Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.11: Le réseau « Comète ».

 

 

« COMÈTE »: « LE RÉSEAU DES DAMES »

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n°11.

 

 

 

« COMÈTE »

        « LE RÉSEAU DES DAMES »

     Avec plus de mille cinq cents collaborateurs répartis dans toute l’Europe, le réseau Comète¹ peut être considéré comme l’un des plus importants mouvements clandestins d’évasion opérant en zone basque.

     Marqué par quelques grandes figures de la résistance nationale ou locale, tels Andrée de Jongh, Kattalin Aguirre, les de Greef ou Florentino Goïkoetxea, il reste avant tout le cadre de lutte d’une armée de volontaires anonymes qui, en participant à ces évacuations vers l’Espagne, contribuent à leur manière à la défaite des nazis. Toutefois, une caractéristique semble différencier au niveau de ses éléments, cette structure des autres organisations de l’armée de l’ombre : l’importante place des femmes à tous les postes du réseau, des simples intermédiaires aux puissants responsables de secteurs.

     Organe clandestin emblématique au Pays basque, le réseau Comète (fiche 17) se démarque des autres organisations d’évasion par l’importance de son activité, par les distances (fiche 4) qu’il fait parcourir à ses protégés, par son bilan, mais également par l’effectif (fiche 6) qu’il sollicite. Particularité et intérêt de l’étude de ce mouvement nous connaissons en détail la structure humaine, la hiérarchie nationale et locale, ainsi que les différents agents ou intermédiaires qui jouent un rôle plus ou moins essentiel dans le fonctionnement de la ligne.

      Selon plusieurs sources, le nombre total de collaborateurs impliqués dans ces évacuations s’élève à près de mille cinq cents personnes. Parmi ces dernières, originaires de toutes les nations traversées par la chaîne, Belges (de Belgique ou réfugiés en France), Français (des Picards aux Basques), Espagnols, Britanniques, nous devons dans le cadre de notre examen des volontaires de Comète, faire une distinction entre les principaux responsables et les simples agents, tout en concentrant cette analyse sur un espace précis : le Pays basque.

      Nous trouvons tout d’abord à la tête de l’organisation (du moins durant une grande partie de la guerre), le père de la fondatrice du mouvement, Frédéric de Jongh (fiche 20), qui dirige depuis Paris les opérations entre la Belgique et le sud de la France. A ses côtés, pour assumer cette considérable tâche, son adjoint, Jean François Nothomb (fiche 18), dit Franco, (également guide vers les Pyrénées) se charge des contacts et des relations avec le consulat britannique de Bilbao et les responsables du secteur sud. Au-delà de ces deux cadres, le reste des principaux agents et des responsables (principalement dans la zone Sud et au Pays basque) est en grande partie composé de femmes, ce qui lui vaut après-guerre le surnom de « réseau des Dames ».²

      Une telle caractéristique trouve une parfaite illustration dans l’action et l’engagement d’Andrée de Jongh (fiche 17). Jeune et fragile citoyenne belge, le Petit Cyclone ³ (surnom donné par son père) organise en mai 1941 la future escape line4 Comète, après un premier voyage à Saint-Jean-de-Luz. Partie avec l’intention de prendre des contacts et d’établir une voie d’évasion à travers les Pyrénées jusqu’à San Sébastien, elle trouve l’un de ses plus sûrs et importants relais à Anglet, chez une famille de réfugiés belges : les de Greef.

      Avec l’aide de son mari, interprète à la ville d’Anglet et pour la Gestapo à l’hôtel d’Angleterre, et malgré sa famille et sa notoriété, Elvire de Greef,  alias Tante Go (son surnom dans la clandestinité)5, devient rapidement l’un des piliers du futur réseau et de nombreux autres mouvements d’évasion au Pays basque (fiche 31). Elle organise dans un premier temps avec Mlle de Jongh la mise en place des principales étapes pyrénéennes de la chaîne et les relais qui permettent aux évadés de gagner le plus facilement possible la frontière. Cet engagement, à la fois précoce et entier, l’amène peu de temps après à prendre en charge la direction du secteur Sud pour lequel elle assure déjà une partie de l’hébergement et de l’assistance des fugitifs. Dirigeant les agents et les guides sur cette partie de la ligne, faisant converger vers son domicile une part importante des « enfants »6, elle est toutefois contrainte face aux multiples exigences de telles responsabilités de s’entourer de plusieurs adjointes. Dans les rangs de ces dernières, nous trouvons notamment les deux filles de l’ancien Maire d’Anglet, (M Domain est en 1940 à la tête du seul conseil municipal du Font Populaire des Basses-Pyrénées avant d’être limogé par le gouvernement de Vichy sous l’occupation), Mmes Domain et Lagneau qui fournissent à la résistance, et à Comète en particulier, de nombreuses cartes d’alimentation et des laissez-passer qui facilitent le ravitaillement des évadés ainsi que les déplacements dans les régions frontalières près de Saint-Jean-Pied-de-Port ou Urrugne.

      Au-delà de ses postes intermédiaires angloys, le réseau est également présent au plus près de la frontière avec toujours en première ligne l’action de femmes. Parmi ces dernières, nous devons tout d’abord évoquer l’engagement de Kattalin Aguirre (fiche 12). Veuve de guerre et grande résistante, cette combattante acharnée est en contact dès le début du conflit avec plusieurs réseaux qui profitent de ses nombreuses relations auprès des réfugiés espagnols pour faire passer des fugitifs. Aidée de sa fille et de son amie Gracie Ladouce, Kattalin accompagne également souvent elle-même ses protégés sur la route d’Urrugne, prétextant à la tombée de la nuit un «rendez-vous galant avec un jeune homme»7 (qui s’avère être en réalité un pilote allié ou agent secret) pour échapper aux contrôles allemands et au couvre-feu. Elle conduit ainsi régulièrement des fugitifs après les avoir hébergés chez elle au contrebandier – passeur Florentino Goïkoetxea (fiche 10) qui les guide jusqu’à la ferme de Bidegain-Berri (à Urrugne), chez Frantxia Usandizaga. Là, ils se restaurent légèrement et attendent le départ pour l’ultime étape montagneuse vers la Bidassoa et Oyarzun.

