Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Résistance spirituelle 46: l’abbaye de Belloc.

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L’ABBAYE DE BELLOC: HAVRE DE PAIX .

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

 

Fiche n°46.

 

 

            S’il est particulièrement difficile aujourd’hui de retrouver dans notre région des vestiges ou des lieux de mémoire qui rappellent l’action de la résistance pendant la seconde guerre mondiale, un site peu connu, longtemps resté dans l’oubli, mérite de nombreux honneurs et une reconnaissance en tant que haut lieu du patriotisme et de l’opposition à l’occupant : l’abbaye de Notre-Dame de Belloc, à Urt.¹

            Monastère bénédictin du Labour, cette institution entretient depuis des siècles les valeurs d’accueil, d’hospitalité et de protection des plus faibles, chères à l’ordre de St Benoît. Son histoire au XXème siècle semble être cependant étrangement liée et calquée sur celle du Pays basque, les murs de l’abbaye voyant passer tous les déshérités que la terre basque sait recueillir et protéger.

            Dès les années trente, les pères ouvrent en effet leurs portes aux très nombreuses populations basques refoulées par Franco pendant la guerre civile espagnole. Victimes de ce «douloureux préambule» au conflit qui ensanglante peu de temps après l’Europe entière, ces réfugiés sont remplacés quelques années plus tard, en 1940, par une multitude de populations du nord de la France qui fuient le feu et les destructions de la guerre qui jettent sur les routes de l’exode toute une armée d’innocents. Toutefois, la campagne de France et d’Europe de l’Ouest s’essoufflant rapidement, le monastère voit frapper à sa porte un nouveau type de demandeurs d’asile : il s’agit de volontaires et de réfractaires  traqués (fiche 2) désirant rejoindre les armées alliées et quitter les territoires occupés par les nazis.

            Pris en charge par des réseaux d’évasion (fiche 1) ou autonomes depuis leurs départs, tous ces fugitifs trouvent en l’abbaye Notre-Dame de Belloc une étape sécurisante et souvent décisive dans leurs périlleux voyages vers la liberté et l’Espagne. Pourtant, une institution de cette renommée, avec un tel passé et de nombreux antécédents en matière d’hospitalité et de clandestinité, ne peut qu’attirer les soupçons des autorités ennemies. Dès 1940, ces dernières envisagent d’occuper le monastère. Cependant, une simple visite des bâtiments et des cellules des moines suffît à leur faire renoncer à ce projet, la pauvreté de ces dernières, leur dénuement, mais surtout leur manque de confort amenant l’occupant à les considérer comme « à peine bonnes à loger les ordonnances des officiers » ¹ !

                Cependant, cette absence des Allemands dans les locaux des ecclésiastiques n’est pas pour autant synonyme de liberté et de tranquillité. En effet, la Gestapo soupçonne les pères d’abriter et de protéger des fugitifs. Elle ne cesse donc durant tout le conflit de surveiller le site et de tendre des pièges. Ces accusations s’avèrent en effet bien souvent fondées, puisque dès le début la guerre, l’abbaye de Notre-Dame de Belloc sert de refuge, d’étape et de plaque tournante pour plusieurs réseaux d’évasion.

            Cette activité voit officiellement le jour en 1943 avec l’arrivée à l’abbaye de trois jeunes réfractaires originaires de Fontainebleau. Hébergés et protégés par le père abbé Bernardin Darmendrail, ces évadés parviennent par leurs insistantes sollicitations auprès de ce dernier, à entrer en contact avec un boulanger et un laitier d’Hasparren (Arnaud et Jean Pierre Bidart). Par leurs emplois, ces deux basques connaissent les gens du pays ainsi que leurs activités plus ou moins clandestines et recommandent aux « voyageurs », trois cultivateurs de Celahaya (MM Lissarague, Belosteguy et Cornu) qui peuvent les guider jusqu’à la frontière.

            Couronnée de succès, cette première évacuation marque le début d’une longue coopération entre passeurs (fiche 7) haspandars et moines bénédictins. Ainsi, au fil des arrivées au monastère et des passages, une véritable filière Notre-Dame de Belloc (encore indépendante de tout mouvements ou partis) se met en place. Cependant, face au dangereux afflux de « pèlerins de la liberté »¹  réclamant asile et assistance, les pères d’Urt se voient obliger de solliciter plusieurs organisations clandestines spécialisées dans l’évasion afin de répondre aux attentes des persécutés tout en garantissant la sécurité de l’institution et de ses collaborateurs basques.

            Ainsi, avec l’augmentation toujours croissante des candidats au départ, de véritables organisations structurées, planifiées et efficaces (avec des filières sûres et des contacts permanents), transforment l’abbaye anciennement « créatrice » et organisatrice de convois, en un élément incontournable mais uniquement « exécutif », des réseaux d’évasion pyrénéens. Les principales fonctions de Notre-Dame de Belloc se limitent donc à présent  à un simple accueil des fugitifs (ces derniers reçoivent de toute la France des indications pour gagner le monastère) et à un rassemblement des évadés dans l’attente de la constitution d’un convoi et de la prise en charge du groupe par un guide.

            Ces voyageurs viennent en général de tous les milieux et de toutes les régions de France : il peut s’agir de soldats et d’officiers rejoignant l’Afrique du Nord, de réfractaires du STO (Service du Travail Obligatoire), de communistes, de juifs, de Sénégalais évadés Frontsalag du  Polo de Beyris, d’aviateurs anglais et même de déserteurs de la Wehrmacht (un jeune belge enrôlé de force passe par exemple le 19 mars 1943).

