Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

Servir ou désobéir. Le dilemme des gendarmes. A la libération, « bilan » de la brigade de Saint-Jean-Pied-de-Port

entréeServir ou désobéir ?

Jean-François Nativité a consacré un ouvrage à cette problématique qui voit « la gendarmerie, institution légitimiste et légaliste, déchirée entre son devoir d’obéissance à l’Etat et son souci d’être au service de la Nation, en une période où la scission entre Etat et Nation prend de la consistance. Chaque gendarme, individuellement, se trouve lui aussi confronté à cette situation inédite, ce qui explique l’éclatement des comportements individuels, attentistes ou engagés, surtout en 1943 et plus encore en 1944 ».
Préface de Jules Maurin in : Nativité Jean-François, Servir ou désobéir ?, Vendémiaire Editions, Paris, 2013, 479 pages.

 

Le document reproduit ci-dessous illustre les contraintes auxquelles les unités de gendarmerie se trouvèrent confrontées dans les mois qui suivirent la libération.

Source : archives de l’association.

 

Saint-Jean-Pied-de-Port, le 29 novembre 1944.

 

                                          Rapport du maréchal des logis chef AMESTOY commandant la brigade sur l’activité de celle-ci pendant l’occupation.

 

Durant toute l’occupation le personnel de la brigade a toujours opposé une résistance continue à l’ennemi.

                   Services exécutés avec la Feldgendarmerie.

Les services exécutés avec la Feldgendarmerie étaient freinés et sabotés dans la mesure du possible, notamment en matière de circulation et de défense passive en prévenant la population du service projeté ou en conduisant les Allemands dans des endroits où il n’y avait aucune chance de relever des infractions.

                   Passages de la ligne de démarcation.

De nombreuses personnes ont été favorisées pour le passage de la ligne de démarcation, notamment 2 jeunes gens originaires de la Seine-et-Oise qui, à la sortie de la gare voulaient prendre directement le chemin de la frontière sans aucune chance de réussir.

                   Collaborateurs. Contrebandiers. Profiteurs.

Une lutte acharnée a été menée avec tout le personnel de la brigade contre les collaborateurs, les contrebandiers et les trafiquants de marché noir sous le couvert des Allemands.

Des P.V. ont été dressés à divers cultivateurs pour vente à la ferme des veaux et des denrées alimentaires aux troupes d’occupation sans bons de réquisition.

Parmi les plus grosses affaires, on peut citer celles-ci :

         -Le 4 avril 1942, le M.D.L. chef Amestoy et le gendarme Destribats ont saisi à Mme. Lartigau de Biarritz une quantité d’œufs et de volailles qu’elle réservait à la clientèle allemande de l’hôtel où elle était employée comme cuisinière. A la suite de cette saisie, Amestoy et Destribats avaient été convoqués à la Feldkommandantur et un officier allemand les avait interrogé plus d’1h de temps chacun.

         -Le 3 décembre 1942, le M.D.L. chef Amestoy, les gendarmes Lavielle et Canton avaient saisi dans un autobus de transport en commun 70kg de saccharine transportés en contrebande dans 2 valises. Pour faciliter la saisie, Amestoy avait, à l’insu du chauffeur, fait disparaître une étiquette  portant l’adresse d’une haute personnalité allemande très influente sur la Gestapo, en résidence à Ascarat depuis le début de l’occupation. L’enquête avait permis l’arrestation de 3 trafiquants et ceux-ci n’avaient pu être libérés par les Allemands qu’après 8 jours de détention à la maison d’arrêt de Bayonne.

         -Le 22 décembre 1942, le M.D.L. chef Amestoy, les gendarmes Canton et Narbeburu avaient découvert un trafic de devises au profit des Allemands par Erramouspe de Bayonne. Il était porteur de 115.000 pesetas, échangés par lui à des contrebandiers approximativement contre 1.725.000 francs. Erramouspe avait été remis en liberté environ 8 jours après son arrestation sur ordre impératif des Allemands ; les pesetas lui avaient été restituées.

