Association  BPSGM          Les Basses Pyrénées dans la seconde guerre mondiale         64000 Pau

Juin 1940. Exode, de la Normandie à Bilhères d’Ossau.

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« Article extrait du cahier n°16 de l’association « Histoire et mémoire d’Ossau ».

Publié avec l’accord de la famille.

 

 

Mémoire des années quarante  en Ossau

 

Le 21 août 2013, j‘ai rencontré monsieur Gérard Miguet dont la famille d’origine normande est partie devant l’avancée des troupes allemandes en 1940. Il cherchait à retrouver la maison dans laquelle il avait été hébergé avec sa famille de juin à septembre 1940. Dans ses souvenirs, il s’agissait de la dernière maison en haut du village, peut-être la maison Arradet. Monsieur Miguet n’a pu le confirmer et André Arradet n’a pu lever le doute. Ayant sollicité de sa part un récit de ces évènements, il a adressé à notre association le livre « BONSOIR VIEILLESSE » écrit après la guerre par son père.

Le 23 août 2015, je rencontre à Bilhères, monsieur Alain Miguet, neveu de Gérard Miguet, également sur les traces de l’exode de sa famille en 1940. Il a eu des renseignements complémentaires par sa tante Geneviève Rouot née Miguet. Il m’a demandé si Bilhères avait changé de nom car la mémoire familiale avait gardé le nom de « Bilhères Montagne ». Sa tante à qui il avait posé la question, a,  dans un grand éclat de rire, donné l’explication de ce nom. Après l’été passé à Bilhères, la famille a rejoint Pau et a loué une maison à Billère près de Pau (Billères de Béarn dans le passé). Pour les enfants, c’était tout simplement le moyen d’identifier le village dans lequel ils avaient passé un merveilleux été malgré les circonstances. Grâce aux renseignements de Geneviève, nous avons identifié avec une quasi-certitude la maison Casassus, avant-dernière du village comme étant celle où la famille a été hébergée.

Vous trouverez dans les pages suivantes, le récit écrit par Alain Miguet, en accord avec sa tante de 84 ans et un extrait du livre de raison écrit par Alain Dechanday (pseudonyme de Jacques Miguet, père de Gérard et grand-père d’Alain précédemment cités) concernant l’exode de la famille Miguet et de son séjour à Bilhères d’Ossau.

Pierre Trésarrieu-Besincq

Président de l’Association « Histoire et mémoire d’Ossau ».

 

Bilhères, ce village haut perché…

 

Durant l’exode, la famille Miguet, originaire de Normandie, s’est réfugiée à Pau de 1940 à 1942.

Cette période de l’été 1940, si dramatique pour les Français, fut pour moi, paradoxalement, une aventure fabuleuse et passionnante. Petite fille de 8 ans, je ne réalisais pas bien ce qu’était la guerre. Par contre, j’ai été ravie lorsque mes parents sont venus me chercher à l’Institut Orthopédique de Sées (Orne), où ils m’avaient conduite quatre mois plus tôt, lorsqu’on m’avait détecté une scoliose importante.

Quelques jours après mon départ, l’Institut a été bombardé, cinq fillettes et une religieuse ont trouvé la mort…

En plus de mes parents, mes frères Pierre et Gérard, et ma sœur Denise, j’ai retrouvé mes cousins B à l’occasion de cet exode. Nous partîmes à trois voitures en direction du sud en compagnie de l’oncle Gaston ( et sa Citroën C4 ), de Tante Ninie, sœur de Bonne Maman,  de Victor et de Thérèse B. et leurs enfants. Nous étions 14 en tout ! Ce fut une équipée fantastique, pour nous les plus jeunes. Le soir nous couchions chez les braves gens qui voulaient bien nous accueillir, dans des fermes sur le bord de la route. Ou même parfois, lorsqu’il y avait trop de réfugiés, à la belle étoile, dans des champs. Un soir, Pierre alluma une allumette… qui heureusement fut vite éteinte, avant qu’elle ne mette le feu !

Les routes étaient bondées de voitures surchargées comme les nôtres, tout le monde fuyant les Allemands. C’était un spectacle hallucinant mais dont nous ne saisissions pas le côté dramatique, Pierre, Odile et moi. Nous trouvions très amusant de coucher dans des greniers ou dans des champs différents chaque soir et de pique-niquer même frugalement dans la campagne.

