Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

GASCOGNE Pierre. Hommage prononcé par le commandant Loustaunau-Lacau au retour de son corps.

Le commandant Loustaunau-Lacau prononce, en janvier 1950, un hommage à Pierre Gascogne, un des co-initiateurs du réseau Alliance, à l’occasion du retour de son corps. Pierre Gascogne, arrêté par la Gestapo en en octobre 1943, a été assassiné en juillet 1944 dans sa cellule de la prison de Fresnes.

 

 

ALLOCUTION POUR LE RETOUR DU CORPS DE PIERRE GASCOGNE.

15 janvier 1950

Il venait de notre côté, après avoir franchi le carrefour des Sept Cantons.

    • On dirait GASCOGNE, dis-je à Saüt.

    • C’est lui, je l’ai convoqué.

    • Tu as bien fait, c’est un dur.

Il venait de notre côté, grand et toujours sec, malgré la cinquantaine proche, son œil très noir, très direct en alerte…C’était le 28 octobre 1940. Il arrivait de Beyrouth. Je ne l’avais pas vu depuis plus de vingt ans, et je le retrouvais, après tant d’années qu’il avait passées outre-mer, aussi énergique qu’autrefois.

Une classe de lycée se refermait autour d’Henri Saüt, face à l’occupant, dans la simple continuité du patriotisme qui tenait au cœur des rescapés de 1914. Bientôt, d’autres nous rejoignirent et chez Saüt, au fond du magasin fermé pour la circonstance, se tint la seconde réunion du réseau Alliance, seul réseau déployé en France à cette époque, s’il s’agit du moins de résistance directe aux Allemands.

Pierre Gascogne ne demanda pas à réfléchir, mais il donna son adhésion sous la forme suivante : « C’est à Hendaye où habite ma sœur que je puis rendre immédiatement service ». Ainsi, de lui même, il avait choisi le poste périlleux de l’autre côté de la démarcation humiliante.

Il partit pour Hendaye presqu’aussi tôt et il y dressa le relevé exacte des batteries côtières que construisaient les Allemands pour leur bastion du sud du mur de l’Atlantique. Avec une folle imprudence ou une audace justifiée, il envoya ces plans par la poste tout simplement à Eugène Destandau, notre passeur d’Orthez. Quelques jours après, ces renseignements arrivaient à Londres.

Il faut être reconnaissant à Pierre Gascogne de cette patrouille initiale. Entre la résistance de principe proclamée à Londres, mais à Londres, par le général de Gaulle et ce travail précis de reconnaissance chez l’ennemi, il y avait la différence qui sépare la parole du fait. A cette époque où le mot résistance lui-même paraissait ridicule à qui pouvait mesurer sur place la puissance des armées occupantes, des actes de ce genre firent d’avantage pour sauver chez nos alliés le crédit entamé de la France que les déclarations enflammées des trompettes radiophoniques.

Repérer militairement les batteries d’Hendaye comme le fit Gascogne, retrouver un à un les sous-marins de Bassens comme le fit Schaerrer, relever une à une les garnisons de la division verts à deux triangles stationnée entre Angoulème et Bayonne comme le fit Bouvet, alors que l’Abwehr peu inquiété contrôlait sans peine tous les déplacements suspects, c’était en 1940 et 1941 affronter un risque terrible dans l’anonymat du sacrifice. Seuls juges en la matière, les Anglais d’une émouvante façon leur gratitude pour ces renseignements militaires, les premiers qu’ils recevaient d’une Europe muette. Ce sont ces renseignements qui ont déterminé le War Office à nous accorder une confiance totale et à nous l’accorder jusqu’au bout, malgré les échecs, les drames, les exécutions. Et il faut que ce soit à Pau que de sinistres mufles essaient de contester à Henri Saüt le titre de mort pour la France ! Lorsqu’une histoire honnête de la Résistance sera publiée, on y lira que la résistance effective sur le sol français est née à Pau au début d’octobre 1940 chez un officier de réserve, marchand de vin, qui s’appelait Saüt. Il importe peu d’ailleurs que les pouvoirs publics tardent ou ne tardent pas à le reconnaître. Ni Saüt tué à Dachau, ni Bouvet fusillé à Paris, ni Schaerrer fusillé à Paris, ni Brocqua mort à Brucksal, ni le radio Vallet fusillé à Paris, tous les membres de la patrouille de 40, n’agissaient par souci de gloire mais par esprit de réaction contre l’intolérable défaite et celui qui s’en allait fin octobre à Hendaye pour y relever les batteries de l’ennemi n’allait pas y chercher une citation.

Lorsqu’au mois de mai 1941, je revins de Lisbonne avec la question angoissante : « Les Allemands vont-ils se tourner vers l’Afrique ou vers l’Union des Républiques Soviétiques, » moment crucial s’il en fut, il nous fallut pour surveiller étroitement le goulot du Sud-Ouest, installer à Pau l’état major de commande. Mais où l’installer ? Qui accepterait d’installer chez soi un état-major anti-allemand et son poste émetteur ? Ce fut Gascogne qui fournit en louant à son nom la villa Etchebaster, ce fut Dupuy qui, tout à côté, eut le courage de prendre chez lui le poste qui, du 20 mai au 20 juillet, manipulé par le sergent Vallet, entra chaque soir en liaison avec le War Office.