         -Le 19 avril 1943, le M.D.L. chef Amestoy, le gendarme Lavielle avaient saisi 177 peaux d’agneau tannées qu’un nommé Roux d’Uhart expédiait à Paris pour confection d’une canadienne pour les Allemands. La saisie avait été mentionnée et Roux avait transigé avec la douane pour 20.000 f.

         -Le 2 octobre 1943, les gendarmes Lavielle, Canton et Narbeburu, en service de nuit à Lasse avaient rencontré 3 personnes. L’une d’elles qui avait déjà eu des démêlés avec la gendarmerie pour exportation de bovins avait abandonné un fusil de chasse et pris la fuite à la vue des gendarmes. Le fusil avait été porté à la brigade et caché au bureau, puis au bout de 8 jours restitué à son propriétaire qui était venu chercher son arme à la brigade à la 3ème convocation.

         -Le 29 juillet 1943, les gendarmes Hourquebie et Narbeburu avaient saisi des denrées de contrebande qu’une personne d’Arneguy transportait à Capbreton pour un douanier allemand. Dans la soirée, ce douanier avait téléphoné à la brigade pour que la marchandise soit restituée au propriétaire. N’ayant pas eu satisfaction, le lendemain, il s’était rendu lui-même au bureau du receveur des douanes à Saint-Jean-Pied-de-Port et avait exigé la remise de ladite marchandise. A la suite de ceci, il y avait eu une dénonciation calomnieuse contre la brigade et notamment contre le gendarme Hourquebie aux Allemands.

         -le 27 juillet 1944, le M.D.L. chef Amestoy, en service d’ordre à un incendie, ayant refusé d’exécuter les ordres d’un officier allemand avait été bousculé sur 10m par cet officier et par son camarade, tous deux pris de boisson, sans cependant avoir gain de cause. Au cours de ce même incendie les gendarmes Canton et Narbeburu avaient aidé un membre de la résistance locale à déplacer les armes dont le dépôt venait d’être décelé.  

Plusieurs autres cas pourraient être signalés, entre autres la saisie par les gendarmes Lavielle et Narbeburu, chez M. Primo de St-Jean-Pied-de-Port de 2.480 paires de chaussettes de provenance espagnole destinées aux Allemands.

                   Répression de l’exportation.

Tout le personnel de la brigade a participé à la répression de l’exportation de bovins et marchandises en Espagne. C’est ainsi que le 1er novembre 1942, la brigade a saisi une quantité importante de devises et 36 bovins exportés la nuit en contrebande par la montagne en direction de l’Espagne. Les contrebandiers, certains excessivement dangereux, ont été arrêtés au nombre de 22 et écroués à la maison d’arrêt de Bayonne. Ils ont été condamnés à des peines sévères, puis libérés par les Allemands. Leur situation actuelle a été signalée par rapport aux autorités compétentes. Les autorités d’occupation prétendaient que la répression de la contrebande était uniquement du ressort de la douane allemande. D’ailleurs, c’était pour cette raison que toute action de la gendarmerie avait été interdite sur une zone de 3km de la frontière. Les douaniers français avaient été repliés à 15km à l’intérieur. Malgré tout cela, les douaniers allemands n’ont fait aucune saisie et pour cause. Une partie du bétail revenait en France pour les Allemands, et les pesetas échangées par certains individus à leur solde leur servaient pour acheter du Wolfram, des mulets et autres marchandises qu’ils ne pouvaient pas avoir avec des pesetas.

                   Réfractaires au Service du Travail Obligatoire.

Depuis la mise en vigueur du S.T.O., la brigade a constitué 18 dossiers de recherches de jeunes gens n’ayant pas obéi aux convocations pour l’Allemagne. La plupart de ces jeunes gens sont passés en Espagne pour gagner l’Afrique et beaucoup d’entre eux sont venus dire au revoir à la brigade. Quelques isolés se sont réfugiés dans des fermes isolées où ils n’ont jamais été inquiétés. Ceux qui étaient encore présents chez eux lors de la note les concernant étaient prévenus pour qu’ils quittent leur domicile avant de reprendre les recherches. C’est ainsi que dans la circonscription de la brigade composée de 9 communes, il n’y a eu que 2 jeunes gens comme travailleurs civils en Allemagne. L’un était volontaire, l’autre est parti sur désignation d’office, mais ses parents étaient pour les Allemands. En hiver 1943, 2 militaires de la Feldgendarmerie s’étaient présentés à la brigade pour se faire accompagner au domicile d’un prisonnier de guerre évadé à Lasse. Le gendarme Narbeburu, désigné pour les accompagner, les avait conduits à la maison natale du recherché au lieu de les conduire à son domicile réel. De ce fait, les recherches étaient restées infructueuses.