Finalement nous finîmes par aboutir dans un petit village pyrénéen, haut perché dans la montagne : Bilhères, où nous fûmes accueillis à bras ouverts. Nous trouvâmes de quoi nous loger dans trois maisons plus ou moins abandonnées avec un confort plus que rudimentaire. Mais que les habitants  pallièrent en nous apportant qui de la vaisselle, qui des couvertures, qui des victuailles, avec une gentillesse incroyable. Nous avons rencontré une solidarité merveilleuse tout au long de ce périple dramatique. Et mes parents sont restés longtemps en correspondance avec plusieurs de ces personnes si généreuses.

Exode Miguet Bombard à Bilhères

 

De plus ce village était merveilleusement situé avec un panorama magnifique. Des ruisseaux qui coulaient de partout, avec un petit bruit de cascade, et le tintement des clochettes des moutons qui paissaient tout autour de nous. Si , pour nos parents, le ravitaillement fut un énorme problème, en plus de l’angoisse et de la précarité de la situation, pour nous les enfants, ces trois mois en pleine montagne, furent les plus belles vacances de notre vie. Je me souviens tout particulièrement des escalades à flanc de montagnes pour couper des rameaux de buis, dont nous faisions des bottes. Que nous faisions ensuite rouler tout en bas. Et qui servaient à nos Mamans pour allumer et entretenir le feu dans les cheminées, où elles nous faisaient tant bien que mal la cuisine.

 

 

Fin septembre, Papa et l’oncle Victor se rendirent à Pau, où ils louèrent des logements plus confortables, avant la rentrée des classes. Nous y restâmes presque deux ans, et, en mars 1942, nous regagnâmes, nous les Miguet, la Normandie, et les B., leur Picardie. Et moi, hélas, toujours à cause de ma scoliose, l’Institut Orthopédique de Sées, où je suis restée jusqu’en 1946, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 14 ans. Cette séparation d’avec ma famille me fut très dure. Car je ne venais en vacances chez mes parents que 15 jours par an. A chaque fois, le retour à l’Institut était très douloureux…

Genevière Rouot, née Miguet

 

 

L’exode

Extrait du livre « BONSOIR VIEILLESSE » de Alain Dechanday (Jacques Miguet), éditions Privat, 1971.

 

Dix mai : fin de la « drôle de guerre », qui par une belle nuit de printemps, cède soudain la place à la guerre tout court.

Sur un front de 400 kilomètres, se déchaîne à la vitesse d’un typhon, comme une tornade d’acier, la formidable ma­chine de guerre allemande.

Les bons Belges, les braves Hollandais sont tout à coup tirés de leur sommeil par un apocalyptique bombardement. Un déluge de feu les réveille dans l’épouvante. Avant qu’ils aient seulement pu reprendre leurs esprits, le Rhin, le canal Albert sont franchis, la forteresse clef d’Eben Emaël conquise par des parachutistes armés de mitraillettes, les lignes de défense néerlandaises et belges forcées par d’innombrables légions motorisées et cuirassées.

Ni la reine des Pays-Bas, ni le roi des Belges n’acceptent le fait accompli. Léopold III, sans phrases, va prendre la tête de son armée, et fait, avec confiance, appel à l’aide des deux immenses empires de France et de Grande-Bretagne, ceux-là même qui « vaincront parce qu’ils sont les plus forts ».

Cinq jours plus tard, il n’y a plus de Hollande ni d’armée hollandaise, et les Allemands, poursuivant leur avance in­vincible avec la régularité d’un mouvement d’horlogerie, ont déjà pénétré en territoire français, occupant Sedan.

Sedan ! Deux syllabes qu’un Français n’entend jamais sans un serrement de cœur. Nom fatal, aux résonnances inex­primables, qui sonne comme un glas dans nos consciences. Cité maudite, qui n’évoque dans les âmes françaises que d’affreuses visions de déroute, que l’implacable amer­tume de notre défaite.

