Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Résistance au Pays Basque.28: ACTES ISOLÉS OU SYMBOLIQUES.

 

INDICES DE RÉSISTANCE EN PAYS BASQUE. ACTES ISOLÉS OU SYMBOLIQUES.

Benoit LAULHE – La Résistance au Pays Basque – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°28.

 

 

 

INDICES DE RÉSISTANCE EN PAYS BASQUE. ACTES ISOLÉS OU SYMBOLIQUES.

          Si le Pays basque n’a pas été un très grand pôle de résistance militaire, il a, en revanche, été un important foyer d’opposition et de contestation populaire, de l’ordre établi.

          Ainsi, en commettant de petits attentats isolés ou de grandes manifestations patriotiques, une partie de la population basque sait prouver durant tout le conflit sa foi en la liberté et en la victoire des alliés.

          La région basque a souvent été qualifiée de «passive» pendant la Seconde guerre mondiale face à l’occupant germanique, à cause de la relative discrétion des groupes de résistants armés et de la rareté des opérations de guérilla. Pourtant, si les organisations militaires ont du mal à se développer, celles de renseignements et d’évasions  trouvent dans cette zone un espace propice à l’exercice de leurs activités, la résistance dans cette partie du département adoptant une « forme plus tactique que militaire ».

          Évoquer l’engagement des Basques dans la résistance ne doit pas être forcément synonyme d’action armée ou secrète, dans le cadre de réseaux structurés et spécialisés. L’opposition peut également se concrétiser par des actes plus symboliques ou pacifiques. Ainsi, dans tout le Pays basque, de l’arrivée des Allemands à la libération, nous pouvons répertorier un nombre important de gestes isolés ou populaires, destinés à montrer à l’ennemi l’hostilité de la population et le soutien de cette dernière pour les personnes qui ont choisi, les armes à la main ou à travers un réseau, de lutter activement contre l’occupant.

          Reflet d’une opinion publique attentiste qui, sans trop prendre parti et sans trop se prononcer, désapprouve la collaboration et les nazis, ces manifestations durant le conflit entraînent diverse répercutions. Les plus violentes, spontanées et isolées, sont sûrement celles qui accueillent l’arrivée de la Wehrmacht en juin 1940 sur la côte.

          Nous disposons, grâce à la presse de l’époque et à divers témoignages, de plusieurs anecdotes et récits d’actes traduisant l’hostilité de quelques habitants. Ainsi, dès le 26 juin, c’est-à-dire au premier jour d’occupation, nous apprenons que l’un des premiers soldats à avoir pénétré en terre basque est retrouvé mort, un couteau entre les épaules, par un garde champêtre sous le préau de l’école de Bidart où il s’est arrêté la veille pour dormir. Enterré discrètement et en terre commune, cette estafette est longtemps recherchée par ses compatriotes, l’auteur du crime restant définitivement dans l’ombre. Quelques jours plus tard, non loin de là, dans un virage à Guéthary, tout un peloton de motocyclistes allemands chute et atterrit sur le ballast de la voie ferrée toute proche. Justifié par les pilotes comme étant dû à une vitesse trop importante à l’approche d’une zone dangereuse, cet accident s’explique en réalité par un copieux savonnage de la chaussée, les auteurs d’une telle plaisanterie n’imaginant certainement pas causer de tels dégâts.

          Cependant,  restés anecdotiques et isolés, ces actes n’ont pas la portée ni l’écho de celui réalisé par les journalistes du quotidien Le Courrier, le 28 juin 1940. Les troupes allemandes arrivées la veille à Bayonne et à Saint-Jean-de-Luz, on aurait pu s’attendre à ce que les « gros titres » et la une du journal soient consacrés à cet événement Au lieu de cela, on trouve, en première page et bien positionné, un très long et visible article traitant de la manière de se débarrasser des doryphores, un petit encadré, en bas de page évoquant en quelques lignes l’arrivée des Allemands et leur occupation des principales villes. Ce journal réédite à plusieurs reprises de telles allusions ainsi que plusieurs autres articles, plus sérieux, à l’encontre de l’occupant. Une telle prise de position, notamment des éditoriaux,  oblige cependant ce quotidien à se « saborder » en juillet 1940 sous la forte pression des nazis.

          Au-delà de l’action de ce journal, une autre réaction, plus officielle celle-ci, entraîne un impact plus important. Elle émane du général Lafont,  commandant le 18° R.I.  (Régiment d’Infanterie), qui dans une proclamation faite aux Bayonnais, demande à ces derniers de garder leur dignité et de ne pas assister au défilé ou à l’arrivée des Allemands en ville, les volets et les portes devant être clos en signe de deuil. Écouté, l’officier obtient ainsi la maigre consolation, le 27 juin 1940, de livrer à l’ennemi une « ville morte » et fermée. Cette attitude symbolique d’hostilité est par la suite suivie de nombreux autres actes plus ou moins isolés et violents.

          En effet, le 16 juillet, une patrouille allemande est prise pour cible et touchée par un coup de feu tiré par un marginal à Urt ; un soldat est grièvement blessé. Cet attentat est réédité trois jours après à Ustaritz, contre une sentinelle sans faire de victimes cette fois. Le 13 août, à Bayonne, c’est le bateau vapeur l’Odet,  gouvernail volontairement endommagé, qui bloque le chenal d’entrée de l’Adour,  ce qui gêne les manœuvres maritimes allemandes.

