferme Bidegain-Berri d’Urrugne chez Frantxia Usandizaga où le passeur Florentino Goïkoetxea les prend en charge à la tombée de la nuit. Cinq heures de marche en montagne sont ensuite nécessaires pour gagner la Bidassoa (fleuve frontalier) par Xoldokogana et le col des Poiriers. Cependant, traversé à guet en temps normal au niveau de la maison San Miguel, ce cours d’eau doit être contourné et remonté en période de crue jusqu’au pic du Mandalé, au niveau de la centrale électrique d’Endarra (prolongation de plus de cinq heures qui épuisent les fugitifs). Le fleuve passé, à gué ou à sec, la course n’est pas pour autant terminée : une marche de quatre heures jusqu’à la ferme Sarobe (quartier Altzibar d’Oyartzun) où les Anglais prennent le relais jusqu’à Gibraltar au moyen de taxis ou de véhicules de l’ambassade, reste encore à accomplir par les pilotes ou les soldats pour éviter les gardes-frontières espagnols, souvent alliés des Allemands dans cette zone.

         Ce système d’évasion à travers toute l’Europe s’articule donc autour de trois niveaux de commandement. Le premier et plus important est tenu par la fondatrice et responsable Andrée de Jongh qui a toute autorité sur la chaîne, mais qui délègue aux  niveaux des régions ses pouvoirs aux adjoints précédemment nommés. Ils ont par la suite le pouvoir de choisir librement les agents, les passeurs et les intermédiaires qui travaillent sous leurs ordres en hébergeant, ravitaillant ou guidant les pilotes et autres soldats belges ou alliés.

            Cette organisation, bien qu’encore naissante,  laisse présager une activité très rigoureuse et efficace du réseau Comète.  Avec une telle structure, des cadres humains et matériels qui semblent sûrs, le mouvement peut donc à partir de 1941 se lancer dans l’aventure de l’évasion internationale à grande échelle. Cette rigueur et l’application lors de cette période de conception expliquent ainsi en partie son succès, sa réussite et  sa longévité.

¹ Ligne d’évasion». Eychenne  E. Les fougères de la liberté,  Toulouse, éditions Milan, 1987, 339 p.

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