Ville qui fut, pourtant, longtemps glorieuse. Berceau des Turenne, forteresse de nos rois, qui l’avaient reconstruite à leur image, imprimant à la vieille cité militaire cette froide majesté, cette sobre grandeur dont nous avons perdu le se­cret. Tout cela, pour devenir un jour le cadre de notre écra­sement par la Prusse en marche vers sa fulgurante ascen­sion…

Ce n’est qu’en juillet 1939 que le hasard de mes tournées avait amené mes pas jusqu’à Sedan, en compagnie d’un de mes neveux que j’étais chargé d’initier au métier. Nous des­cendîmes du train par une pesante après-midi d’été, et tout en gagnant la petite ville, le long d’une interminable avenue toute somnolente, je regardais avec une sorte d’anxieuse avi­dité le vaste paysage, tout baigné de lumière, qui s’offrait à nos yeux. A travers d’immenses pâturages, la Meuse dérou­lait ses longs méandres. Assez loin, fermant l’horizon, des collines boisées. « C’est de là-haut, me disais-je, c’est sous le couvert de ces forêts que les armées allemandes ont si­lencieusement refermé la nasse, le gigantesque filet sous le­quel l’armée française succomba, après deux mortelles jour­nées d’inutiles soubresauts. C’est ici, le 4 septembre 1870, que la France commença à décliner, que l’Allemagne com­mença sa marche de puissance mondiale. Et dire qu’à Paris – inconscients de l’heure fatidique qui venait de sonner au cadran de l’Histoire – des nains, des députés républicains, oubliant la France pour ne penser qu’au régime, se réjouis­saient, et prononçaient la fameuse phrase : « les armées de l’Empereur sont battues ! »

Juillet 1939 ! C’était un « climat » pour voir Sedan ! Les dés roulaient déjà, et tout un appareil militaire réveillait à nouveau la léthargie de la sinistre petite ville. Les rues grouillaient de soldats. Des sentinelles veillaient, jour et nuit, sur les ponts. Pourquoi ne pas avouer mon rêve ab­surde ? Cette guerre que je voyais revenir depuis tant d’an­nées, je me disais qu’on allait peut-être la gagner ? Cette ligne Maginot qu’on ne voyait pas, mais qu’on savait toute proche, je me la représentais comme un invincible et mysté­rieux bouclier. Et dans mes folles divagations, rêvant tout éveillé, je pensais : « Qui sait ? C’est peut-être ici même, dans ce Sedan fatidique, que l’Allemagne à son tour trouvera la défaite ? » Car telles étaient les nuées dont nous nous nourrissions…

Mai 1940. Après nous avoir laissé mijoter de longs mois dans notre inconscience et notre « drôle de guerre », le 10, à son jour, à son heure, l’Allemagne commence la guerre. Et nous commençons – Dieu nous pardonne ! – à nous frot­ter les mains. Comme eût dit Déroulède : « On les guette, on les attend ! » Donc, nous nous frottons les mains. Mais pas pour longtemps. Alors que nous imaginons encore les armées belge et néerlandaise reculant pas à pas et faisant des hécatombes dans les rangs ennemis, le communiqué du 15 mai au soir jette, sur nos illusions, un nom : Sedan !

Quatre jours après avoir franchi les frontières belges, l’armée allemande a déjà atteint le territoire français, et précisément à Sedan. A l’énoncé d’un tel nom, une pincée d’angoisse nous serre le cœur, bien que le communiqué ne soit pas tout à fait décourageant.

« Dans la région de Sedan, dit-il, où l’ennemi avait marqué quelque progression, des contre-attaques sont en cours avec chars et aviation de bombardement. » Et le commentaire Havas s’exprimait ainsi : « On sait que la ville de Sedan se trouve au fond d’une sorte de cuvette surplombée sur la rive gauche par une ligne de collines. C’est du haut de ces collines qu’en 1870 l’armée prussienne a imposé la capitulation à l’armée de Napoléon III. Aujourd’hui, ce sont les Allemands qui sont au fond de la cuvette, et l’artillerie française qui domine la région. La violente attaque allemande est parvenue à prendre pied sur la rive gauche de la Meuse et à former une poche profonde de 6 à 7 kilomètres au sud

de Sedan. Au cours de l’après-midi, un énergique effort fran­çais a été déclenché, et, mardi soir, la partie orientale de cette poche était reconquise, les occupants jetés à la rivière, et le reste de la poche solidement colmaté. »

En somme, à en croire le commentaire officieux français, cette affaire de Sedan était presque un succès pour nos armées. Toutefois, le communiqué du lendemain matin fut rédigé avec beaucoup de modestie et de discrétion : « L’intérêt supérieur de la conduite des opérations commande de ne pas fournir actuellement des renseignements précis sur les actions en cours. »

On connaît la suite, l’horrible suite. La « poche » de Sedan – jamais « colmatée » – devait s’étendre jusqu’à la Bidassoa ! Ce fut bien dès le 14 mai que l’armée française fut battue, et battue à Sedan comme soixante-dix ans plus tôt.

