Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

DUPE René.

(couverture) René DupéDUPE René  est né le 29 octobre 1920 à Saint-Martin-de-Seignanx (40).

Témoignage transmis par son fils, Dupé Jacques.

Il a 19 ans en 1939 et travaille à Bayonne comme mécanicien quand il apprend la guerre. En mars 1940, il s’engage pour la durée de la guerre et part à l’école des mécaniciens d’aviation à Rochefort. Devant l’avance allemande, son régiment est évacué vers Chinon puis Bordeaux en pleine exode.

Il est démobilisé le 15 août 1940 et rejoint Labenne. Très vite; il retrouve un emploi de mécanicien dans un garage de Bayonne réquisitionné par les Allemands.

En 1943, René Dupé est convoqué pour le S.T.O., il décide alors de rejoindre l’Espagne. Le 18 mars, c’est la rencontre avec le passeur M. Etcheveste puis, le lendemain, c’est le passage vers l’Espagne via Irun et  Cestona où il arrive enfin le 26 mai 1943. Il est ensuite interné à Miranda jusqu’au 25 juin.

Un long voyage à travers l’Espagne puis le Portugal le conduit le 28 juin 1943 à Setubal où il embarque sur le « Sidi-Brahim » pour Casablanca. Il souhaite rejoindre les Forces Françaises Libres de de Gaulle mais il intègre le 5ème R.C.A. de Giraud.

 Affecté à l’atelier de dépannage du 7ème escadron, il poursuit sa formation à Alger et,en octobre 1943, son unité rejoint Casablanca. André Dupé est nommé brigadier en avril 1944

Après le débarquement en Provence le 15 aout 1944, son régiment rejoint Toulon. Leur mission est de réquisitionner des véhicules et de les remettre en état.

Le 25 octobre, il obtient, avec 2 camarades, une permission de 4 jours. Ils décident d’aller vers le sud-ouest saluer leurs familles. Mais le trajet s’arrête à Idron et à l’hôpital de Pau….

 (page 57) Le Sidi Brahim            (page 70) Dans les rues d'Alger                (page 82) chaine de montage

                     Felicitations (1)             (page 95) Permission            Hopital Pau (1)

René Dupé est démobilisé le 17 novembre 1945.

                           Son fils, Jacques Dupé, a publié dans un livre intitulé « Ma drôle de guerre » le parcours de son père à partir de ses notes consignées dans un menu carnet à spirale et de ses souvenirs. Il a également travaillé à partir d’archives des mairies de Zestoa et de Miranda.

Il a résumé, dans le texte ci-dessous, le passage de la frontière de son père et son séjour au camp de Miranda.

Évadés de France — 1943

I – Évasion

Les évasions vers l’Espagne commencèrent dès l’appel du 18 juin 1940, avec un pic en 1943 pour se terminer en juin 1943, au moment du débarquement en Normandie. Au début il était difficile de trouver des passeurs, car les filières d’évasion n’étaient pas aussi bien préparées qu’en fin de ce mouvement. Rien qu’en 1943, on estime approximativement à 18 000 Français qui réussirent leur passage, et plus de 10 000 sont passés par le camp de concentration de Miranda. Environ 3000 ne parvinrent pas à franchir la frontière, soit qu’ils furent arrêtés et déportés, soit qu’ils moururent dans les neiges de nos montagnes. Au début, ceux qui avaient passé la frontière en 1940 ont été livrés aux Allemands par les franquistes. N’oublions pas que l’Espagne se relevait à peine d’une guerre civile abominable, particulièrement au Pays Basque. Et puis ce n’était pas si simple de s’évader de France. Il fallait tout quitter : sa famille, ses amis, son travail ou ses études, ses amours aussi. L’herbe n’était pourtant pas plus verte de l’autre côté de la frontière. Certains cachots franquistes pouvaient rivaliser avec leurs alliés nazis.

On sait maintenant que beaucoup d’« Évadés de France » ont souffert dans les geôles espagnoles et que tant ont enduré à Miranda.

Ce ne fut pas le cas de mon père, René Dupé, sans doute grâce à sa nature optimiste, mais aussi parce que le général Franco, voyant le vent tourner (les Américains entraient en guerre et les armées allemandes commencèrent à essuyer quelques défaites), « adouci » le sort de ces échappés.

C’est le 15 mars 1943, alors qu’il reçoit une convocation en vue d’effectuer le STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne, que mon père décide, avec un camarade, de s’évader par l’Espagne pour rejoindre le général de Gaulle.

Le 18 mars, c’est un passeur basque, Michel Écheveste, qui les accompagne, dès la tombée de la nuit, à pied, jusqu’à Bassurary. Le lendemain, en début d’après-midi, ils se dirigent vers Souraïde. Après un léger souper, c’est renforcé de quatre nouveaux évadés qu’ils repartent, toujours à pied, en direction de la frontière, Dancharria, qu’ils atteignent vers minuit. Ils atterrissent à la venta[1] Mikelen Borda, où ils seront accueillis par les carabiniers (gendarmes espagnols).

cestonaCestona/Zestoa

Après quelques péripéties, ils seront cantonnés à Cestona (Zestoa en basque) pendant deux mois tous frais payés par la Croix-Rouge internationale. Bien qu’étant en résidence surveillée, ce fût presque des vacances. Entre les conférences, proposées par les évadés, les parties de pelote basque entre évadés et les excursions des environs, il ne restait pas beaucoup de temps pour l’ennui et la rêverie.

