Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

LAULHE Benoit. Réseaux. Passages. Passeurs.10: Goïkoetxea, passeur de légende du réseau Comète.

 

Fiorentino Goïkoetxea: le passeur de légende du réseau Comète.

Benoit LAULHE – La Résistance dans les Basses-Pyrénées – Master U.P.P.A. – 2001 –

Fiche n° 10.

 

 

 

FIORENTINO GOÏKOETXEA
LE PASSEUR DE LÉGENDE DU RÉSEAU COMÈTE.

     Si les passeurs sont souvent critiqués pour leurs attitudes pendant l’occupation, beaucoup d’entre eux ont un comportement exemplaire et se conduisent en véritables résistants. Grande figure de l’évasion au Pays basque, Fiorentino Goïkoetxea fait partie de ces hommes courageux, désintéressés et loyaux qui servent la cause de la liberté durant tout le conflit.

      Cependant, si la « légende » de ce Basque espagnol est véritablement née à la fin de la guerre à partir de son impressionnant bilan, son engagement et son combat dans l’organisation Comète, dont il devient l’un des piliers et le passeur de référence, restent sûrement les actes qui ont le plus marqué l’histoire du passage dans les Basses-Pyrénées.       L’évasion pendant la seconde guerre mondiale a longtemps été perçue comme une activité discrète et confidentielle, ses principaux acteurs, les passeurs (fiche 7), restant à la libération dans l’ombre des grands responsables de réseaux ou des agents (fiche 6) des services secrets alliés. Pourtant,  indispensables en tant que spécialistes de la montagne et des zones de passage (fiche 4), ces guides, par leurs engagements, leurs dévouements et leurs prises de risques montrent qu’ils ne sont pas comme beaucoup le pensent, de simples montagnards qui profitent de la situation et avides d’argent (fiche 8), mais des résistants à part entière qui utilisent leurs atouts et leurs connaissances des zones frontalières pour lutter contre l’occupant et servir les alliés.

          Si nous pouvons dénombrer plus de cent cinquante passeurs ou agents d’évasion qui opèrent pendant le conflit dans le département des Basses-Pyrénées, seuls quelques grands noms comme ceux de Sauveur Bouchet (fiche 7), Michel Olazabal ou Lambert Blasquiz sont restés dans la mémoire des Béarnais et des Basques. Parmi ces illustres résistants, un homme semble toutefois avoir particulièrement marqué la zone côtière basque par son dévouement,  son courage, mais surtout par les honneurs et les décorations qu’il reçoit après-guerre : Florentino Goïkoetxea.

     Fils de montagnards basques espagnols, ce mythe de l’armée de l’ombre ne bat pas pendant l’occupation de records de traversées, ni réalise d’exploits. Par sa simple régularité dans les opérations, sa robustesse et la longévité de son action, il grave pourtant son nom dans la grande légende des passeurs et marque durablement le monde souterrain et obscur de l’évasion.  D’une allure physique imposante, avec une endurance exceptionnelle pour son âge (il a quarante-trois ans en 1941), ce paysan d’Ernani, passionné de chasse, se livre très jeune à des activités de contrebande avec la France. Arrêté par la Guardia Civil au début de la guerre d’Espagne à Alzueta, pour un engagement dans le camp des républicains que quelques historiens contestent, il réussit à s’évader lors d’un transfert (après avoir obtenu l’autorisation de s’arrêter dans le village de son frère pour l’informer de sa situation) et parvient à franchir illégalement la frontière en 1936 avant de s’installer à Ciboure.

     Sans travail, il reprend à partir de cette base son activité de contrebandier qu’il exerce jusqu’au déclenchement de la Seconde guerre mondiale. C’est à ce moment-là qu’il se lie d’amitié avec Kattalin Aguirre (fiche 12) qui devient quelques années plus tard son associée (lors des évasions de pilotes alliés), mais aussi avec de nombreuses autres personnalités de la résistance locale et nationale qui voient en lui un excellent montagnard, un colosse respecté, mais surtout un homme discret et loyal. Parmi ces différents contacts, plusieurs responsables de réseaux d’évasion (Margot (fiche 31), Nana (fiche 13) ou Démocratie (fiche 11)  sollicitent ses services pour faire passer en Espagne des agents, des soldats ou des courriers (2). Se forgeant ainsi par ces premières évasions une solide réputation dans la clandestinité, Florentino Goïkoetxea devient donc grâce à son courage, à sa rigueur et à son efficacité l’un des passeurs les plus sûrs et les plus demandés du Pays basque.

          Cependant, si ce guide hors du commun réalise avec succès son début de carrière pour divers mouvements français et anglais, c’est avec une organisation belge, le réseau Comète (fiche 17), qu’il obtient sa véritable consécration et une immense notoriété. Contacté par l’agent espagnol de la ligne (Bernardo Aracama), il est présenté en 1941 à la fondatrice du mouvement (Andrée de Jongh (fiche 11)  qui, après s’être séparée d’un guide trop exigeant et dangereux, recherche un passeur sûr capable d’assurer des traversées à un rythme assez soutenu, avec un maximum de garanties pour les évadés.