Tout était déjà perdu. Mais les Français n’en furent informés bien sûr, ni par notre radio, ni par les communiqués officiels, dont le recueil constitue rétrospectivement un étonnant chef-d’œuvre dans l’art – parfois si difficile – du mensonge dans l’« information». On n’apprit généralement l’ampleur du désastre que par la masse des réfugiés déferlant sur les routes, voire même par l’arrivée des Allemands – parfois fort en avance sur le communiqué officiel.

A Orval, dès le 15 mai, le formidable flot des réfugiés de Belgique et du Nord commença de nous atteindre, et ne cessa plus de défiler jour et nuit sous nos yeux emplis de stupeur. Tout ce qui pouvait rouler- y compris les bicyclettes – s’était mis en marche dans sa migration colossale vers le Sud.

Nous eûmes, d’ailleurs, aussitôt, nos réfugiés de la famille : un oncle, gros cultivateur dans la Somme, sa femme, leur fille et leur gendre et leurs deux fillettes. Nous fûmes heureux de les installer dans notre ancien logis de la Guil­letière, à Boisvilliers. Mais, tous, nous avions déjà le sentiment que ce n’était qu’une première étape, et que, bientôt, notre exode serait général, et qu’à notre tour nous nous joindrions aux foules qui s’enfuyaient plus loin, toujours plus loin…

citroen-c4-1931-1En prévision de ce départ de jour en jour plus probable, j’achetai une auto d’occasion – une robuste torpédo C 4. Moi qui m’étais bien juré de n’avoir jamais d’auto, Adolf Hitler me faisait mentir. Aussi baptisai-je cette voiture « Adol­phine ».

J’avais appris à conduire, étant jeune homme, sur la demande de ma mère. Mais je m’en étais tenu là, et prendre, maintenant le volant, c’eût été conduire immanquablement la voiture au fossé. Par chance, l’arrivée de nos parents de Picardie arrangeait tout. Ils amenaient deux voitures, mais trois conducteurs : mon oncle, mon cousin, et ma cousine.

Un matin, mon cousin (conduisant) et moi partîmes pour Alençon, afin d’y retirer ma carte grise. Nous comptions ren­trer pour déjeuner : nous ne revînmes que le soir.

La cohue, sur les routes, devenait indescriptible. Le spectacle était fabuleux, de cette colonne ininterrompue de tous les véhicules imaginables, dans laquelle s’enchevêtraient des milliers de cyclistes. Sur les bas-côtés de la route gisaient des réfugiés, dormant en attendant de reprendre leur voyage, ou stationnaient des files de camions militaires au repos. Sur ce parcours, les soldats belges dominaient, de loin, mais nous vîmes également un convoi de la R.A.F., et un important contingent de la Gendarmerie hollandaise, hom­mes superbes, en uniforme bleu, d’allure très militaire. Qui m’aurait dit, quelque temps auparavant, que je verrais des soldats hollandais sur les chemins de Normandie ? Et qui aurait dit au commissaire de police d’Orval (disposant jus­qu’ici de deux agents) qu’il aurait sous ses ordres, pour ré­gler une circulation intense, des agents d’Anvers ou de Bruxelles ? Jamais, même dans ses rêves, il n’aurait pu ima­giner qu’il disposerait un jour de pareilles forces de police. Quant à notre maison devenue caravansérail, elle abritait sous son toit, couchant un peu partout, un peu plus de monde chaque soir.

Ma femme empilait du linge dans des sacs, et chargeait l’auto de tout ce qu’elle pouvait contenir : « Adolphine » était prête à partir au premier signal.

Ce signal vint le 10 juin au soir. Les premières bombes allemandes étaient tombées la veille sur Orval, et nos cou­sins, à bord de leur petite Simca, vinrent nous avertir que le grand départ était décidé pour le lendemain matin, et nous inviter à venir tous passer la nuit à la Guilletière. Adieu, notre belle maison !

Après une nuit blanche dans notre Guilletière qui, elle non plus, n’avait jamais abrité tant de monde, aux premières lueurs de l’aube, vers quatre heures et demie, notre caravane partit à l’aventure.

Nous étions treize dans nos trois voitures. Ni mon père et ma mère, ni mon frère Marcel et les siens ne nous accom­pagnaient, encore incertains de ce qu’ils allaient faire. En fait, ils partirent quelques heures après nous, pour s’arrêter finalement du côté de Rocamadour.

