Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.19: LES ÉCHECS.

 

LES PASSAGES EN ESPAGNE: LES ÉCHECS.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°19.

 

 

 

LES PASSAGES EN ESPAGNE: LES ÉCHECS.

          S’enfuir en Espagne en traversant les Pyrénées durant la seconde guerre mondiale représente un réel danger et une véritable aventure.

         Si l’importante surveillance allemande le long des différentes zones frontière reste l’un des principaux obstacles à ces évasions, il faut également prendre en considération les différentes erreurs humaines, volontaires (dénonciations) ou non (manque d’expérience), des passeurs et des évadés, qui peuvent faire avorter ces tentatives et aider en cela l’occupant dans son travail.

        Ainsi, en ajoutant à ces obstacles, les risques naturels d’un franchissement de massifs montagneux, associés à l’hypothèse d’un refoulement par les Espagnols, nous pouvons aisément admettre qu’un tel voyage ne soit pas à la portée de tout le monde et puisse être considéré comme un véritable acte de résistance.

        Evoquer l’histoire d’un fugitif lors de sa traversée des Pyrénées pendant la Seconde guerre mondiale, revient souvent à réaliser un récit d’aventure comparable à une Odyssée. En effet, si les réfractaires à l’ordre nazi espèrent en se lançant sur ces chemins de la liberté échapper aux dangers qui les menacent en France, ils ignorent souvent que sur leurs routes, se dressent de multiples obstacles, plus périlleux les uns que les autres, comme autant de pièges à éviter ou d’épreuves à réussir. Pour bien comprendre ce qu’est le monde de l’évasion, il apparaît ainsi nécessaire de s’arrêter sur ces dangers qui menacent les fugitifs et sur les raisons qui peuvent expliquer les échecs de nombres d’entre eux.

      Comme dans toute activité résistante clandestine, le passage en Espagne par les cols  pyrénéens, qu’ils soient passeurs ou évadés, comporte de nombreux risques. Composante incontournable de cet engagement, leur exposition au danger peut donc entraîner l’échec de la traversée lors des tentatives les moins chanceuses, et dans les pires des cas, la perte d’agents ou de fugitifs.

        Illustration parfaite de cette réflexion, les taux de réussite lors des traversées pyrénéennes fournis par les différentes associations d’anciens combattants (Confédération Nationale des Anciens Combattants Français, Evadés et Internés) ou par des historiens spécialistes de la question (Emilienne Eychenne par exemple), confirment, avec une proportion moyenne d’un échec pour cinq tentatives (soit un taux de 20 % qui correspond à la moyenne nationale et départementale dans les Basses-Pyrénées), la forte incertitude quant à la réussite de ces opérations.

          Toutefois, au-delà des chiffres, il est important d’analyser et de comprendre pour quelles raisons ces tentatives de passage avortent. En synthétisant, nous pouvons évoquer plusieurs types d’explications principalement liées aux actions ennemies, aux erreurs humaines des passeurs ou des évadés, mais aussi aux trahisons et aux accidents involontaires.

          Si l’évasion vers l’Espagne par les Pyrénées est souvent décrite comme une marche vers la victoire, elle demeure particulièrement dangereuse et ce par les seuls contextes du lieu et de l’époque. En effet commettre ce genre d’acte de soustraction à l’ordre totalitaire en place (assimilé à la volonté d’opposition) alors que le pays est occupé par une armée étrangère, avec des libertés réduites et une menace de mort permanente, revient à s’exposer à de considérables risques. Ainsi, dans ce cadre précis, l’expression même    « d’évasion », avec sa connotation délictueuse et clandestine, prend véritablement tout son sens, résumant à elle seule, l’importance et la portée d’un tel choix.

          Présente dans tout le département à partir de novembre 1942, l’armée allemande s’attache à surveiller particulièrement la frontière pyrénéenne, la limite de la zone interdite, l’ancienne ligne de démarcation ainsi que les principaux axes de communication. Ce sont donc, en général, sur ces quatre postes que les risques de se faire arrêter par la Wehrmacht sont les plus grands. Principales zones à risques et plus délicates épreuves  à surmonter, ces lignes de contrôle successives ne représentent pourtant pas les premiers obstacles des réfractaires en route vers la péninsule ibérique.