             Faisant confiance à cet homme rude et solide d’apparence, Andrée l’engage et le met rapidement à contribution. Chaussé d’espadrilles, le pas assuré et rapide, il mène à partir de cette période et jusqu’à la fin de la guerre les fugitifs pris en charge par la « Dédée line » ¹.  Guidant des groupes de huit à dix personnes, il accompagne ainsi par tout temps et quel que soit le contexte, les pilotes alliés ou les agents secrets, à partir de Ciboure (4) ou de la ferme Bidegain-Berry (fiche 20), jusqu’au point de passage en Espagne où le dernier agent de la ligne les récupère afin de les conduire jusqu’au consulat britannique de Bilbao.

        Pour les enfants ² de Comète, la dernière étape en France reste très dure et épuisante, puisqu’il s’agit d’accomplir entre trente et trente-cinq kilomètres, de nuit, en montagne, par des chemins escarpés, avec à peine un ou deux relais permettant aux candidats au passage de se reposer et de se restaurer. Ce périple se termine en général au bord de la Bidassoa (fleuve frontalier). Choisissant un passage au bord d’une cuvette boisée et rarement surveillée (avant la ferme Lirarlan), Florentino fait traverser à gué ses protégés jusqu’à la rive espagnole avec, les jours de forts courants ou de niveau montant, un franchissement sur ses propres épaules des aviateurs ou des soldats en fuite (une prolongation de plusieurs heures est toutefois nécessaires les jours de crues). Lorsque les évadés sont pris en charge en territoire ibérique, sa mission accomplie, il repart seul en ramenant, non plus des hommes, mais du courrier des services secrets alliés destiné aux réseaux (fiche 1) qui lui est remis à la frontière par un émissaire de Londres.

     Cependant, seule escorte pour certains convois, il est en général accompagné pour les plus conséquents ou risqués de Kattalin Aguirre (fiche 12), de sa fille, mais aussi d’Andrée de Jongh ou de Jean François Nothomb (avant leurs arrestations (fiche 18). Mme Uzandisaga (fiche 11) assure en dernier lieu l’hébergement et le ravitaillement dans sa ferme à Urrugne.

     Florentino Goïkoetxea réalise ainsi pour le seul réseau Comète plus de deux cent-vingt- sept « sauvetages » d’aviateurs anglais, mais aussi français, australiens, belges, canadiens… (ce chiffre émane des services britanniques qui comptabilisent avec précision le nombre de sauvetages de ce passeur). Toutefois, au-delà des passages réalisés pour cette chaîne, il est impossible de dire avec exactitude combien de personnes sont sauvées par ce guide durant le conflit Son entourage évoque toutefois un minimum d’un millier d’évacuations, ce qui donne une idée de son efficacité.

        De même, il faut souligner le fait que son action dans la résistance ne connaît pratiquement aucun échec. Son seul accrochage³ (fiche 18) sérieux avec les Allemands, en juillet 1944 (après que Comète eut cessé ses activités), aboutit à son arrestation. Blessé lors d’une course, il est en effet capturé et conduit à l’hôpital de Bayonne d’où un commando, regroupant plusieurs grands résistants de la côte basque, le fait évader pour le soigner à l’abri de la Gestapo dans une maison biarrote jusqu’à la libération.

         Modèle de courage et de dévouement, Florentino Goïkoetxea illustre donc parfaitement ce que sont les véritables «passeurs résistants» pendant la Seconde guerre mondiale. Se désintéressant totalement de l’argent, il ne cesse par son engagement et son action de défendre son idéal de liberté, tout en refusant l’occupation et en luttant à sa manière contre le fascisme.

Très honoré et décoré après-guerre, il reçoit notamment la King’s Medail of Courage des mains du roi George VI, mais aussi l’Ordre de Léopold avec palme des Belges. Les médailles de la Libération, de la Résistance, de la Légion d’Honneur (ainsi que plusieurs autres titres de différentes nationalités) lui sont également attribuées pour son combat en France et aux côtés des alliés.

¹ Dédée line : surnom donné au réseau en hommage à sa fondatrice. Cf.  de Aberasturi, En passant la Bidassoa, Biarritz, J et D éditions, 1996, 183 p.

² de Aberasturi J-C-J.  En passant la Bidassoa, Biarritz, J et D éditions, 1996, 183 p.

³ « Passeur de 227 aviateurs alliés, Florentino Goïkoetxea chevalier de la Légion d’Honneur 33 ans après » Sud-Ouest, 3 juin 1997

Désolé, les commentaires sont fermés pour cet article.