                Officiellement, les pères sont en relation avec des agents du réseau d’évasion et de renseignement Shelbrun-Vaudevire (fiche 36), mais aussi avec le très controversé réseau Orion (fiche 1) (avec Michel Alliot et Henri d’Astier de la Vigerie). Cependant, dans la pratique, de nombreux autres organes profitent du site et des services du monastère. Plus sûrs et fidèles restent pourtant les contacts de l’abbaye avec son annexe paloise de l’hospice St Léon, ainsi qu’avec quelques Haspandars ou habitants de Labastide-Clairence et Urt comme les Andrieux (pharmaciens), les Bidart et les Rojas (guides).

         Toutefois, malgré l’intervention de nouveaux résistants extérieurs à l’ordre lors des liaisons et sur l’essentiel des parcours (4), le père Bernardin Darmendrail continue à conduire des jeunes quittant l’abbaye par groupes de dix ou quinze à travers les landes d’Hasparren,  vers un petit ravin au bord de la route de Labastide. Là des passeurs, travaillant depuis 1943 avec les pères ou récemment recrutés par les réseaux, les prennent en charge et leurs font traverser la Nive sur un bac, avant de les guider sur la route de Saint-Jean-Pied-de-Port d’où partent les sentiers de contrebandiers qui mènent jusqu’en Espagne, au lieu-dit Lau Bordat.

Globalement, d’une position de premier contact et de refuge avancé, le monastère devient donc une ultime étape et un dernier abri sur le sol français occupé avant la liberté.

Cependant, cette importante activité autour d’un centre religieux, dans une zone isolée, ne peut qu’attirer l’attention des Allemands. Ces derniers dès les premiers mois d’occupation mènent une perquisition et emportent de nombreux documents présents dans le bureau du père abbé (sans résultats). Un an plus tard, le retour de la Gestapo est plus tragique. Ses agents emmènent en effet avec eux trois pères de Belloc.

Quelques jours auparavant, un certain M Dumas, qui se prétend émissaire du gouvernement de Vichy « pour porter remède aux abus commis par certains passeurs »² (en réalité, un espion à la solde de la Gestapo), pénètre dans l’abbaye et demande à rencontrer les responsables pour leur proposer la création de réseaux. Suite à cette trahison, le 14 décembre 1943, trois policiers allemands se présentent à Belloc et exigent de voir les pères abbés, prieurs et hôteliers (Pères Dom Jean, Gabriel Hondet, Grégoire Joannatéguy, Ildefonse Darricau) pour une information qu’ils disent sans importance. Ne présageant pas du danger qui les attendent, les trois ecclésiastiques rencontrent les nazis et montent dans leur véhicule pensant être de retour le soir même.

Ils sont en réalité tous trois conduits à la prison de Bayonne (villa Chagrin) où ils sont interrogés et enfermés pendant un mois.

Condamnés pour espionnage et faits de résistance, les pères sont conduits au fort du Hâ à Bordeaux d’où partent vers Compiègne, puis Buchenwald, Hondet et Joannateguy, alors que leur compagnon réussit à rester dans la forteresse en feignant l’innocence et l’incompréhension. En Allemagne, les deux Basques vivent de très douloureuses épreuves, mais réussissent à survivre aux privations, aux brimades et autres châtiments en gardant l’espoir et une foi inébranlable qu’ils partagent autour d’eux. Malgré un transfert des plus difficile à Dachau, ils rentrent à la fin de l’année 1945 à Urt où attend un accueil digne de héros, avec de nombreux officiels civils et ecclésiastiques dont Mgr Terrier.

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Quelques années plus tard, une reconnaissance officielle honore toute l’abbaye : il s’agit d’une citation le 31 octobre 1951 à l’ordre du corps d’armée. Dans cette dernière le monastère est évoqué comme « l’un des foyers les plus ardents de la résistance basque. »¹ Il est également crédité du passage « en Espagne d’environ un millier d’aviateurs alliés, jeunes gens, spécialistes et officiers français désireux de rejoindre les forces alliées et les FFL (Forces Françaises Libres) ». Cette citation est enfin accompagnée d’une croix de guerre avec étoile de vermeil et d’une croix de la légion d’honneur pour les pères Hondet (ce dernier la refuse malgré tout longtemps) et Darmandrail. L’institution toute entière est par la suite décorée par une croix de guerre.

Véritable halte sur le chemin de la liberté, l’abbaye Notre-Dame de Belloc est durant la Seconde guerre mondiale une étape importante dans le périple de nombreux évadés en partance vers l’Espagne et l’Afrique du Nord.

Créateur de filière dans un premier temps, intégré dans l’organisation quasi militaire de plusieurs réseaux, ce monastère paye lourdement son engagement aux côtés de la résistance. De nombreux moines et habitants de Labastide-Clairence ou Hasparren donnent en effet leurs vies pour cette cause ou plusieurs années de leur existence comme les trois pères déportés en Allemagne.

¹ Bady P. L’abbaye Notre-Dame de Belloc, L’union des combattants, février 1991

² Moreau R.  L’âme basque, Bordeaux, Ulysse éditions, 1982, 704 p.

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