De passage à Séez nous recueillîmes Geneviève, dont le traitement venait à peine de commencer! Saint Jacques nous avait sans doute bien inspirés, car, quarante-huit heures plus tard, la petite ville épiscopale fut sauvagement bombardée, et, à la Providence, cinq fillettes et une religieuse furent tuées.

Quelques jours après, ayant pu franchir la Loire sans encombre, nous nous arrêtâmes dans un village de Vendée. Le temps de laisser ma belle-mère impotente dans une communauté, et nous repartions vers le Sud, toujours dans le fallacieux espoir de n’avoir pas de contacts avec les Allemands. Nous finîmes par parvenir à Hendaye. A moins de passer en Espagne, nous ne pouvions pas aller plus loin. L’Armistice nous trouva là, et nous apprit en même temps qu’Hendaye serait en « zone occupée », et que personne n’avait plus le droit de passer d’une zone à l’autre. Nouveau conseil de famille, et nouveau départ, pour risquer d’atteindre quand même la partie des Basses-Pyrénées – le Béarn – non occupée. Le 27 juin au soir, notre caravane quittait péniblement Hendaye au moment précis où arrivait sur la route, en sens inverse, la colonne motorisée allemande venant occuper la frontière. Nous la passâmes littéralement en revue !

Par des chemins peu fréquentés, nous roulâmes jusqu’à la nuit à travers le pays basque. A Saint Palais, un pneu creva, et tandis qu’on réparait, les gens nous dirent que la « frontière » était à quelques mètres de là. Peu après, nous la franchissions, tout heureux dans notre ingénuité, d’avoir forcé le blocus ! Et nous couchâmes ce soir-là, comme cela nous arrivait généralement, dans le grenier d’une grange, et bercés par les sonnailles du bétail.

Le lendemain, le destin nous arrêta pour le soir sur les bords du gave d’Ossau, à Izeste. Et nous ne trouvâmes encore, pour nous loger, qu’une grange – une grange immense, il faut en convenir. Sous sa magnifique charpente du XVe ou du XVIe siècle, nous avions certainement pour tous les douze aussi bien notre cube de paille que notre cube d’air.

Au matin, nous fûmes réveillés par des petits chats explorant l’oncle Gaston. On laissa les enfants à la garde de ma femme, et l’on partit à la recherche d’un nouveau domicile.

Nous avions beau remonter la vallée d’Ossau en nous arrêtant dans chaque bourgade, c’était très difficile, car toute la vallée était envahie par des militaires de notre aviation ­guère plus « rampants » que pendant le conflit, puisque, on l’a su depuis, on avait commencé cette drôle de guerre avec 500 appareils de chasse et une quarantaine de bombardiers, le tout commandé par cent dix généraux.

Comme nous allions arriver dans une nouvelle commune, Bielle, mon oncle, désignant, au-dessus de nos têtes, un petit village perché dans la montagne, m’interpella d’un air narquois : « Eh bien, Jacques ! Avouez-le : c’est là-haut que vous aimeriez vous réfugier ! » Ceci dit, naturellement, sans malice, à l’adresse d’un neveu considéré comme un incorrigible pêcheur de lune.

A Bielle, le secrétaire de mairie, comme ses collègues de la vallée, leva les bras au ciel. Tout était occupé par les aviateurs. « Mais, dit-il, pourquoi n’iriez-vous pas voir là-haut, à Bilhères ? » Et de désigner à mon oncle le petit point blanc dans la montagne, au sujet duquel mon parent venait d’ironiser quelques minutes plus tôt.

En fourrier, la petite Simca monta donc jusqu’à ce Bilhè­res. Elle y fut accueillie presque avec enthousiasme. Depuis quelques temps, en effet, trois maisons inoccupées y avaient été mises à la disposition de réfugiés éventuels, et, si incroyable que cela paraisse, personne ne s’était encore présenté, nul même, parmi les milliers de rampants, ne s’était senti le courage de monter jusque-là, tant il est vrai que nous ne savons plus nous servir de nos jambes. La commune de Bilhères commençait à désespérer d’avoir ses réfugiés… lorsqu’enfin nous apparûmes ! ……

Adieux à la montagne

 

Famille Miguet en 1940 à Bilhères. Devant: Gérard et Geneviève Miguet, Odile B, Pierre Miguet Derrière: Agnés B, Denise Miguet, Victor B, Marie-Louise Miguet et Thérèse Boiteux.