          Par la suite et durant toute l’occupation, à intervalles réguliers, des actions spontanées ou préméditées, collectives ou isolées, montrent à l’occupant que sa présence n’est pas acceptée et qu’une grande partie de la population est du côté des alliés et de la résistance. Cela se traduit dans un premier temps par de nombreuses déversions de clous sur les routes avant le passage de véhicules allemands ou par des vols de biens ennemis, tels du ravitaillement ou des chevaux le 20 novembre 1941 à Biarritz, mais aussi par des distributions de tracts et des campagnes de contre -propagandes ou d’agitation sociale, notamment aux Forges de l’Adour en novembre 1940 par les  jeunesses communistes du Boucau.

          Ce mouvement, particulièrement actif, utilise régulièrement cette arme symbolique et publique. Ainsi, le 22 mars, tous les murs du Boucau et de Tarnos sont recouverts de «V», signe de ralliement, de victoire et de résistance. En 1942, en plus des fréquentes distributions de tracts, ils s’attaquent à quelques bâtiments et biens ennemis qu’ils dégradent (25 mai : incendie d’un cantonnement allemand ; 26 mai : incendie d’un dépôt de paille à Bayonne, nombreuses crevaisons de pneus et multiples coupures de fils téléphoniques). Ils s’en prennent également aux séances d’actualité du cinéma Appolo durant lesquelles ils manifestent contre les Allemands, déclenchent des bagarres ou incitent les spectateurs à quitter la salle pendant les programmes de propagande.

          Toutefois, si ces différentes actions sont surtout le fait de groupes ou d’individus isolés, à plusieurs reprises, l’opinion et la population se mobilisent pour exprimer son mécontentement et son patriotisme. L’un des plus importants et des plus connus regroupements se déroule le 20 septembre 1942. A l’occasion de l’anniversaire et de la célébration surprise de la victoire de Valmy, plusieurs centaines de personnes, (parmi lesquelles se dissimulent beaucoup de résistants) se rassemblent au vélodrome principal de Bayonne aux cris de « Vive la République » et sous les drapeaux tricolores, exprimant ainsi leur volonté de chasser les Allemands et de retrouver la liberté. Cependant, si cette manifestation spontanée marque, par sa force et son écho, les indigènes comme les occupants, elle entraîne également de la part de ce dernier une forte répression qui donne lieu à plusieurs arrestations et déportations.

          Autre action populaire, mais sans conséquence, l’important rassemblement des Basques en avril 1943 à la gare de Bayonne, contre l’occupant et sa politique de réquisition d’hommes pour le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) et pour l’organisation Todt, mobilise l’opinion et alerte la population sur ces véritables déportations de jeunes vers              « l’esclavage »1. Entre temps, un autre regroupement (de femmes cette fois) avait tenté de bloquer sans succès un convoi ferroviaire en octobre 1942 de déportés politiques et de résistants communistes récemment arrêtés au Boucau.

          A présent, si ces actes sont menés essentiellement par de citadins dans la région de Bayonne ou de Saint-Jean-de-Luz,  dans l’arrière- pays, à Cambo notamment, nous pouvons relever le même type de comportements. En 1942, dans cette ville, la violente agression d’élus locaux et de quelques soldats allemands devant la mairie par une foule incontrôlable, suite à l’affichage des listes de requis pour les travaux de l’organisation Todt, reflète le mécontentement des habitants et leur refus des occupants.

        A Biriatou, près de la frontière, deux corps d’évadés du réseau Comète, noyés dans la Bidassoa après leur tragique tentative d’évasion, sont exposés le 27 décembre 1943, à titre d’exemple, par les douaniers nazis sous le porche d’entrée de l’église. Au lieu d’effrayer les habitants, cette mesure produit l’effet inverse, puisqu’en quelques heures, les deux hommes sont recouverts par des centaines de fleurs déposées par les villageois qui, malgré l’interdiction, rendent ainsi un modeste hommage au sacrifice de ces deux résistants.

      A la fin de la guerre, malgré la nervosité et la répression allemandes, beaucoup de combattants ou de simples patriotes se risquent enfin à provoquer l’occupant ou à manifester leur refus de l’ordre établi. Cela se traduit le 14 juillet (date symbole) par la mise en place de drapeaux tricolores au sommet d’une cheminée de Forges de l’Adour par Charles Castaings et par le bariolage aux couleurs nationales du pont de l’école des Forges et de l’avenue Jaurès. De même, en août, peu de temps avant le départ de la Wehrmacht,  plusieurs services administratifs se mettent en grève, les cheminots et les employés des sociétés de transport invitant leurs collègues fonctionnaires (pour gêner la retraite des Allemands) à répondre à l’ordre de mobilisation générale. Au même moment, un milicien distribuant des tracts pour le P.P.F. (Parti Populaire Français) en pleine rue de Bayonne, est par ailleurs abattu par un inconnu qui disparaît dans la foule.

          Qu’ils soient précoces ou tardifs, spontanés ou prémédités, violents ou pacifiques, isolés ou populaires, tous ces actes symboliques d’hostilité à l’égard de l’occupant allemand ont donc tenu une grande place dans l’histoire de la résistance.

          Illustrant l’engagement de la «vraie France» combattante, celle qui refuse dès 1940 la défaite et le nouvel ordre sans forcément prendre les armes et le maquis, ces multiples et régulières manifestations de patriotisme ont donc apporté un soutien décisif aux forces de l’armée de l’ombre en entretenant chez l’ennemi un climat de crainte et de méfiance.

 

¹ Fabas P. « Discours adressé  le 4 mars 1943 à la cathédrale de Bayonne pour les jeunes requis au STO » Aspects de la vie religieuse dans le diocèse de Bayonne, 1905-1965,       Bordeaux, Thèse de l’université de Bordeaux III, 1989, 538 p.

² Vansteenberghe,

 

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