                   Passages de jeunes gens en Espagne.

Nombreux sont les jeunes gens et officiers de la circonscription et d’ailleurs qui sont passés en Espagne par St-Jean-Pied-de-Port. Tout le personnel de la brigade était au courant de ces passages et au lieu de les interdire, il les favorisait dans la mesure du possible.

Des contrôles sommaires étaient faits dans les gares et sur les routes. Les intéressés recevaient des conseils et la plupart du temps étaient dirigés sur 2 membres actifs de la résistance, Muscarditz et Vignerle de St-Jean-Pied-de-Port.

Deux cas à signaler. Au début de l’année 1943, Mme. Vertain Simone, domiciliée 6 rue Pasteur à Paris, a conduit à plusieurs reprises des jeunes gens à St-Jean-Pied-de-Port pour les faire passer en Espagne. Amputée du bras et habillée en infirmière avec insigne de la légion d’honneur, elle prétendait aux Allemands venir au Pays Basque pour chercher du ravitaillement et se faire accompagner pour le transport des marchandises. Par la suite, elle a été arrêtée par les Allemands en même temps que l’interprète de la Kommandantur locale. Les jeunes gens qu’elle accompagnait réussissaient toujours à passer en Espagne.

Dans le courant de l’été 1943, M. Etcheverry de St-Etienne-de-Baïgorry et un camarde avaient un groupe de jeunes gens à passer en Espagne. Venant de St-Palais par l’autobus, ils en étaient descendus à l’entrée de St-Jean-Pied-de-Port, pour éviter un contrôle des Allemands et s’étaient rendus à travers champs à l’autre extrémité de la ville pour reprendre l’autobus et continuer leur voyage. Ils avaient été rencontrés par les gendarmes en service de nuit, mais ils n’avaient pas été inquiétés.

Cependant la tâche de la brigade était rendue difficile par la zone réservée et la présence de la Gestapo, installée à demeure à St-Jean-Pied-de-Port.

                   Vers la fin de l’occupation.

Vers la fin de l’occupation tout le personnel de la brigade a servi d’intermédiaire entre estafettes de la résistance (Pirresteguy, Vignerle, Muscarditz) pour les rencontres urgentes en vue de transport de plis ou autres.

En denier lieu la brigade a signalé presque tous les jours à un estafette de la résistance du groupe de Mauléon (Kaki) les occupations de la douane allemande et surveillait tous les départs dans la direction de Larcevaux afin de donner l’alerte aux FFI de Mauléon.

                   Arrestation des agents de l’ennemi.

Le 21 août 1944, 2 heures après le départ des Allemands de St-Jean-Pied-de-Port, la brigade a procédé à l’arrestation de 3 Espagnols qui se dirigeaient vers la frontière après avoir passé la nuit dans le cantonnement des Allemands. Tous 3 étaient porteurs de plusieurs citations de la division bleue antibolchévique.

Le 25 août 1944, après des recherches mouvementées, la brigade a arrêté un agent de la Gestapo nommé Levasseur, de nationalité française, ayant opéré dans la région de Bordeaux et Bayonne. Âgé de 25 ans, agent très actif, après un interrogatoire serré subi à la brigade, il avait fait des aveux sur ses agissements et ses complices.

Tous les faits énumérés ci-dessus ont été solutionnés avec le concours de tout le personnel de la brigade.

Etat du personnel. Amestoy Pierre, m.d.l .chef, Lavielle Gratien, Hourquebie Jean-Baptiste, Canton René, Narbeburu Jean-Pierre gendarmes. Ce dernier a reçu les félicitations du colonel commandant la légion en date du 2 novembre 1944 pour services rendus à la cause de la libération.

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