         Se rendant généralement par le train jusqu’à Dax ou Pau, beaucoup de ces candidats à l’évasion n’arrivent pas, en effet  à franchir la première épreuve des contrôles de police allemands dans les gares ou pendant le voyage. Repérables de loin par leurs airs de voyageurs étrangers ou leurs tenues « d’apprentis montagnards », ces personnes attirent rapidement l’attention des agents qui, par différents indices, devinent facilement leurs destinations et leurs intentions. Ainsi, beaucoup de fugitifs échouent dès leurs premières heures d’évasion, avant même d’avoir vu les montagnes pyrénéennes.

         Cependant, ces opérations étant trop aléatoires, les Allemands concentrent leurs efforts sur les zones frontalières. Directement ou indirectement, l’essentiel des échecs répertoriés s’explique donc par cette surveillance, ou du moins par cette présence de forces ennemies sur les zones susceptibles d’être empruntées par les réfractaires. Contrôlant tous les sites habituels de passage de frontières, la Wehrmacht et la Grenzeschutz (douane) quadrillent les zones montagneuses avec une série de postes de surveillance au niveau des cols, dans les villages frontaliers, au départ des sentiers, sur les ponts et à l’arrivée des principaux axes de communication. Si nous considérons également entre ces points de surveillance, les rondes des multiples patrouilles (changeant régulièrement d’horaires et d’itinéraires), et les vols d’avions espions qui renseignent les troupes au sol sur les positions des caravanes, nous pouvons admettre que ce système de surveillance permanent puisse effrayer de nombreux candidats et inciter les plus déterminés à faire appel à de véritables spécialistes pour ces missions : les passeurs.

         Facilitant la traversée des candidats, ces guides deviennent rapidement, et peut-être plus encore que les évadés, les cibles privilégiées des nazis. Les obstacles précédemment évoqués n’ont, en effet, que peu de résultats face aux ruses et aux compétences de ces montagnards. Les Allemands doivent donc adopter un nouveau système de répression (tout en maintenant l’ancien) beaucoup plus efficace et actif. Basée sur la réalisation d’embuscades (celle du col des Moines le 31 juillet 1943 fait par exemple de nombreux morts et blessés à partir du renseignement d’un avion espion) et de pièges tendus par la Sicherheit Polizei (police secrète), cette méthode consiste à envoyer de faux candidats à la solde des nazis, provoquer et démasquer les éventuels passeurs ou agents d’évasion. Roger Launé est par exemple, l’une de ces victimes tombées par manque de méfiance, à cause d’un moniteur des Jeunesses d’Europe nouvelles (mouvement collaborationniste) qui prétend vouloir passer en Espagne. A Hendaye, au café Humbert, c’est un Allemand déguisé et souhaitant franchir la Bidassoa en barque, qui entraîne la mort d’un couple de cafetiers. Les exemples de réseaux ainsi démantelés sont également très nombreux, les agents nazis remontant toutes les chaînes d’évasion : plusieurs moines de l’abbaye de Bellocq (haut lieu d’évasion) sont, par exemple, déportés à cause d’un espion infiltré dans le réseau, tout comme les familles Troïtino ou Lalhèves de Lhers en Aspe.

        Souvent aidés par les forces collaborationnistes françaises (Milice, Légion des Volontaires Français), les Allemands parviennent également à corrompre et à retourner quelques passeurs. Le cas le plus connu reste celui de  del Estai: ouvrier espagnol qui travaille en temps normal dans les chantiers d’altitude en Ossau. Ce passeur occasionnel livre en effet aux Allemands contre récompense et à plusieurs reprises, des convois entiers et nombre de ses contacts dans la résistance. En Aspe, c’est un guide de Sarrance qui, après avoir épuisé ses protégés, les abandonnent en pleine montagne, soit disant près d’un village espagnol, qui s’avère être en réalité Sainte-Engrâce où attendent les Allemands.

        Cependant, si l’occupant réussit par différentes méthodes, plus ou moins actives, à gêner les passages, il est souvent aidé dans son travail par des dénonciateurs et des fautes d’évadés ou de passeurs.