Tout a une fin, et c’est le mercredi 26 mai que les gardes civils les accompagnent à la gare sans savoir où ils iront.

À minuit et demi, aucun doute, c’est le camp de concentration de Miranda de Ebro.

 

II – Deposito de concentration de Miranda de Ebro

(Camp de concentration de Miranda sur l’Èbre)

Tous les matins, réveil dans un concert de hurlement et d’ordre. À 8 h 30, salut à la « Bandera » (Hymne espagnol « l’étendard »). Tandis que le drapeau rouge et or s’élève le long de la hampe, les voilà tous, les prisonniers aussi, au garde-à-vous, le bras droit tendu !

Après la cérémonie aux couleurs, c’est la distribution d’une chose brunâtre qui ressemble à du café, mais qui n’en a ni l’odeur ni le gout, assorti d’une boule de pain. Le seul morceau de pain de la journée.

Le camp[2], environ 400 par 300 mètres, est bordé d’un mur de pierre blanche de 1,5 mètre environ et de deux rangées de barbelés. Tous les 50 mètres, dans une guérite de pierre à calotte ronde, un soldat armé veille. Curieusement, ces soldats, anciens républicains, donc des « rouges », mais sont affectés au camp par mesure disciplinaire.

Il y a environ une trentaine de baraques et autant de nationalités. Les Français et les Belges sont les plus nombreux. Les plus inattendus sont les Chinois et Japonais. Il y a même quelques Allemands, des Canadiens, des Polonais et évidemment beaucoup de Basques.

Quasiment toutes les couches sociales sont représentées : médecins, voyous, ecclésiastiques, officiers, apatrides, brigadistes, ouvriers, fonctionnaires, etc., sans oublier « la belle Hollandaise », un évadé néerlandais, qui commerce de son « popotin » !

Il y a environ deux mille cinq cents prisonniers, logeant théoriquement deux par deux dans des « calles » superposées.

miranda

À midi et demi le « rancho » (soupe) est servi à la « perolle ». La perolle est une sorte de grosse gamelle d’environ un mètre de diamètre, haute de trente centimètres, munie de deux poignées permettant son transport par les prisonniers.

Quant à la soupe, elle est constituée d’un peu de pommes de terre (patatas), un peu de pois chiches (garbanzos) et de beaucoup, mais vraiment beaucoup d’eau (agua). C’est alors la course : les premiers servis raflent les légumes qui flottent, les autres se contentes de la flotte !

À 19 h 30, resalut à la « Bandera » et puis c’est la resoupe.

Si la journée est chaude, la nuit il fait très froid.

Toutes les nuits, ils sont dérangés par de petites bestioles que l’on nomme punaises : elles se laissent tomber depuis la charpente pour atterrir sur les couvertures. Un vrai supplice !

À cela, s’ajoute que toutes les heures ils sont réveillés par une série de brames, qui fait le tour du camp : « Alerta ! ». L’autre lui répond « Alerta ! ». Ce sont les gardes qui poussent ce cri, de poste en poste, pour se maintenir éveillés.

Et puis, il y a les latrines ! Ah ! C’est quelque chose : d’une puanteur pestilentielle, elles sont situées au fond du camp, à droite, dans un bâtiment fermé et muni d’une seule entrée. C’est un spectacle immonde. Il faut avoir envie. Tout est liquide, rien de consistant. Évidemment on fait où on peut et devant tout le monde. Beaucoup attrapent la dysenterie qu’ils baptisent la mirandite.

Le marché noir, et la débrouille font rage ! C’est ainsi que l’on trouve une enseigne « Thé de Biarritz » où attendent boissons et gâteaux. Non, il n’y a pas de salon de thé au camp ! Mais un gars de Bordeaux, pâtissier de son état, a aménagé dans sa calle un petit espace où il confectionne et vend thé et gâteaux. Au-dessus de la poutre du 1er étage est placée une enseigne façon Far West : « Thé de Biarritz ». S’il n’y a pas de tasses en porcelaine, le thé est servi dans des gobelets confectionnés par un métallier à partir de boites de conserve ! Incroyable, on trouve de tout… à condition d’avoir de l’argent bien sûr.

Après un mois de ce régime, ils sont enfin libérés le 25 juin 1943, grâce à la Croix-Rouge qui les échange contre un sac de farine (les Espagnols sont sur leur faim).

Ils embarquent à bord du Sidi-Brahim à Sétubal (Portugal) le 28 juin 1943 pour Casablanca, sur les chaines de montage de véhicules militaires américains qui sont à la base du réarmement de l’armée française, future « 1re Armée Française ».

 

Pour ceux que cela intéresse, vous trouverez la totalité de l’aventure de René Dupé dans le livre « Ma Drôle de Guerre ! » aux éditions Jacques Flament (http://www.jacquesflamenteditions.com/jacques-dupe/)

 

[1] Épicerie espagnole (le « v » se prononce comme un « b »)

[2] Ce camp de concentration ouvert en 1937 et fermé en 1947 a été construit sous l’égide des ingénieurs allemands pour emprisonner les républicains, les brigadistes internationales, « les rouges » en sommes.

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