Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

Des passeurs en procès. Compte rendu d’audience du « Patriote des Pyrénées ». 29 juillet 1943.

L’édition du 29 juillet 1943 du « Patriote des Pyrénées » donne le compte rendu d’un procès fait à des passeurs.

Alors que la censure impose aux journaux locaux un silence quasi intégral sur les activités de passage clandestin de la frontière vers l’Espagne, le jugement évoqué vise à mettre en évidence le côté sombre et véreux des passeurs.

 

Transcription de l’article paru le 29 juillet 1943

 

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Audience du 28 juillet 1943

UN DRAME DU « PASSAGE »

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C’est une très curieuse et dramatique affaire que le tribunal correctionnel de Pau eut à juger hier bien caractéristique de notre singulière et sinistre époque.

On sait que celle-ci a vu naître et prospérer une industrie nouvelle : celle de « passeur ».

Beaucoup de gens, en effet, par ces temps troublés et pis qu’incertains se trouvent dans la nécessité de franchir clandestinement la frontière. A cet effet, ils recours aux connaissance topographiques de quelque frontalier : c’est le « passeur ». Et comme les « passés » sont généralement, sinon même par définition, gens fortunés – l’émigration n ‘est guère à la portée des petites bourses – le métier de « passeur » qui n’est d’ailleurs pas sans risques est assez rémunérateur.

Pareille fortune échut un jour de l’automne dernier à deux jeunes gens appartenant à d’excellentes familles rurales du Pays Basque, Jean E. et Raymond B., du moins, ils le crurent un instant.

Un trio d’émigrants, un célibataire et un couple, vinrent solliciter leurs bons offices et marché fut conclu, les passeurs devant être payés en bijoux, dont les passés étaient abondamment pourvus.

Après quelques heures de marche pénible dans la neige, le couple se déclara incapable d’aller plus loin. Il fit escale dans une grange, tandis que les trois autres continuaient leur route. Ils marchèrent longtemps encore, puis les passeurs dirent au passé :  « Vous n’avez plus besoin de nous. Vous n’avez qu’à suivre le cours de ce ruisseau, il vous conduira en Espagne, aussi sûrement que le meilleur des guides. » Le passé remit alors aux passeurs des boutons de manchette vraisemblablement d’un grand prix et il s’en fut à travers la neige vers son destin qu’il croyait être la liberté.

E. et B. revinrent tout d’abord au village persuadés d’avoir fait une excellente affaire, mais une première déception les attendait. Un connaisseur leur révéla que la monnaie-matière dont on les avait payés n’avait aucune valeur : c’était du toc. Il restait heureusement le couple qu’on avait laissé dans la grange ; ces deux là payeraient pour trois. Le lendemain, en effet, les passeurs allaient retrouver leurs clients et … passaient sur eux leur colère. Pour obtenir d’être « passés » à leur tour, l’homme et la femme durent payer d’avance au moyen d’une forte quantité de bijoux, cette fois en or véritable. Après quoi les passeurs conduisirent les passés jusqu’au point où ils avaient quitté la veille leur compagnon.

Ils n’étaient pas au bout de leurs peines et déconvenues.

En essayant de négocier les bijoux, E. se faisait arrêter pour infraction aux lois

et règlements sur la circulation de l’or.

Quelques jours plus tard, on découvrait en territoire français le cadavre du premier « passé » qui avait fait une chute mortelle dans un ravin.

Ses deux compagnons furent-ils plus heureux ? C’est possible, encore que la forêt qu’ils devaient traverser recèle, parait-il, de nombreux cadavres de toutes nationalités.

L’enquête devait, dans tous les cas, établir que le point où les passeurs avaient abandonné les passés était à plus de 3 heures de marche de la frontière.

Voilà comment et pourquoi E. et B. ont à répondre aujourd’hui de la triple inculpation d’escroquerie, d’homicide par imprudence et de délit douanier.

M.le Substitut Batbie soutient les eux premiers chefs d’accusation.

L’Administration des douanes, qui s’est portée partie civile, réclame par la vois d’un de ses inspecteurs la confiscation des bijoux et une amende égale à leur valeur soit d’après les experts 80.800 francs.

Me Henri Debats, du barreau d’Oloron, dans une forte mais très sobre plaidoirie, s’attache à démontrer que le triple délit reproché à leurs clients est inexistant et il sollicite leur relaxe pure et simple.

Le Tribunal, après délibération, écarte le délit d’homicide par imprudence ; condamne respectivement E. et B. à 2 et 1 mois de prison pour escroquerie ; et fait droit aux conclusions de l’Administration des Douanes.

Bien entendu, il ne faut pas conclure de là que le métier de « passeur » est reconnu et garanti par l’État. La seule morale à tirer de cette histoire est que le passage clandestin de la frontière est aussi périlleux pour les passeurs que pour les passés.

Pour accéder à l’édition originale: cliquer ici.

Ce jugement fut repris au niveau national par la presse collaborationniste. Pour accéder à la publication parue le 11août 1943 dans « Le Journal »  cliquer ici.

 

 

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