       Cependant, diverses arrestations bouleversent rapidement cette organisation (notamment celles d’Andrée de Jongh et de Mme Usandizaga (fiche 20). Le réseau Comète est donc contraint de renouveler ses effectifs et de faire rentrer dans le mouvement de nouveaux volontaires. Là encore, une forte féminisation des éléments se fait sentir. A présent, si ces « Dames du passage »8 jouent un grand rôle dans les évasions du secteur basque, de nombreux autres volontaires sont tout aussi essentiels par leurs engagements dans toute l’Europe.

      Ainsi, en Espagne, à Saint-Sébastien, le travail de M Aracama qui accueille et dirige les fugitifs jusqu’au consulat britannique de Bilbao doit être souligné. De même, entre la Belgique et la péninsule ibérique, plusieurs autres résistants se relaient pour escorter, assister ou ravitailler les traqués lors de leurs traversées des deux pays (sur la Somme, Nénette Boulanger assure par exemple des traversées régulières en barque à Corbie pour le franchissement de la première Ligne Interdite du parcours).         

      Toutefois, si le voyage depuis la zone de crash pour un pilote, jusqu’à la gare de Bayonne peut s’effectuer en deux ou trois jours dans les meilleurs contextes (grâce au train), une fois arrivés au Pays basque, il faut souvent à ces évadés patienter de longues journées et attendre la constitution d’un convoi ou des conditions favorables de passage. Cela explique sûrement le nombre important d’agents dans notre département. Ces derniers œuvrent principalement pour l’hébergement, le ravitaillement ou l’escorte en dernier lieu jusqu’aux passeurs. Parmi ces réfractaires, nous devons ainsi mentionner à Anglet la propriétaire du restaurant Larre, Marthe Mendihara (son mari Antoine est prisonnier de guerre en Allemagne), qui cache et ravitaille à de très nombreuses reprises des pilotes et des soldats belges ou britanniques. Elle prend pour cela de très grands risques, puisque les Allemands viennent régulièrement chez elle pour manger ou se reposer. Il en est de même pour les Lapeyre qui ne doivent leur survie qu’à une erreur de la Gestapo qui se trompe d’étage lors de leur interpellation.

      Enfin, dans cette zone côtière, toute une foule « d’intermédiaires » ou d’agents occasionnels participe à son niveau et avec ses moyens à ces évasions. C’est notamment le cas d’Henri Claverie qui fournit et entretient les vélos utilisés par les « voyageurs » venant de Dax, ou de Léontine  Danglade qui officie en tant qu’agent de liaison entre Mme de Greef et les autres membres de la région. A Biarritz, M. Hauzeur-Houget a la lourde et ingrate responsabilité de s’allier aux Allemands pour obtenir des informations, notamment sur les arrestations d’agents. Reste enfin des acteurs plus ou moins décisifs comme le docteur Speraber (fiche 30) qui soigne les blessés, comme les Muruega (logeurs et agents de liaison), les Urtado, les Ayarçabal, les Larressore ou encore les hommes de la brigade de gendarmerie de Saint-Pierre d’Irube qui doublent la surveillance allemande lorsqu’on annonce un passage.

      Il est ainsi possible de poursuivre cette liste. De nombreux autres anonymes ont, en effet, « apporté leurs pierres à l’édifice » en guidant, hébergeant, renseignant ou simplement en approuvant et en ne dénonçant pas ces activités clandestines.

                Réseau de dévouement et de sacrifice, Comète réussit pendant le conflit à évacuer vers la liberté par la zone basque plus de huit cents pilotes et un nombre bien plus conséquent d’agents et de soldats alliés. Donnant à cette organisation un véritable prestige et des fondations solides, ces résultats lui permettent malgré les nombreuses arrestations (plus de deux cent quatre-vingt-six) et les coups durs, de poursuivre son œuvre et de toujours passer au-delà des difficultés, quels que soient le contexte et les pertes.

      Toutefois, si une telle épopée peut voir le jour en cette sombre période, il ne faut pas oublier que c’est surtout grâce l’action désintéressée, patriote et décisive de quelques cadres et de cette armée de volontaires qui composent le cœur, l’âme et la force de cette escape line.9.

 

¹ Sud-Ouest, 20 avril 1993, «  Le passage des Dames »

²  Idem

³ Aberasturi de  J-C-J. En passant la Bidassoa, Biarritz, J et D éditions, 1996, 183 p.

« Ligne d’évasion ». Eychenne E., Les fougères de la liberté, Toulouse, éditions Milan, 1987, 339  p.

Aberasturi de  J-C-J. En passant la Bidassoa, Biarritz, J et D éditions, 1996, 183 p.

6 Idem

1 Sud-Ouest, 18 juin 1972 « Kattalin simulait des promenades sentimentales pour faire passer des aviateurs en Espagne ».

Sud-Ouest, 20 avril 1993 « Le passage des Dames »

« Ligne d’évasion », Eychenne E., Les fougères de la liberté, Toulouse, éditions Milan, 1987, 339  p.

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