         Selon un vieil adage, il n’y a pas de police sans mouchards. Pourtant, si les dénonciations semblent avoir grandement facilité la tâche des agents allemands, elles restent malgré tout relativement rares et résultent dans la majorité des cas de simples jalousies ou de pures méchancetés. C’est pour l’une de ces raisons qu’une femme de chambre travaillant à la Gestapo de Saint-Jean-de-Luz, dénonce, par exemple, en décembre 1942 deux familles juives postulant au passage (ces dernières tombent dans un piège après s’être fait voler leurs affaires par des passeurs informés des plans allemands). Parfois, les motifs des dénonciations sont encore plus étranges. Ainsi, nous avons retrouvé l’histoire d’un passeur d’Eaux-Bonnes, M Laguna, qui est trahi, en mai 1943, par jalousie et déception sentimentale. Toutefois, les dénonciations les plus choquantes (du moins, s’il est possible de graduer cette forme de lâcheté) restent sans doutes celles qui ont pour origines l’avidité et la convoitise. Nous connaissons, par exemple, des cas de passeurs vendus aux Allemands à cause de rivalités professionnelles datant d’avant- guerre ou simplement pour évincer un concurrent devenu trop dangereux. Le pire est sûrement atteint lorsque des passeurs souhaitant obtenir le monopole économique sur ces marchés, (l’évasion reste une manne particulièrement lucrative pour certains), éliminent de cette manière leurs concurrents, surtout si ces derniers travaillent bénévolement ou pour de symboliques rémunérations.

         Si ces trahisons influent sur le nombre d’arrestations, l’essentiel des pertes de convois ou de passeurs dépend de fautes ou d’imprudences humaines. Souvent, ces dernières sont le fait de passeurs inexpérimentés ou maladroits. Dans beaucoup de cas, le seul fait de ne pas accompagner les évadés jusqu’au bout (en territoire espagnol), en les laissant soit disant à quelques centaines de mètres de la frontière, sans repères ni connaissances de la montagne, provoque de véritables tragédies. Les fugitifs ne comprennent pas toujours les consignes du guide ou les interprètent de mauvaise manière, la seule appréciation d’une distance pour un non initié, pouvant poser de graves problèmes. L’exemple d’un joueur de rugby palois qui envoie un client tchèque avec de mauvaises indications vers un poste allemand est particulièrement significatif.

        Enfin, il arrive que ces guides commettent de véritables fautes professionnelles en se trompant de chemins, en prenant des personnes inaptes, physiquement ou mentalement, à cette épreuve ou en ne tenant pas compte des conditions météorologiques. Il est même arrivé qu’un ouvrier passeur d’Artouste, après avoir trop bu, clame haut et fort dans un café de Laruns fréquenté par les Allemands : « Demain, je passe en Espagne ! ».

Col des Moines

        Toutefois, si la majorité des passeurs reste malgré tout sérieuse et consciente des dangers, il n’en est pas toujours de même avec les candidats. Ceux-ci multiplient régulièrement les imprudences et les fautes plus ou moins volontaires, L’exemple le plus connu, mais aussi le plus tragique, est celui de l’importante caravane (plus de quarante évadés) rassemblée par un passeur bien connu en Ossau, George Sarrailh, en juillet 1943. Composé de personnes de tous âges et de toutes conditions physiques, le convoi arrive au ralenti, après plusieurs jours de marche (ses membres se sont épuisés dans l’ultime ascension), sur les pentes du col des Moines. Les deux guides se méfiant de ce passage trop rapide et facile d’accès, ainsi que du survol le matin même d’un avion mouchard, décident de prendre une voie plus longue et plus difficile, mais plus sûre par le col d’Astun. Face au tollé général que suscite cette décision et à l’épuisement total de quelques marcheurs, les guides doivent adopter la solution la plus rapide pour satisfaire leurs protégés. Arrivés au col, les guides peuvent enfin laisser les évadés et repartent vers la vallée alors que ces derniers, maintenant libres, redescendent vers les plaines espagnoles. Cependant, après quelques minutes de marche, les réfractaires tombent dans une embuscade ennemie. Faisant deux morts et plusieurs blessés, cette dernière entraîne l’arrestation de tous les fugitifs, mais aussi dans un second temps, l’arrêt des passages par ce col, le bruit de cette affaire ayant définitivement fait prendre conscience aux Ossalois du danger de cette zone. Exceptionnelle par son déroulement et par l’importance de ses conséquences, cette histoire reste malgré tout l’illustration type d’échecs liés à l’imprudence ou à l’inconscience des évadés.