Il fallait plutôt contenir Pierre Gascogne que le stimuler. Le 6 juillet, nous allâmes ensemble au parachutage de Marmande, infructueux, le 6 août il y alla seul et ramena tout ce qui nous manquait. Mais déjà, le commissaire central Morel désireux de plaire, s’acharnait contre le réseau. Le policier, bien nourri, disposant d’autos et de patrouilles nombreuses traquait nos hommes affamés comme s’il ne leur suffisait pas d’avoir sur les bras l’Abwehr allemand et les agents doubles. Morel arrêta Gascogne. Le commissaire Morel est aujourd’hui en fonction à Hendaye,… à Hendaye. C’est un malin ! Toi, tu n’es qu’un héros. Mais que l’on prenne garde, les pays où ce sont les malins qui ont raison, où ce sont les héros qui ont tort finissent par perdre leur sève et tombent faute de héros, comme des branches pourries. Nous n’avons pas eu tellement de héros en 1940.

Malgré Morel, malgré l’Abwehr, malgré les agents doubles le réseau dont les nouveaux chefs avaient astucieusement déplace sur Marseille l’axe des opérations, survivait et et continuait le combat. Gascogne, mis en sommeil, ne put se résoudre à l’inaction et se mit, toujours à Hendaye, à travailler au profit du 2ème bureau, ressuscité. Nous ne connaissons pas bien le détail de cette activité qui devait le conduire à Fresnes où il devait retrouver à la Gestapo son ardoise de l’Alliance.

Ce que je sais, par contre, c’est que le 11 octobre 1943, le colonel Knochen et son ……… me tenait acculé dans une cellule du Cherche-Midi, me soufflèrent dans la figure avec une extrême violence :

« Il est inutile de nier. Nous avons torturé le capitaine Gascogne à Fresnes et il a tout avoué : la fondation du réseau, la villa Etchebaster, la division à deux triangles, les batteries d’Hendaye ».

Mais j’avais confiance en Pierre Gascogne. Je savais aussi que ces renseignements, le colonel Knochen les tenait d’un agent double exécuté à Marseille par le commandant Faye et le lieutenant Rivière et que, pour cause, il ne pouvait pas s’opposer. Aussi puis-je répondre en affectant le calme : » Si Gascogne est à Fresnes, confrontez nous. Vous constaterez que nous ne sommes coupable ni l’un ni l’autre » .

La confrontation n’a jamais eu lieu. Gascogne n’avait pas parlé.

Ils l’ont exécuté le 17 juillet. Nous ne savons rien de précis sur le drame sinon que Pierre était encore en vis le matin. Le corps n’ pas reçu de projectiles. Ce qui est probable c’est que la Gestapo de l’hôtel Lutétia, aux ordres directs de l’Abwehr, sentant venir l’évacuation de Paris, a tué ce jour là à Fresnes, ceux des prisonniers qui avaient, sans aucun doute, lutté contre l’armée allemande. Il n’y a rien à dire sur ce sujet. Ils étaient dans le droit de la guerre en te supprimant. Lutter contre l’armée allemande, tu l’avais déjà fait magnifiquement de 1914 à 1918. Tes sept citations ne parlent pas de liaison sous le bombardement ou de positions conservées mais de parapets franchis la grenade à la main, de coups de main, de prisonniers. Il n’y manque même pas le refus d’obéissance qui, parfois, situe le caractère d’un soldat. La défaite venue, cette défaite à laquelle tu avais assisté de Syrie, la mort dans l’âme, tu as repris à cinquante ans ta place de patrouilleur, de baroudeur d’élite ; Tu n’as pas été la victime des Allemands, mais leur ennemi, tombé au combat.

Ta mort n’est pas une mort triste. Tu es mort en obéissant à la flamme que habitait ton cœur. En présence de tant de destins stupidement brisés, c’est comme un privilège. Il faut être aveugle pour ne pas voir que la malédiction de la haine pèse sur ce siècle qui a déjà roulé plus de sang à lui seul que que les dix qui l’ont précédé. Il faut être sourd pour ne pas entendre le bruit des explosions atomiques futures, pour s’imaginer que le second demi-siècle va remplacer l’enfer du premier par une oasis de douceur, inspirée de la douceur chrétienne. L’orgue de barbarie qui semble exprimer avec sa ritournelle de massacre le destin de l’humanité se fera encore entendre. Voici que les Pyrénées, si modestes jusqu’ici, prennent une dangereuse silhouette stratégique, que ce château, cette église, ce promontoire auxquels nous sommes tellement attachés, se trouvent soudainement mal placés. Sans doute quelque général fameux proclamera-t-il au Brésil la nécessité de la résistance en France. Et nous, tes amis, les vieilles tiges de 14, trop obtus et trop orgueilleux pour collaborer avec ce qui n’est pas la France, pas malins pour un sou, accrochés au sol d’une patrie qui valait la peine de vivre, nous lâcherons nos derniers coups de fusil dans les bois d’Oloron ou de Lourdes contre des faces étranges parachutées. Puis nous viendrons te rejoindre. Et nous aurons finalement raison, car nous croyons, nous qu’une âme immortelle se cache dans la mécanique de l’orgue, nous croyons que dans un coin du ciel se referment autour des Saüt, des Bouvet, des Broqua, des Gascogne les vieilles classes de lycée. Ceux qui ne croient pas pourront survoler les cités mortes en poussant les cris épouvantables des corbeaux……….

Sources: Archives privées de Henri Saüt.

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