Le village paraissait, au-dessus de la vallée, si haut perché que même le morne défilé des autos venant du Nord après tant d’étapes dramatiques n’osait – jaugeant l’altitude ­monter y chercher refuge…

Lassée de tant de nuits passées dans la paille et la poussière, notre caravane familiale et ses voitures disparates tenta l’assaut, et, radiateurs fumants, atteignit le plus charmant et le plus paisible des villages, dont le calme émouvant n’était rompu que par le murmure d’innombrables sources, ruisselant de partout en fontaines et en cascades d’eau limpide. C’était vraiment là l’oasis auquel aspiraient vainement, depuis des semaines, les pauvres fugitifs avides de stabilité et de repos.

Les montagnards qui, surveillant de leur vigie l’interminable défilé dans la vallée, commençaient à désespérer d’avoir un jour « leurs  réfugiés », nous firent l’accueil le plus touchant, avec, à leur tête, le plus bienveillant des maires, le plus jeune et le plus zélé des curés.

Comment oublier ce rendez-vous de la charité, chacun accourant, qui avec de la vaisselle, qui avec des victuailles, la maison vide se trouvant en clin d’œil toute prête à recevoir ses hôtes ? Non, jamais un tel spectacle ne s’effacera de nos mémoires.

Et ce fut le repos, la paix, l’air pur des montagnes ; aux premiers rayons de l’aube, l’inoubliable panorama sous les yeux ; partout, les troupeaux et le doux tintement de leurs clochettes ; la joie des enfants, pouvant se reprendre à jouer, à courir, à vivre.. .

Quelque peu honteux de notre animale paresse, nous admirions l’intrépide, l’étonnant labeur de nos nouveaux concitoyens. Ah ! Ceux-là n’avaient pas attendu les exhortations du Maréchal pour garder à la terre leur travail et leur fidélité ! Leur fenaison, tout là-haut, bien au-dessus du village, nous donnait le vertige. Partis avant l’aube, la nuit d’été, si tardive, tombait souvent sans faire cesser leur besogne obstinée. Même aux ruraux de notre petite colonie, ils inspiraient une respectueuse admiration. Ceux-là, vraiment, gagnaient leur pain à la sueur de leur front…

Denise & Geneviève regardent leur Maman cuisiner. Exode à Bilhères.

Vint l’Assomption. Combien ardentes et pathétiques nos supplications à Marie, en cette année d’amertume inexprimable ! Petite chapelle pyrénéenne, obscur pèlerinage marial quelque part entre les sanctuaires de Lourdes et de Sarrance, frêle construction blanche ombragée d’arbres énormes et séculaires, qui dira la ferveur des paysannes, au voile noir, humblement agenouillées sur tes marches extérieures ? Au tintement de l’élévation, on n’entendait plus que l’éternel murmure des éternels ruisseaux. Pas un tué dans cette bourgade protégée par l’antique Madone, alors que dans la vallée chaque village eut sa part du sacrifice…

L’été s’en est allé. Le petit village si haut perché, l’infini ruissellement de ses cascades ne seront bientôt plus, pour nous, qu’une étape sur la route de nos vies. Mais, souvent, de nos cœurs fervents, un souvenir reconnaissant s’en ira vers les humbles montagnards qui furent pour nous, simplement mais pleinement, les bons Samaritains.

 

Alain Dechanday

Décembre 1971, imprimerie du Champs de Mars, Saverdun, Arriège

 

M. Alain Miguet nous a communiqué une nouvelle photo retrouvée dans les archives de sa tante, prise à la chapelle de Houndas, à l’entrée du plateau du Benou.

Commentaire de M. Alain Miguet:

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Voici les noms des présents sur la photo : en premier plan, Agnès Bombart, une cousine de ma tante Geneviève, avec Gérard Miguet sur ses genoux. Juste derrière, Geneviève Miguet ; à sa droite son père Jacques Miguet (mon grand-père donc) avec son parapluie. Plus au fond, la dame âgée, Eugénie Boinet, une grand tante, grand-mère d’ Agnès Bombart. A la gauche de Geneviève, sa mère avec Pierre (mon père). Et tout à fait à droite, Odile Audebert, née Bombart. Le monsieur, tout à fait au fond, devant la chapelle, son père Victor Bombart.

 

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