          Au-delà de ce cas, d’autres erreurs, parfois grotesques et très maladroites sont évoquées par les passeurs. Ainsi, George Sarrailh raconte souvent qu’arrivés en Espagne, les évadés remettent aux passeurs des lettres à poster dans la vallée pour rassurer les familles. Il mentionne que tous ses guides étaient obligés de lire ces courriers et de découper les passages les concernant, des renseignements très précis et très compromettants étant présents dans ces courriers. D’autres passeurs expliquent également qu’ils étaient souvent obligés sur le chemin du retour, de ramasser des déchets et un nombre invraisemblable d’objets abandonnés (autant d’indices pour les Allemands) par les candidats au passage, ces derniers voulant lors des ascension difficiles s’alléger en se débarrassant des poids et des affaires encombrantes, lourdes et inutiles. Parfois, la responsabilité des évadés est directement mise en cause par leur manque de préparation ou d’équipements pour cette épreuve. Les exemples de fugitifs tentant l’ascension de cols en chaussures de ville et petite tenue ne manquent pas. Les blessures en pleine montée à cause de ces erreurs, ralentissent et menacent les convois. Ces derniers s’exposent alors aux patrouilles par leur lente progression ou aux dénonciations dans les cas où les blessés sont abandonnés pour la sécurité du groupe.

         Cependant, toute la difficulté de l’évasion ne réside pas exclusivement dans la surveillance de la zone et dans l’accumulation d’erreurs humaines : le milieu montagnard, à lui seul, représente dans beaucoup de cas un obstacle particulièrement difficile à surmonter.

         Nous l’avons vu, pour des candidats peu préparés, mal équipés et peu conscients du danger, la traversée peut vite se transformer en calvaire. Si s’ajoutent à ces contraintes, des accidents de parcours, l’évasion tourne alors au drame. Parfois, ces derniers sont dérisoires. Il suffit lors d’une petite chute de perdre ou de casser ses lunettes comme c’est le cas pour M. Poniatowski, de se tordre une cheville ou de se luxer une épaule, pour compromettre non seulement sa propre fuite, mais aussi celle du convoi tout entier. Il arrive également que ces incidents soient plus graves. Nous connaissons, par exemple, l’histoire près du pic de Gazies, en vallée d’Ossau, de deux évadés qui, lors de leur ascension, chutent sur un névé et se blessent très sérieusement. L’évadé le moins touché des deux réussit à redescendre dans la vallée pour donner l’alerte. Pris par les Allemands, il parvient cependant à faire secourir son camarade, une caravane partant à son secours peu de temps après. Parfois, il est même arrivé que face à des dangers plus conséquents, les fugitifs maintiennent leurs projets, leur soif de liberté étant bien plus grand que leur peur. Ainsi, en hiver 1943-1944, M Kauffman raconte qu’avec son compagnon, ils se sont perdus en pleine tempête de neige aux pires jours de l’hiver, alors que tous les sentiers sont déjà recouverts et impraticables, (leurs propres vêtements sont dès le départ trempés et enneigés).

      D’autres exemples de drames liés aux conditions atmosphériques ou aux franchissements d’obstacles particulièrement difficiles en montagne hantent encore les vallées béarnaises et basques. Ceux du passeur retrouvé mort de froid dans un cayolar, des juifs abandonnés en pleine forêt d’Iraty ou des évadés morts noyés dans la Bidassoa, sont encore présents dans beaucoup de mémoires.

        Ces obstacles humains ou naturels franchis, la « liberté » espagnole atteinte, il reste un ultime danger et une dernière occasion de voir sa tentative d’évasion échouer. Elle dépend de l’attitude des garde- frontières espagnols. Se contentant de refouler au début de la guerre les évadés pris sur la ligne frontière, ces derniers, avec l’invasion de la zone non occupée par les Allemands, se mettent à livrer à l’occupant des convois entiers de fugitifs. Cette complicité dépend toutefois des régions, de l’époque et du type d’évadés. Les juifs sont par exemple plus fréquemment livrés que les aviateurs alliés.

         Nous pouvons donc constater que l’évasion par les Pyrénées vers l’Espagne durant la Seconde guerre mondiale n’est pas une mince affaire. Traqués par l’occupant depuis les gares jusqu’aux sommets des massifs, vendus par des traîtres, les fugitifs doivent affronter lors de leurs épopées les dangers de la montagne, de ses habitants et de l’ennemi.

         Aventure périlleuse et souvent incertaine, la seule tentative de traversée peut donc être assimilée à un véritable acte de résistance.

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